Après trois reports, les Congolais doivent désigner ce dimanche un successeur au président Joseph Kabila. Mais les nombreux dysfonctionnements de processus électoral pourraient priver de vote des milliers de Congolais et favoriser la fraude au profit du candidat adoubé par Joseph Kabila.
Jusqu’ici tout va bien… ou presque. A quelques heures d’un scrutin à haut risque et décisif pour la République démocratique du Congo (RDC), qui devrait vivre la première alternance politique de son histoire, la tension est remontée d’un cran. Après deux reports, en 2016 et 2017, puis un troisième d’une semaine, la Commission électorale (CENI) peine toujours à déployer son matériel électoral aux quatre coins du Congo. Dans une confusion savamment entreneue, la CENI ne semble toujours pas prête à organiser le scrutin dans de bonnes conditions. Selon des diplomates, qui sont confiés à l’agence Reuters, seulement 60% du matériel électoral étaient arrivés à bon port vendredi.
Les très contestées machines à voter ne sont pas encore déployées dans l’intégralité des 75.000 bureaux de vote (il en manquerait 15.000 ce samedi), mais ce qui manque surtout, ce sont les fameux procès-verbaux de résultats. Ce que redoute l’opposition, c’est qu’en l’absence de ces PV, ce soient les machines à voter qui valident le scrutin, avec tous les risques de fraudes qui vont avec. Les machines n’ont pas pu être auditées et testées de manière indépendantes, et les observateurs de l’Union européenne et du Centre Carter, qui avaient déjà relevé les irrégularités des élections de 2011, n’ont pas été autorisés à se rendre en RDC. Le scrutin se déroulera donc à huis, la RDC ayant refusé l’aide financière et logistique de la communauté internationale.
Empêcher les bastions de l’opposition de voter
Autre point noir du scrutin : le nombre de bureaux de vote accessibles le jour du vote. Dans l’Est du pays, la Commission électorale a déjà exclu 1,2 million d’électeurs sur les 40 millions enregistrés dans les zones de Beni, Butembo et Yumbi, touchées par le virus Ebola et les conflits inter-ethniques. Dans ces trois circonscriptions, le scrutin a été reporté en mars, soit trois mois après la proclamation des résultats dans le reste du pays – voir notre article. Ce report, « injustifié et inacceptable » pour l’opposition, fait dire aux observateurs que le pouvoir cherche à faire en sorte que les bastions de l’opposition votent le moins possible. A Kinshasa la « rebelle », qui a toujours majoritairement voté pour l’opposition, plus de 1.000 bureaux de vote ont été supprimés, après l’incendie d’un entrepôt de la CENI renfermant du matériel électoral. Conséquences : des milliers de Kinois risquent de ne jamais trouver leur bureau de vote, faute d’informations de la CENI, et des files d’attentes interminables dans d’autres bureaux pourraient priver de vote d’autres électeurs.
En province, les fiefs tenus par l’opposition, notamment en Equateur et à Lubumbashi, des centaines de bureaux de vote pourraient être également supprimés. Enfin, les observateurs des partis politiques accrédités dans les centres de vote peinent à se faire accréditer, surtout lorsqu’ils sont opposants. A Lubumbashi, la coalition de Martin Fayulu n’a pas obtenu l’ensemble de ses 5.000 accréditions. Si on rajoute à tout cela, un fichier électoral corrompu, avec plus de 8 millions d’électeurs sans empreintes, on s’achemine vers un fiasco électoral annoncé, qui ne peut se terminer que par une contestation des résultats.
Conflit post-électoral certain
Pour éviter le pire, les pays d’Afrique australe (SADC) tentent de jouer les bons offices ce samedi en demandant aux différents candidats de signer un code de bonne conduite et notamment en s’engageant à reconnaitre les résultats des élections. Une gageure lorsque l’on connait les conditions du vote, et dont les résultats ne seront jugés ni crédibles, ni transparents, la CENI ayant perdu toute crédibilité en reportant sans cesse le scrutin. Dans ce contexte de vive tension, et compte tenu de la violente répression policière qui s’abat sur chaque manifestation de l’opposition dans les rues (400 morts depuis 2015), on peut s’attendre à un conflit post-électoral certain et sanglant.
Reste à savoir quelle sera la capacité de l’opposition à mobiliser après une longue crise politique déjà émaillée de nombreuses violences ? La lassitude et la défiance face aux politiques des Congolais est palpable. Les premiers résultats partiels devraient être publiés le 6 janvier et les résultats définitifs le 15 janvier 2019. Deux dates qui donneront le ton de la possible contestation du scrutin. Car pour l’opposition, comme pour les observateurs, les diplomates et les Congolais eux-mêmes, il y a peu de chance que la victoire échappe au « dauphin » de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary. Aucun n’imagine Joseph Kabila, qui a tout fait depuis 2016 pour retarder le scrutin, passer le flambeau à un opposant politique.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Pourriez-vous aussi parler de l’observation electorale citoyenne utilisant les TIC organisée par le réseau Tous électeurs Tous observateurs (CLC, ACAJ, NSCC et Observatoire de la parité), une première en RDC. Voir sur http://www.deboutcongolaises.org