Après un an de présidence, Félix Tshisekedi tente de passer des paroles aux actes pour imposer son programme d’alternance et de changement. Mais les embûches sont nombreuses et Joseph Kabila jamais très loin.
Une année décisive attend le président congolais, arrivé à la tête de la République démocratique du Congo il y a tout juste un an. L’élection contestée de Félix Tshisekedi en décembre 2018 a placé le nouveau chef de l’Etat sur un fauteuil des plus inconfortables et dans une drôle d’alternance politique. Si beaucoup doute encore de la réalité de la victoire de Félix Tshisekedi, dont les résultats intégraux n’ont jamais été publiés par la Commission électorale, le président ne détient pas toutes les rênes du pouvoir… loin de là. La coalition FCC de l’ancien président Joseph Kabila a raflé des majorités confortables à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans les Assemblées provinciales. Autant dire que le pouvoir réel : institutionnel, judiciaire, militaire et économique, n’a pas encore changé de main. Félix Tshisekedi, qui affirme être en coalition avec le FCC, doit en fait cohabiter avec un gouvernement, dont le premier ministre et de nombreux ministres sont issus de la plateforme pro-Kabila.
Décrispation politique et gratuité de l’enseignement
Après une année passée à la présidence congolaise, Félix Tshisekedi n’a pas ménagé ses efforts pour donner l’image d’un « Congo nouveau ». Rapidement, le chef de l’Etat a réussi à imposer une décrispation politique très attendue : libération de prisonniers, retour d’opposants, mais aussi liberté de manifestation et accès pluraliste aux médias d’Etat, même si des efforts restent encore à faire notamment avec des forces de sécurité encore trop répressives. Sur le plan social, Félix Tshisekedi a également mis en place la gratuité de l’enseignement de base. Une mesure très populaire, mais qui cherche toujours son financement.
Au cours de ses multiples voyages à l’étranger, le président a cherché un peu d’aide financière des principaux bailleurs de fonds, en Europe ou aux Etats unis, mais aussi dans la sous-région. Un tour du monde très controversé, qui tendait aussi à légitimer un président mal élu. A Paris, Félix Tshisekedi a tenu à justifier ses nombreux déplacements par la nécessité de récolter des marges de manoeuvres financières supplémentaire pour appliquer son programme d’urgence : 1,5 milliard de dollar aurait été récolté selon le président. Mais les partenaires économiques et bailleurs de fonds ne se bousculent pas au Congo et attendent de voir si le nouveau président va pouvoir s’émanciper de la tutelle de Joseph Kabila, dont les hommes sont encore aux commandes de l’appareil d’Etat.
Comme la communauté internationale, les Congolais veulent maintenant voir passer Félix Tshisekedi des paroles aux actes. Ses principaux opposants l’accusent de n’être qu’un « distributeur automatique de promesses » qui tarde pour le moment à se réaliser. Au début de son mandat, le président congolais a pu faire illusion en piochant dans le budget de la présidence pour construire quelques infrastructures visibles : des routes, des ponts et les fameux « sauts de moutons », ces contournements qui doivent permettre de fluidifier le trafic automobile à Kinshasa. Mais après une année de pouvoir, Félix Tshisekedi est désormais entré « dans le dur », avec un gouvernement qui traîne des pieds et qui n’a finalement pas vraiment intérêt à la réussite de son quinquennat.
Lutte contre la corruption
Sur le bureau de la présidence, les dossiers, tous prioritaires, s’accumulent… et les ennuis aussi. A son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a promis de s’attaquer au mal congolais numéro un : la corruption. Le président veut créer une agence spéciale chargée de combattre ce fléau qui frappe l’ensemble de la société congolaise. Mais pour l’instant, cette institution n’a pas encore vu le jour et des soupçons de blanchiment et de corruption continuent de faire la une de la presse congolaise : achats de voix et corruption des grands électeurs, affaire des 15 millions de $ « disparus » du trésor public, marchés publics passés de gré à gré, affaire des 200 millions € du prêt de la Gécamines… mais pour l’instant un voile d’impunité plane sur ces affaires restées lettre morte par la justice congolaise.
