Recherché par la Cour pénale internationale (CPI) et menacé d’être interpellé par Kinshasa, le général Bosco Ntaganda a démontré sur le terrain que ses hommes pouvaient relancer le conflit à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Dans une entretien accordé à Afrikarabia, le représentant du CNDP en France, le Colonel Jean-Paul Epenge, affirme que Kinshasa n’a « ni intérêt, ni les moyens d’arrêter Bosco Ntaganda ». Selon lui, le voisin Rwandais veille à garder son influence à l’Est et le rapport de force militaire reste favorable aux troupes fidèles à Ntaganda. Jusqu’à quand ?
Depuis la condamnation de Thomas Lubanga par la Cour pénale internationale (CPI), les rumeurs autour d’une possible arrestation de Bosco Ntaganda vont bon train à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Comme Lubanga, Ntaganda est accusé par la CPI d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans en Ituri et d’avoir participé au conflit à l’Est de la RDC. Mais contrairement à Thomas Lubanga, Bosco Ntaganda a rejoint une autre rébellion en 2000, le CNDP de Laurent Nkunda. Il devient alors le chef d’Etat-major du mouvement et participe à la guerre que lance Laurent Nkunda contre le régime de Joseph Kabila dans les Kivu. Mais en 2009, une renversement d’alliance surprise s’opère au sein du CNDP : Ntaganda rallie Joseph Kabila et Nkunda est arrêté par son ancien allié rwandais. Les ex-CNDP de Ntaganda conclu un accord de paix avec Kinshasa et s’intègre dans les rangs de l’armée régulière (FARDC). Un fragile équilibre entre Kabila et Ntaganda permet un retour au calme relatif dans les Kivu et les ex-CNDP soutiennent même le candidat Kabila aux dernières élections de novembre 2011 dans leur zone d’influence. Ce statu-quo arrange tout le monde : Kabila, qui a étouffer le conflit à l’Est, Ntaganda qui a évincé Laurent Nkunda et le Rwanda qui conserve la haute main sur l’Est du Congo-Kinshasa.
L’embarrassant général Ntaganda
Depuis son ralliement à Kinshasa, Ntaganda s’est vu nommer général et coordonne même les opérations militaires contre les rebelles FDLR avec les casques bleus de l’ONU. Kinshasa estime que l’intégration de l’ancien rebelle au sein de l’armée régulière constitue un gage de stabilité dans l’Est du pays, secoué depuis plus de 15 ans par une guerre sans fin. La condamnation de Thomas Lubanga par la Cour pénale internationale a réactivé la machine judiciaire et remis Bosco Ntaganda sur le devant de la scène médiatique. Un coup de projecteur qui embarrasse Kinshasa, accusée de protéger Ntaganda.
Car l’affaire Ntaganda tombe au plus mal pour le président Kabila. Le président de la République démocratique du Congo cherche depuis plusieurs mois à retrouver sa légitimité auprès de la communauté internationale. Le pays a traversé une période électorale trouble, entachée de nombreuses irrégularités et de soupçons de fraudes massives. Kabila aimerait bien donner quelques gages de bonne volonté à la communauté internationale et à ses bailleurs. Pendant ce temps, le procureur de la CPI pousse le régime de Kinshasa à arrêter Ntaganda. La rumeur enfle à l’Est et des soldats fidèles à Ntaganda désertent l’armée régulière pour rejoindre le maquis et en profitent pour effectuer une démonstration de force dans les rues de Goma. La population prend peur et craint le retour de la guerre dans la région.
« Que veut la communauté internationale ? Que l’Est s’embrase ? »
Afin de savoir si Kinshasa prendra le risque d’arrêter Ntaganda, nous avons interrogé le Colonel Jean-Paul Epenge, le représentant du CNDP en France. Pour ce légaliste pro-Nkunda, qui n’a donc jamais soutenu la scission provoquée par Bosco Ntaganda, Joseph Kabila n’a pour l’instant aucun intérêt à lâcher le responsable du CNDP et rallumer la guerre à l’Est. Jean-Paul Epenge « ne pense pas et ne souhaite pas » que Kinshasa arrête Bosco Ntganda. Pour ce responsable du CNDP, les défections des soldats de Ntaganda sont l’expression « d’un fort mécontentement » vis à vis du pouvoir central. Les officiers de l’ex-CNDP avaient en effet adressés un mémo au président Kabila le 23 septembre 2010 en dénonçant le manque de moyens mis à leur disposition pour traquer les rebelles FDLR, les détournements de salaires et le tribalisme qui régnait au sein des FARDC (l’armée régulière congolaise). Selon Jean-Paul Epenge, « nous n’avons rien obtenu, ne fusse qu’un simple regard de la part de Kinshasa » et de préciser : « tant que ces revendications fondées ne seront pas prises en compte, il y aura toujours quelques sursauts d’orgueil et des défections ».
Concernant la possible arrestation de Bosco Ntaganda, Jean-Paul Epenge, rappelle l’accord passé entre Kabila et Ntaganda : la paix contre l’intégration des soldats du CNDP dans l’armée. Pour Jean-Paul Epenge : « il est temps que les fils du Congo soient jugés chez eux. Par exemple, les nouvelles autorités libyennes ont refusé de livrer Seïf al-Islam Kadhaffi à la CPI, bien que ce dernier soit leur pire ennemi. Bosco Ntaganda est un général des FARDC, coordonateur adjoint des opérations Amani-Leo qu’il assure avec brio, malgré le manque des moyens. » Et de conclure : « il est abject que d’une part cette fameuse communauté internationale travaille en symbiose avec le général Bosco Ntaganda pour une paix définitive dans les Kivu et d’une autre, ils brandissent un mandat d’arrêt contre lui. C’est hypocrite et dangereux. Que veut la communauté internationale ? Que l’Est de la RDC s’embrase encore? Non, les Congolais doivent faire très attention à toutes ces manipulations. Le président Kabila veut la paix, les Congolais aussi, y compris le général Bosco Ntaganda ».
« Le Rwanda ne l’acceptera pas »
Joseph Kabila n’a donc aucun intérêt à livrer Ntaganda à la CPI, au risque de rallumer la poudrière des Kivu. Bosco constitue une pièce maîtresse dans le fragile équilibre qui lie Kinshasa et son turbulent voisin rwandais. D’ailleurs, selon Jean-Paul Epenge, les FARDC rencontreraient de réelles difficultés si elles devaient procéder à l’arrestation de Bosco Ntaganda dans son fief de l’Est. Pour ce colonel du CNDP : « le rapport de force est en notre faveur ». Avant de rajouter : « de toute façon, le Rwanda ne l’acceptera pas ».
Pour l’instant, Kinshasa et Ntaganda se regardent en chien de faïence : chacun attendant un geste de l’autre. Sur le terrain, le gouvernement congolais se veut rassurant sur le retour à la normale dans les contingents de l’armée régulière et promet d’envoyer des renforts… au cas où. Selon nos informations, les défections des soldats ex-CNDP continueraient au sein des FARDC. Le gouvernement aurait donné jusqu’au 12 avril pour que la situation se régularise à l’Est.
Christophe RIGAUD