A Bujumbura, après le viol de la Constitution par le président Pierre Nkurunziza, le régime multiplie les arrestations d’opposants pour tenter de juguler la protestation populaire mais l’armée se pose en arbitre. Alors que Washington hausse le ton, Paris réagit de façon prudente, sinon timorée.
Depuis la décision samedi du Congrès extraordinaire du parti CNDD-FDD de valider la candidature du chef de l’Etat Pierre Nkurunziza pour briguer un troisième mandat en violation de l’Accord de paix d’Arusha et de la Constitution, les manifestations se multiplient à Bujumbura. Dimanche, au moins deux manifestants ont été tués par balle lorsque la police s’en est prise violemment à des groupes de jeunes manifestants –voir notre article.
A la suite de ces événements, le Département d’Etat américain a exprimé ses « profonds regrets du mépris du Burundi des Accords d’Arusha »[i], une formulation très dure. Plusieurs pays occidentaux ont indiqué leur « préoccupation » devant la volonté de Pierre Nkurunziza de s’accrocher au pouvoir. Cependant, le ministère des Affaires étrangères s’est singularisé par une approche beaucoup plus prudente, pour ne pas dire timorée, comme il apparaît au compte rendu officiel du point de presse du lundi 27 avril :
Question de journaliste sur le Burundi : « après deux morts ce week-end lors d’une manifestation contre la candidature du président à un 3ème mandat, Washington a menacé les autorités de sanctions si le processus électoral n’était pas régulier. La France est restée de son côté silencieuse. Un commentaire ? »
Réponse du porte-parole du ministère des Affaires étrangères Romain Nadal : « la France prend note de la désignation du président Pierre Nkurunziza comme candidat de la formation politique au pouvoir à un troisième mandat. Elle déplore les affrontements survenus hier et exprime ses condoléances aux familles des victimes. Toute la lumière devra être faite sur ces violences. La France rappelle l’impérieuse nécessité d’élections transparentes et pacifiques dans le respect de la constitution. Il est essentiel de sauvegarder, dans un esprit de réconciliation, les progrès accomplis par le pays depuis dix ans ».
Washington « condamne », Paris « déplore »
Demander aujourd’hui que les prochaines élections soient « transparentes et pacifiques » au Burundi manque de réalisme et paraît singulièrement en retrait des attentes de la population, alors que le pouvoir fait tout pour museler l’opposition et empêcher le dépôt de candidatures crédibles d’opposants dans le délai de deux semaines imparti.
Ainsi, Pierre Claver Mbonimpa, un militant des droits de l’homme très populaire et respecté, qui avait appelé à manifester, a été arrêté lundi matin. Au total, environ 320 personnes ont été arrêtées et les derniers chefs de l’opposition en liberté sont traqués. Un mandat d’arrêt a été émis contre Vital Nshimirimana, le principal organisateur de la campagne de manifestations anti-Nkurunziza.
Dans la journée de lundi, le pouvoir a fait fermer la Radio publique africaine (RPA) principale radio privée au Burundi, très populaire.
Un scénario « à la Burkina-Faso » semble se développer où l’armée pourrait avoir le dernier mot en choisissant le camp du refus. Lundi, le régime a dû se résigner à modérer la police anti-émeutes, dont les bavures ne font qu’aggraver la colère populaire, au profit des militaires, qui sont applaudis par les manifestants.
L’armée burundaise se pose en arbitre
Selon l’envoyée spéciale de RFI Sonia Rolley, « Si les manifestants, des jeunes pour la plupart, affrontent la police pour l’empêcher d’entrer dans les ruelles des quartiers, les militaires déployés dans la capitale burundaise y circulent librement. L’armée, qui s’interpose lorsque des camions anti-émeutes tentent d’entrer dans les quartiers, a même été acclamée par la population. Les manifestants disent que « la police est du côté du pouvoir, l’armée est du côté du peuple ». L’armée, elle, dit que sa mission est différente de celle de la police. »
Cette mission d’interposition semble traduire les fractures apparues au sein du régime ces dernières semaines, et les applaudissements des manifestants sonner le glas du régime. Blaise Compaoré n’est pas tombé autrement. La décision précipitée du Congrès extraordinaire du parti CNDD-FDD de valider la candidature de l’ubuesque Nkurunziza pour un troisième mandat pourrait, dans les prochains jours sinon les prochaines heures, tourner à la catastrophe pour le président et ses séides.
Jean-François DUPAQUIER
[i] En anglais : « U.S. Deeply Regrets Burundi’s Disregard for the Arusha Agreement »
consultable sur : http://m.state.gov/md241109.htm