Arrestations d’opposants, expulsion de membres de la FIDH… le pouvoir djiboutien semble se raidir ces derniers mois. Afrikarabia a interrogé Mahamoud Djama, journaliste à « La Voix de Djibouti », un média proche de l’opposition en exil.
Afrikarabia : Nous avons appris ce jeudi 13 avril, l’arrestation du coordinateur pour l’Europe du Mouvement pour le Renouveau démocratique (MRD) à sa descente d’avion à l’aéroport de Djibouti. Est-ce que l’on connaît les raisons de cette interpellation ?
Mahamoud Djama : Il n’y a pas de raison avancée par les autorités djiboutiennes pour l’instant. Ce que l’on sait, c’est que Moustapha Ahmed Ali a été interpellé par des agents de la documentation et de la sécurité (SDS), les renseignements djiboutiens. Il est entre les mains des services secrets, et il n’y a aucun raison invoquée à son arrestation. Comme il s’agit du coordinateur du MRD en Europe, on peut supposer qu’il s’agit de raisons politiques. Moustapha Ahmed Ali n’avait aucun problème judiciaire avec Djibouti. Il était en règle avec ses documents de voyage et il se rendait à Djibouti auprès de sa famille.
Afrikarabia : Le président Ismaël Omar Guelleh avait pourtant déclaré dans une interview à Jeune Afrique se « réjouir » du retour du président du MRD, Daher Ahmed Farah (DAF), à Djibouti en décembre dernier.
Mahamoud Djama : C’est étonnant. On peut, en effet, se poser des questions sur ce qu’il a déclaré dans cette interview. Il faut rappeler que le MRD a été dissous par décret présidentiel. Le parti avait porté l’affaire devant le Haut comité des droits de l’homme de l’ONU, qui avait condamné le régime djiboutien « à rétablir le MRD dans ses droits ». Pour le moment, Djibouti n’a toujours pas appliqué la décision du Haut comité des droits de l’homme et rétabli le parti dans la légalité. Je pense que le régime ne voit pas d’un très bon oeil le MRD organiser à nouveau des réunions politiques et des meetings à Djibouti. Cette arrestation montre qu’Ismaël Omar Guelleh n’a pas abandonné son bras de fer avec le MRD.
Afrikarabia : D’autres arrestations se sont produites au sein de l’opposition djiboutienne, comme celle du chargé de communication de l’Alliance républicaine pour le développement (ARD), Ahmed Ali Mohamed, le 12 avril. Et puis, il y a eu l’expulsion à la mi-mars de deux membres de la Fédération internationale des droits humains (FIDH), dont son vice-président, Alexis Deswaef, qui était en mission dans le pays. Les autorités djiboutiennes ont dénoncé « le manque de neutralité de cette mission ». Que sait-on sur cette expulsion ?
Mahamoud Djama : La mission de la FIDH à Djibouti était de dresser un état des lieux des droits de l’homme dans le pays, avec leur partenaire sur place, la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH). Les autorités étaient informées de cette mission et les deux représentants de la FIDH avaient obtenu leurs visas. Maître Alexis Deswaef est arrivé le premier à Djibouti et a été autorisé à entrer dans le pays. La seconde représentante de la FIDH est arrivée le lendemain à Djibouti, mais elle s’est faite refoulée.
Afrikarabia : Alexis Deswaef avait déjà commencé sa mission à Djibouti ?
Mahamoud Djama : Oui, avec maître Zakaria Abdillahi, ils avaient rencontré des responsables de l’opposition, des syndicalistes, des membres de la société civile et des membres de l’ambassade de France ou des Etats unis. Alexis Deswaef nous a expliqué que tous ses déplacements ont été placés sous surveillance. C’est au bout de deux jours que des agents se sont présentés à son hôtel pour qu’il « explique » sa présence à Djibouti et l’informer « qu’il n’était plus le bienvenu ». Il a ensuite été raccompagné à l’aéroport pour prendre le premier avion pour l’Ethiopie. Les carnets, les notes et la carte SIM du téléphone d’Alexis Deswaef ont été récupérés par les services djiboutiens.
Afrikarabia : Qu’ont répondu les autorités djiboutiennes à ces expulsions ?
Mahamoud Djama : Le ministère de l’Intérieur a d’abord répondu que Djibouti travaillait avec toutes les organisations des droits de l’homme, mais que la personnalité d’Alexis Deswaef posait problème pour avoir été l’avocat de l’opposant et président du MRD, Daher Ahmed Farah. Le dossier sur l’interdiction du MRD devant le Haut comité des droits de l’homme de Genève avait été porté par maître Alexis Deswaef. Ce qui peut expliquer l’expulsion du vice-président de la FIDH. Une seconde version a été avancée par le porte-parole du parti présidentiel. Il a expliqué sur RFI que les deux membres de la FIDH avait des visas de touristes et non des visas de « mission ». Une troisième version a été présentée par l’organisme des droits de l’homme rattaché au gouvernement djiboutien, qui explique qu’elle aurait dû encadrer cette mission. Alexis Deswaef nous a confirmé qu’il n’avait pas un visa de touriste, mais un visa d’affaires pour entrer à Djibouti, le visa de « mission » n’existant pas.
Afrikarabia : De quoi avait peur le pouvoir djiboutien avec cette mission de la FIDH ?
Mahamoud Djama : Djibouti a l’habitude de cette manière d’agir. Je ne pense pas que cette expulsion a été vraiment coordonnée. Quelqu’un a décidé de passer à l’action sans vraiment en calculer les conséquences. Aujourd’hui, on ne peut pas expliquer ce qui ressemble à une action qui ne semblait pas réfléchie. Si Djibouti ne voulait pas de la présence d’Alexis Deswaef sur son sol, les autorités avaient la possibilité de bloquer le vice-président de la FIDH bien en amont.
