Génocide des Tutsi du Rwanda : le négationnisme en débat au tribunal de Paris

« Contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce un crime de génocide » : c’est l’incrimination qui a conduit le polémiste franco-italo-camerounais Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx devant la XVIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris. Parmi les plaignants, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Ibuka-France, Survie, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). En 2020 ils avaient porté plainte avec constitution de partie civile contre Charles Onana et son éditeur pour plusieurs passages du livre « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise » paru fin 2019 aux Éditions de l’Artilleur. Un juge d’instruction a mis en examen les deux hommes avant de les renvoyer devant le tribunal correctionnel. Le sujet et la qualité des nombreux témoins cités ont conféré au procès un caractère emblématique. Les débats ont mobilisé quatre jours d’audience (les 7, 8, 10 et 11 octobre 2024. Nous en rapportons la teneur en quatre épisodes. Le jugement a été mis en délibéré au 9 décembre prochain. Synthèse réalisée par Jean-François DUPAQUIER à partir des notes d’audience de Survie, Ibuka-France et divers observateurs ou témoins 1er jour : 7 octobre 2024 Ce lundi 7 octobre à 13 h 30, l’audience de la XVIIe chambre s’ouvre sous forte tension. Sur le parvis du palais de justice des Batignolles, des Congolais ont déployé des banderoles de soutien à Charles Onana et à son dernier livre « Holocauste Congo : l’Omerta de la communauté internationale » (L’Artilleur, 2023). Un ouvrage que le régime du président Tshisekedi semble avoir acheté et diffusé à des dizaines de milliers d’exemplaires pour alimenter sa campagne idéologique contre le président du Rwanda. C’est cet ouvrage qui alimente les conversations des Congolais venus « en force », mais ce n’est pas celui dont il est question devant le tribunal. Charles Onana arrive entouré de quatre ou cinq gardes du corps. Plus d’une centaine de ses partisans se masse devant la salle d’audience. Une équipe de la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) est là et allume ses projecteurs. Les téléphones sont brandis pour filmer l’accusé du jour. En fond sonore on entend une sorte de gimmick : « C’est un héros !  ». « C’est un héros ! » « Les parties civiles n’oseront peut-être pas se montrer », se hasarde un Congolais au milieu des rires. Si, elles sont là. Elles entrent après le public venu soutenir la défense. Les policiers qui contrôlent l’accès annoncent qu’il n’y a plus de place dans la salle (les auditions se dérouleront dans une plus grande salle à partir du mardi). Les Congolais jouent des coudes pour escorter l’accusé Onana. Avec son habituel sourire conquérant, il fait une entrée en scène un peu comme au théâtre, encadré de ses gardes du corps identifiés par leur carrure et leurs brassards. Damien Serieyx, patron des éditions L’Artilleur, fait pâle figure dans le sillage du pétulant « docteur en sciences politique, spécialiste de l’Afrique des Grands lacs et des conflits armés ». Pourtant, Damien Serieyx est poursuivi comme auteur principal de l’infraction en tant que responsable légal du livre, Charles Onana comme complice. La « XVIIe » est une chambre mythique… Du côté des parties civiles, une vingtaine de personnes, sans compter leurs avocats. Les deux groupes se regardent en chiens de faïence. Visiblement, la présidente ne s’attendait pas à une telle affluence. En général, les débats de la prestigieuse « XVIIe », aussi appelée « chambre de la Presse » attirent surtout des journalistes. Elle est composée de magistrats spécialisés, chargés de faire respecter la vénérable loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 et les principes de la diffamation en droit français. Devant la porte de la salle, le panneau indicatif de l’affaire comporte une petite erreur. Il est indiqué que l’audience porte sur « la contestation de crimes commis pendant la seconde guerre mondiale ». La force des habitudes… La XVIIe est une chambre mythique. Les grands médias français sont partagés entre admiration et crainte de la présidente, Madame Delphine Chauchis, Première vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal. « …les débats y restent passionnants » La Présidente est entourée de deux assesseurs discrets. « Les débats y restent passionnants », a écrit France Inter dans un compte-rendu d’audience[1]. « Les habitués s’appellent Eric Zemmour ou Alain Soral ; ce jour là, l’écrivain négationniste Hervé Ryssen est condamné pour contestation de crime contre l’humanité. Il avait publié un tweet accolant l’affiche du film « La Vérité si je mens » à une photo du portail du camp d’extermination d’Auschwitz ». C’était le 5 février 2021[2]. « Contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce un crime de génocide », c’est justement l’accusation dont va répondre Auguste-Charles Onana, dit Charles Onana, qui, lui, n’a pas (pas encore ?) la réputation d’Eric Zemmour ou d’Alain Soral. Il n’est connu que des cercles africanistes, de certains hauts-gradés français et des communautés congolaise et rwandaise pour des thèses qu’on qualifiera – pour le moment – de « controversées ». Présomption d’innocence ! «  L’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle » « La thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». C’est ce qu’écrit Charles Onana à la page 198 de son livre « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise – Quand les archives parlent », paru le 30 octobre 2019 . Le « journaliste d’investigation » (?) y affirme également que « le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs » (p. 34). Ou encore : « Continuer à pérorer sur un hypothétique “plan de génocide” des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire » (p. 460). Des propos qui ont alerté la Ligue des droits de l’Homme, la Fédération internationale pour les droits humains et Survie qui voient là une opération de négation du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Ces trois associations se sont réunies pour porter plainte contre Charles Onana et les éditions du Toucan qui ont publié son ouvrage (sous … Lire la suite de Génocide des Tutsi du Rwanda : le négationnisme en débat au tribunal de Paris