L’attaque de Lubumbashi par les rebelles sécessionnistes Bakata Katanga en mars dernier, souligne l’incapacité de l’Etat congolais à assurer son autorité dans certaines provinces. Selon Marc-André Lagrange, d’International Crisis Group (ICG), cet incident pointe non seulement la faillite de l’Etat, mais aussi les différentes réformes manquées par le président Kabila depuis 2006, et notamment celle de la décentralisation.
La guerre du Nord-Kivu qui oppose depuis le mois d’avril 2012, les rebelles du M23 au gouvernement congolais a éclipsé de nombreuses autres zones d’instabilités en République démocratique du Congo. Parmi elles, la riche province minière du Katanga. Le 23 mars dernier, la capitale provinciale, Lubumbashi, est investie par 400 rebelles Maï-Maï « Bakata Katanga« , un groupe armé revendiquant l’indépendance du Katanga. Les autorités congolaises paraissent rapidement débordées par les événements et laissent entrer sans résistance les rebelles dans Lubumbashi. Après plusieurs heures de panique, les Nations unies réussissent finalement à négocier la reddition du groupe, qui est rapidement transféré vers Kinshasa. Bilan des affrontements : 35 morts et 53 blessés. Un général et un chef de la police ont été suspendus pour « manquement graves dans l’exercice de ses fonctions« . Fin de l’épisode.
« Un déficit abyssal de sécurité«
Dans une analyse publiée par l’International Crisis Group (ICG), Marc-André Lagrange, revient sur les événements de Lubumbashi, qui sont révélateurs « de l’effondrement de la capacité du régime congolais à gouverner« . Pour ce spécialiste de la région, l’autorité de l’Etat congolais « se réduit comme peau de chagrin« . De nombreux groupes armés défient désormais Kinshasa dans différentes provinces. Au Nord-Kivu, ce sont les rebelles du M23 qui font la loi. Ils ont même occupé la ville de Goma pendant plusieurs jours, fin 2012. En Province orientale, ce sont les Maï-Maï Morgan qui sévissent, alors qu’au Sud-Kivu, le Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et les Maï-Maï Yakutumba ont repris du service. D’autres groupes, comme les Raïa Mutomboki au Nord et Sud Kivu et les Maï-Maï de Gédéon au Katanga, règnent désormais en maître dans certains territoires. Le chercheur pointe évidemment le « déficit abyssal de sécurité » de la RDC, mais pour Marc-André Lagrange, « s’il n’est pas surprenant que le gouvernement néglige la sécurité de ses populations, il est plus surprenant qu’il ne sécurise pas le poumon économique du pays« . La province du Katanga est effectivement la plus riche du pays, notamment grâce au cuivre dont regorge son sous-sol.
Les « gagnants » et les « perdants » de la décentralisation
Pour justifier les revendications sécessionnistes des Maï-Maï Bakata Katanga, Marc-André Lagrange, avance une autre explication que la simple « tradition » indépendantiste de la province . Il s’agit d’une « réforme clé » du mandat du président Joseph Kabila, qu’il n’a jamais fait aboutir : la décentralisation. La réforme prévoit la division du pays en 24 provinces (contre 11 actuellement) et un partage des revenus fiscaux entre l’Etat (60%) et les provinces (40%). Le Katanga est choisi comme « province test« , début 2013, pour lancer la réforme de la décentralisation. Le Katanga serait alors découpé en quatre « sous-provinces« . Selon le chercheur d’ICG, il y aurait les « perdants » de la réforme (le Nord de la province) et les « gagnants » (le Sud où est concentrée l’activité minière). Pour Marc-André Lagrange, « l’attaque de Lubumbashi par des Maï-Maï favorables à l’indépendance du Katanga n’est certainement pas une coïncidence« . Selon lui, « ces combattants ne sont souvent que le bras armé des politiciens locaux pour faire pression sur le gouvernement central« .
Après les Kivus, Kabila lâché par les Katangais
L’autre victime collatérale de l’attaque de Lubumbashi, s’appelle Joseph Kabila. International Crisis Group rappelle « qu’après avoir perdu ses soutiens dans les Kivus en 2011 suite à l’intégration du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) dans l’armée« , le président congolais « s’est aliéné une partie de l’élite politique » katangaise en annonçant la décentralisation dans la province. ICG explique que « le clan des Katangais« , proche du président Kabila « s’entredéchire » désormais. Après la mort de son principal conseiller et mentor, le katangais Katumba Mwanke, en février 2012, Joseph Kabila serait désormais lâché par « les fédéralistes« , comme Jean-Claude Mayembo, le président de la Solidarité congolaise pour la démocratie (SCODE) ou Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le turbulent président de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (UNAFEC). Toujours selon ICG, même Daniel Ngoy Mulunda, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, « d’après certains, aurait joué un rôle clé dans la victoire de Kabila, aurait publiquement accusé » Joseph Kabila « d’ingratitude devant l’assemblée provinciale du Katanga« .
« Un pouvoir dépendant de soutiens extérieurs«
Que reste-t-il au président Joseph Kabila pour asseoir son autorité en RDC ? Visiblement plus grand chose à en croire l’analyste Marc-André Lagrange. L’Etat central n’existe plus et les provinces, de plus en plus « indépendantes« , gèrent les problèmes sécuritaires avec des partenaires extérieurs. Dans l’affaire des Maï-Maï Bakata Katanga de Lubumbashi, c’est en effet le gouverneur du Katanga et la mission des Nations unies au Congo (Monusco) qui ont obtenu leur reddition. « Une fois de plus, les Nations unies et le pouvoir local ont dû se substituer à un gouvernement absent« , souligne Marc-André Lagrange. Dans l’autre dossier « chaud » congolais, celui du Nord-Kivu et des rebelles du M23, là encore, le président Kabila s’en remet à « des acteurs extérieurs » pour gérer la crise. Les autorités congolaises attendent en effet leur salut de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et de l’arrivée de la brigade spéciale d’intervention de l’ONU, pour lutter contre les groupes rebelles. Après « sept ans de régime kabiliste« , ICG note que « les capacités de gouvernance institutionnelle sont toujours très faibles » et que le pouvoir est « complètement dépendant de soutiens extérieurs » et d’un système de gouvernance par substitution« .
Christophe RIGAUD – Afrikarabia