La coordination des opposants au troisième mandat de Pierre Nkurunziza avait suspendu ses manifestations durant 48 heures pour enterrer ses morts et donner au président de la République le temps de renoncer à son coup d’Etat constitutionnel. L’ultimatum a expiré, mais la décision de la Cour constitutionnelle est imminente alors que les manifestations ont repris ce lundi.
Pierre Nkurunziza, le fantasque président de la République du Burundi, est-il capable de comprendre vers quel abîme conduit sa logique apocalyptique ? Dimanche soir, rien n’indiquait qu’il ait accepté d’infléchir sa position. Alors que les accords de paix d’Arusha, en août 2000, puis la Constitution du Burundi interdisent un troisième mandat, il persiste à jouer sur les mots : son premier mandat (cinq ans), résultat d’un vote des parlementaires en 2005, ne serait pas concerné. Derrière ces arguties, un plan machiavélique de Nkurunziza et de sa petite oligarchie pour s’accrocher au pouvoir afin de continuer à accumuler des fortunes, tirées de la corruption.
L’opposition ne se laissera plus intimider
Le moyen de parvenir à leurs fins : l’intimidation de l’opposition, et la terreur. En 2010, à l’issue du premier mandat présidentiel, les partis d’opposition avaient préféré ne pas participer au scrutin plutôt que de risquer la guerre civile. La stratégie de Pierre Nkuyrunziza n’a pas varié pour ce nouveau bras de fer : la principale radio privée fermée, ses concurrentes ayant vu bloquer relais en province, les réseaux sociaux coupés, les opposants emprisonnés et malmenés, la police tirant à balles réelles sur les manifestants. Le bilan des violences policières : dix morts ont été enterrés ce week end, pour certains de simples passants tués au hasard ou abattus chez eux. Une stratégie de terreur qui rend caduque la légitimité d’un quelconque scrutin dans les prochaines semaines.
« Cette démarche nous mène tout droit vers l’enfer »
Le Collectif contre un troisième mandat, qui regroupe un millier d’associations de la société civile, les deux syndicats du Burundi et tous les partis d’opposition, a reçu le soutien public de l’ancien président de la République Domitien Ndayizeye lors des obsèques de Jean-Claude Niyonzima : « Je suis venu accompagner une victime de la lutte pour le recouvrement de la démocratie, en particulier la lutte contre le troisième mandat du président de la République ». Jean-Claude Niyonzima avait été tué chez lui par des hommes en uniforme de la police, soupçonnés d’appartenir aux Imbonerakure. Véritable armée privée dépendant directement du président, cette milice des jeunes du parti CNDD-FDD évoque de plus en plus les méthodes et l’agenda des sinistres Interahamwe, bras armé du génocide des Tutsi du Rwanda, et jouit de la même impunité
L’analogie s’arrête là. Au Burundi, il n’y a pas de réel contentieux sur base ethnique. Les négociateurs des Accords de paix d’Arusha avaient rappelé que les extrémistes des deux bords qui tentaient d’importer au Burundi le « modèle » (sic) politico-ethnique rwandais avaient des torts partagés dans l’instrumentalisation de la violence. C’est ce fragile accord de paix que le président Nkurunziza veut mettre à bas, en tentant de resssusciter une confrontation « ethnique » par ses appels à une mobilisation contre la « menace tutsi ». Une logomachie qui ne prend pas dans l’opinion. Pour l’ancien président Domitien Ndayizeye, « les institutions actuelles semblent vouloir enterrer cet accord d’Arusha. Et vous voyez, cette démarche nous mène tout droit vers l’enfer ».
Une révolte sociale massive
Comme au Rwanda à la fin des années 1980, le véritable enjeu est ailleurs : une révolte sociale massive contre une oligarchie corrompue, qui a démontré son incurie dans la gestion du pays. Le Burundi stagne à l’avant dernier rang mondial du revenu moyen par habitant : 90 centimes d’euro par personne et par jour. Cyniquement, le régime a fait fermer la semaine dernière le restaurant universitaire de Bujumbura, puis la cité. Il escomptait que beaucoup d’étudiants, réduits à la famine, seraient obligés de rejoindre leur famille en province et ne grossiraient plus les rangs des manifestants.
La Cour constitutionnelle, ultime palinodie ?
Tout le week end, des représentants de la communauté international ont fait pression sur le président Nkurunziza pour qu’il renonce à briguer un troisième mandat et qu’il rétablisse la liberté d’expression, préalable à des élections libres et reconnues. Le président s’est réfugié derrière un ultime agenda : la saisine par le Sénat de la Cour constitutionnelle, pour se prononcer sur la légitimité d’un pénultième mandat au regard de la Constitution et des Accords d’Arusha. On attend la décision ce lundi ou au plus tard mardi.
Si les juges suprêmes – nommés par le président – avalisent son jusqu’auboutisme, la semaine qui s’ouvre sera celle de tous les dangers. Le Collectif contre le troisième mandat a repris des forces et pourrait inaugurer de nouvelles formes de protestation. Il a trouvé un relatif appui dans l’armée burundaise, qui s’est souvent interposée entre les manifestants et la police la semaine dernière, pour empêcher les policiers de tirer.
Si le ministre burundais de la Sécurité publique qualifie les manifestants de « terroristes », celui de la Défense a réaffirmé la neutralité de l’armée burundaise. Une neutralité qui pourrait tomber, comme au Burkina Faso. Et le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas dit son dernier mot, si le chef de l’Etat s’entête. Disposant d’informations sur l’agenda machiavélique du président du Burundi, il pourrait engager rapidement une procédure devant la Cour pénale permanente visant aussi bien Pierre Nkurunziza que sa clique.
Ce lundi 4 mai, les manifestations ont repris de plus belle à Bujumbura. Selon l’AFP, « dans les quartiers de Musaga et Nyakkabiga, à la suite de violents affrontements, la police a ouvert le feu et tiré à balle réelle sur des manifestants qui jetaient des pierres ». Au moins deux personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées par balle.
Jean-François DUPAQUIER
Merci pour ce article bien fouillé. Décidément les hommes forts de l’Afrique n’ont pas encore compris que le temps a changé. Que sert à l’homme de s’accrocher au fauteuil présidentiel s’il doit mettre son pays à feu et sang? La communauté internationale doit cesser de souffler le chaud et le froid pour dire à Nkuruziza clairement qu’il doit partir avant qu’on ne le fasse partir. Il faut savoir quitter le pouvoir avant que celui-ci ne vous quitte. Comprenne qui peut!