Afrikarabia : Djibouti accueille d’autres missions d’ONG sur les droits de l’homme ?
Mahamoud Djama : Le ministère a indiqué qu’il travaillait avec toutes les organisations des droits de l’homme. Mais en vérifiant, on s’est rendu compte qu’il ne travaillait ni avec Amnesty international, ni avec Human Rights Watch (HRW). Le seul organisme qui travaillait à Djibouti était la FIDH. Mais maintenant, ses membres sont expulsés !
Afrikarabia : Le parti du président Ismaël Omar Guelleh a remporté haut la main les dernières législatives de février. Cette victoire était annoncée, mais comment expliquer la faiblesse de l’opposition et l’absence de stratégie commune des opposants ?
Mahamoud Djama : Le jeu politique est biaisé à Djibouti. L’acteur principal, le président Guelleh, est en même temps joueur et arbitre. Lorsque l’on voit comment les autorités en arrivent à expulser le vice-président de la FIDH, on peut se demander comment ils peuvent tolérer une opposition à ce régime. Le résultat des législatives était connu avant les élections, les principaux partis d’opposition ayant décidé de boycotter le scrutin. Ce qui est étonnant, c’est que les petits partis d’opposition, qui voulaient tout de même participer aux élections, ont tous été retoqués. Quant à l’opposition « tolérée » par le pouvoir, elle n’a pas pu être présente dans toutes les régions. La victoire de l’UMP du président Guelleh est une victoire par forfait.
Afrikarabia : La stratégie de boycott par l’opposition est-elle la bonne et n’a-t-elle montré ses limites ?
Mahamoud Djama : C’est une sorte de cercle vicieux en effet. L’opposition réclame que les conditions minimales de transparence soient réunies. Ce statu quo convient parfaitement à la majorité présidentielle. Mais en réalité, le jeu est verrouillé pour l’opposition. Le problème, c’est que cela fait croire au reste du monde qu’il y a eu des élections à Djibouti. On se sait pas vraiment comment l’opposition peut sortir de ce cercle vicieux.
Afrikarabia : Au sein de l’opposition djiboutienne, il y a un mouvement armé, le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD-armé), qui a capturé 6 soldats de l’armée le 7 octobre 2022, avant de les libérer le 22 décembre. Un mouvement que l’Assemblée nationale a qualifié de « groupe terroriste ». Quelle est sa stratégie par rapport au reste de l’opposition ?
Mahamoud Djama : C’est un mouvement qui n’est plus vraiment ce qu’il a été à sa création. Il s’est séparé en deux branches lors des négociations après la guerre des années 1990-1991. Une partie a rejoint le camp du pouvoir, en intégrant l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), alors que l’autre partie a continué la lutte armée. Le problème du FRUD-armé est qu’il est composé exclusivement par la communauté Afar. Il n’incarne pas vraiment l’ensemble des Djiboutiens. Le régime se sert de cette division communautaire par se maintenir au pouvoir. Aujourd’hui, les Djiboutiens, qu’ils soient Afars, Somalis ou arabes, ne pensent pas que la solution pour changer le régime passe par la lutte armée. Le risque est que la lutte armée mène à la guerre civile.
Afrikarabia : Djibouti est toujours un pays fracturé, avec de fortes tensions communautaires ?
Mahamoud Djama : Après 45 ans d’indépendance, on a l’impression que les Djiboutiens vivent les uns à côté des autres, mais pas ensemble. Le problème des communautés Afars et Issas, c’est quelles sont aussi en tension en Ethiopie voisine. Au sein de la fédération éthiopienne, chaque communauté possède son territoire. Il y aujourd’hui des Républiques ethniques en Ethiopie, avec une région somalie et une autre afar. Les tensions dues au conflit en Ethiopie ont provoqué d’importants déplacements de réfugiés. La communauté afar, qui vit à Djibouti, voit d’un très mauvais oeil que ces déplacés puissent se réfugier à Djibouti. Ces tensions se sont même retrouvées dans la ville de Djibouti même, avec des échauffourées et des maisons incendiées. Ces communautés ont du mal à vivre ensemble, avec, au Nord les Afarrs, et au Sud les Issas-Somalis. Le seul endroit où les deux communautés vivent ensemble, c’est la capitale et la région de Dikhil. En plus, il y a des quartiers afars et des quartiers issas. Cette séparation ethnique arrange le pouvoir djiboutien qui joue sur cette division au sein des communautés.
Afrikarabia : Dans 3 ans, Djibouti se rendra de nouveau aux urnes pour une nouvelle élection présidentielle. Ismaël Omar Guelleh a promis de ne pas se représenter. Il avait fait le même genre d’annonce avant les dernières élections. Peut-on le croire cette fois-ci et qui pourrait prendre la relève ?
Mahamoud Djama : Peu de Djiboutiens donne du crédit à ce que dit Ismaël Omar Guelleh. Mais la réalité est que le président arrive à un certain âge, où il sera difficile de gouverner. Beaucoup de Djiboutiens pensent qu’il se représentera pour un 6ème mandat, car on ne voit aucun successeur dans le camp présidentiel. Il n’y a aucun dauphin au sein du pouvoir pour l’instant. Si quelqu’un émerge, on a l’impression que cela viendra du côté de la famille présidentielle, plutôt que de l’UMP.
Afrikarabia : La Chine est-elle toujours influente à Djibouti ?
Mahamoud Djama : Le rôle de la Chine continue de se développer. La Chine reste le principal créancier de Djibouti. Le gouvernement djiboutien est tenu par la dette et n’a pas vraiment le choix. Si Djibouti a besoin d’argent frais, d’investissements, c’est vers la Chine qu’il se tourne.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia
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