La lutte contre la corruption, encore à l’état de simple déclaration d’intention, pourrait permettre au président Tshisekedi de se donner les marges de manoeuvre financières nécessaires pour entamer les grands travaux nécessaires de son programme électoral. Dans un pays largement sous-développé et dont les infrastructures de bases sont largement absente : voies de communication, accès à l’eau potable à l’électricité ou à la santé… les chantiers à mettre en route sont titanesques. Et ce n’est pas avec le maigre budget de 10 milliards de dollars, récemment revu à la hausse, que Félix Tshisekedi pourra rendre concret son programme de changement pour tous les Congolais. La lutte contre la corruption devrait faire rentrer dans les caisses de l’Etat entre 15 et 20 milliards de dollars selon les estimations des principaux experts.
Le très sulfureux et très pro-Kabila patron de la Gécamines, Albert Yuma, soupçonné de détournement de fonds, n’a toujours pas été écarté par Félix Tshisekedi. Le nouveau pouvoir commet également des « sorties de route » qui ne plaident pas vraiment pour une meilleure gouvernance. L’annonce par un ministre auprès de la présidence du coût des festivités commémorant la première année d’alternance estimé à 6 millions de dollars a créé une levée de bouclier jusque dans l’entourage du président Tshisekedi. Le gouvernement a rétropédalé en assurant que le montant serait revu à la baisse… mais sans plus précisions.
Une meilleure traçabilités des recettes de l’Etat
Pour augmenter son budget, Félix Tshisekedi doit également faire rentrer d’avantage d’argent dans les caisses du Trésor public. Une grande partie des recettes de l’Etat s’évaporent avant d’arriver à destination. Le nouveau président promet d’ici juin 2020 de mieux « tracer » les impôts et taxes de toutes sorte en créant une nouvelle « chaîne des recettes ». Avec un double enjeu : éviter le détournements des fonds, mais aussi rassurer les bailleurs internationaux qui demande davantage de transparence. Les récents soupçons de corruption sont tous marqués par une « disparition » mystérieuses des fonds et un manque de traçabilité financière. Félix Tshisekedi le sait : l’aide internationale sera conditionnée à une profonde réforme anti-corruption.
Lutte contre l’insécurité à l’Est
Autre dossier sur le haut de la pile pour le président Tshisekedi : le retour de la sécurité à l’Est. Depuis 2014, les attaques des rebelles ougandais des ADF ont fait plus de 1.000 morts dans la région de Beni au Nord-Kivu. En novembre, le président Tshisekedi a décidé de lancer plusieurs offensives contre les ADF et le « fourre-tout » de rébellions qui pullulent à l’Est du pays. Mais avec une armée encore à reconstruire et victime des nombreuses intégrations de rebelles, l’efficacité des actions militaires restent limitée. Pire, les coups de boutoirs de l’armée congolaise ont intensifié les ripostes rebelles : plus de 200 morts en deux mois !
Pour retrouver une armée régulière efficiente, Félix Tshisekedi doit se séparer de nombreux officiers de hauts rangs, tous pro-Kabila et tous sanctionnés par les Nations unis pour des violations des droits de l’homme. Certains de ces officiers, comme John Numbi, Gabriel Amisi « Tango Four », Delphin Kahimbi ou Muhindo Akili Mundos sont également accusés d’entretenir une collusion malsaine entre les groupes rebelles et l’armée régulière sur fond de trafics de matières premières. Mais pour l’instant, les « permutations d’officiers » se font à dose homéopathique et la chaîne de commandement reste largement aux mains de militaires peu recommandables. Otage des généraux proches de l’ancien président, Félix Tshisekedi n’a d’autre choix que de jouer la carte de la Monusco, peu populaire, mais encore indispensable alors que la violence connait une nouvelle poussée de fièvre à l’Est.
Un président toujours sous influence
Sur tous les fronts : lutte anti-corruption, marges de manoeuvres financières, retour de la paix à l’Est… Félix Tshisekedi semble toujours prisonnier de son « partenaire » du FCC qui veille à ce qu’aucune ligne rouge ne soit franchie. Une fois le budget de la présidence intégralement dépensé dans les 5 premiers mois de son mandat, Félix Tshisekedi se retrouve maintenant à la merci du gouvernement de Sylvestre Ilunga, qui se très hâte lentement pour mettre en oeuvre les mesures présidentielles. Au bout d’un an à la présidence congolaise, Félix Tshisekedi n’a toujours pas touché aux institutions clés de la République, réputée toujours aux ordres de Joseph Kabila. La justice, les juges de la Cour constitutionnelle, la Commission électorale, l’armée, la police, la garde républicaine, et les principaux patrons de grandes entreprises para-étatiques n’ont pas été remaniés.
Tout au long de cette première année de présidence, le FCC s’est appliqué à un triple objectif : mettre des bâtons dans les roues de Félix Tshisekedi, se refaire une virginité en faisant porter le chapeau de tous les maux du pays au nouveau président, comme s’ils n’avaient pas été au pouvoir pendant 18 ans, et enfin, préparer les prochaines échéances électorales de 2023 … et récupérer la présidence. Dans cette ambiance délétère, où rares sont les documents de la présidence qui ne se retrouvent pas sur les réseaux sociaux pour torpiller son « coalisé », les armes de Félix Tshisekedi sont minces pour s’émanciper de la kabilie. Ses voyages à l’étranger ont sans doute permis au président Tshisekedi de s’attirer les bonnes grâces de ses homologues… notamment angolais.
Un statu quo pour briguer un second mandat
Reste l’arme ultime d’émancipation massive : la dissolution de l’Assemblée nationale, et retourner aux urnes pour espérer obtenir une majorité confortable et un gouvernement à ses couleurs. Mais dans le contexte d’une alternance de façade, où les institutions pro-Kabila, notamment la Commission électorale et la Cour constitutionnelle, sont toujours en place, la plateforme présidentielle préfère s’abstenir de se lancer dans un scrutin dont le résultat semble connu d’avance. Le président Tshisekedi a donc tout intérêt au statu quo, et jouer la montre, en espérant pouvoir sauver son bilan et solliciter un second mandat.
Le message est d’ailleurs martelé depuis plusieurs semaines par l’entourage présidentiel : il faut donner du temps au chargement. « Pour déboulonner le système Kabila, il faudra sans doute plus de 5 ans » nous confie-t-on à l’UDPS. Un élément de langage largement diffusé lors des grands meetings entre le président Tshisekedi et sa diaspora. « Un second mandat pour Fatshi Béton ! » scandaient les Congolais en novembre à Paris.
Les institutions au coeur de la bataille
Seul hic : les Congolais à Kinshasa, Lubumbashi, Beni ou Kananga, auront-ils la patience d’attendre 5 ans et de faire confiance à la politique des petits pas de Félix Tshisekedi ? Pas si sûr. Même si la population sait parfaitement que le pays ne se transformera pas en un clin d’oeil et qu’il faudra du temps pour rattraper les retards abyssaux du Congo, le début de mandat de Félix Tshisekedi ressemble davantage à un énième partage du gâteau entre une élite politique versatile et corrompue qui se jouent des semblants d’élections pour se repartir les richesses du pays au dépend d’une population dont plus de 70% vit encore en dessous du seuil de pauvreté.
Avec le temps, les Congolais peuvent donc se lasser, et c’est d’ailleurs ce qu’espèrent le FCC de Joseph Kabila, mais aussi Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba ou Martin Fayulu, qui comptent bien jouer les recours lors de la prochaine présidentielle. Reste à savoir dans quelles conditions sera organisé le scrutin de 2023 et qui pilotera en sous-main la Commission électorale et la Cour constitutionnelle chargées d’arbitrer les élections ? Les prochaines batailles décisives entre FCC, CACH et Lamuka concerneront la gouvernance de ces institutions clés. Pour l’heure, tout est sous contrôle de Joseph Kabila.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia