La Commission électorale (CENI) annonce vouloir mettre en place le vote électronique lors des prochains scrutins. Une déclaration surprise qui pourrait justifier un nouveau report des élections.
Engluée dans une crise pré-électorale interminable, la République démocratique du Congo (RDC) avait-elle besoin de ça ? Alors que le président Joseph Kabila a achevé son mandat fin décembre sans pouvoir organiser les élections et que le pays attend toujours un hypothétique calendrier électoral, la CENI vient de jeter un nouveau pavé dans la mare : la possible arrivée du vote électronique. L’annonce surprise laisse plutôt sceptique dans un pays grand comme 5 fois la France, sans infrastructure, dont le taux d’électrification est de 9% et qui n’arrive pas à boucler son budget. Enfin, comment ne pas être inquiet par l’introduction de ce nouveau mode de vote, alors que les élections de 2011 se sont soldées par un fiasco électoral doublé d’une fraude massive.
Le 25 août dernier, le président de la Commission électorale, Corneille Nangaa, a présenté un prototype de kit de vote électronique aux membres du Conseil national de suivi de l’accord (CNSA). Cette organisme est censé surveiller la mise en place du compromis politique signé en décembre 2016 et devant déboucher sur des élections fin 2017. Mais déjà, la CENI et le CNSA ont prévenu que la présidentielle ne pourrait se tenir dans les délais et serait sans doute reportée sans fixer de nouveau calendrier. La mise en place du vote électronique pourrait-elle accélérer le mouvement ? Pas vraiment à en croire Corneille Nangaa, qui a pourtant vanté les bienfaits de ce nouveau système de vote. L’instauration de cet outil devrait permettre d’accélérer la publication des résultats, mais surtout de « réduire les coûts excessifs des élections ». Deux affirmations qui laissent certaines organisations société civile septiques.
Pas économique… et pas légal !
Pour l’Aprodec, une association en pointe sur les questions électorales, l’instauration du vote électronique « ne s’improvise pas » et constitue « une supercherie ». La Belgique ou la France, qui ont testé le vote électronique, n’ont jamais voulu généraliser le procédé par manque de fiabilité. Quant à une possible économie réalisée par la mise en place de ce vote, l’Aprodec souligne que le marché attribué à la société Smartmatic en Belgique a été estimé à 38 millions d’euros. Mais ce qui étonne le plus l’association, c’est le maintien du vote papier en plus du vote électronique. Premièrement, ce n’est évidemment pas économique, mais surtout ce n’est pas légal, puisque l’article 47 de la loi électorale prévoit que le vote s’effectue, « soit au moyen d’un bulletin papier, soit par voie électronique ».
Selon l’association, « la décision précipitée » de la CENI pour instaurer le vote électronique « conduira inévitablement à un surcoût ». « Il faudra concevoir un logiciel, assurer la maintenance et l’assistance le jour du scrutin » explique l’Aprodec, mais surtout, le vote électronique « conduira à de nouveaux retards dans la préparation des élections ». Passation de marché public, déploiement du nouveau système de vote aux quatre coins du pays, formation du personnel… les occasions pour retarder de nouveau l’élection présidentielle ne vont pas manquer. Enfin, précise l’association, « vu le climat de méfiance entre les parties prenantes et la CENI (que l’opposition accuse de travailler au maintien au pouvoir de Joseph Kabila), il faudra que l’introduction du vote électronique soit encadré par une loi ». En janvier 2015, le pouvoir en place à Kinshasa avait déjà cherché à retarder les élections en liant la tenue du scrutin au recensement de la population. Mais face aux violentes manifestations populaires qui avaient fait une cinquantaine de morts, le pouvoir avait reculé. L’instauration du vote électronique n’a pour l’instant pas soulevé les foules, mais elle a pourtant un même objectif : prolonger la présidence Kabila le plus longtemps possible.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
J’ai à tout hasard retenu quatre points de commentaires qui, si besoin était encore, déconsidèrent ce choix fort suspect ::
1° Comme démontré ci-dessus, l’argument d’un éventuel moindre coût des élections avec le vote électronique ne tient pas, au contraire…. Qu’en conclure alors d’un Congo en mal des capacités de financement qui a tant besoin de minimiser les dépenses électorales ?
2° De même la fiabilité du vote électronique n’est pas attestée, ainsi beaucoup de pays développés en sont arrivés à ne pas l’adopter ; que dire alors d’un vaste Congo dont les aptitudes et moyens techniques sont absents et où les immenses campagnes inaccessibles et dépourvues des moyens numériques poseraient des graves problèmes de réalisation dans ce cas ?
3° Pas mieux sur un improbable gain de temps, au contraire le recours au vote électronique allongerait significativement les délais du processus, il faut être aveugle volontaire pour ne pas voir cette évidence (obtentions logistiques, formations) et complètement fanatique du pouvoir pour se laisser ainsi tromper…
4° Un point que souligne peu cette analyse c’est la manipulation programmatique possible avec le numérique : il a été démontré ailleurs qu’il est possible de « programmer les logiciels » dans le but délibéré d’orienter les résultats dans un sens, (avant l’annulation par la Cour Suprême de l’élection présidentielle du Kenya, l’opposition a évoqué une tricherie de ce type), la méfiance légitime face à un régime ouvertement désireux de se maintenir par des moyens anticonstitutionnels nous pousse davantage à soupçonner le pouvoir d’un tel délit que le vote électronique pourrait mieux favoriser…
Au final, c’est bien curieux et fort suspect qu’en pleine course avancée du processus, le pouvoir (en effet la Ceni n’est autre que sa voix) nous sorte subitement ce « cadeau empoisonné » qui nous sauverait de bien des obstacles connus (« Timeo Danaos et donna ferentes »)…
Quel est l’objectif caché d’un recours soudain à un outil technique qui jusque-là n’avait jamais été convoqué ? A qui va-t-il profiter réellement ? On vient de le voir pas au pays ni financièrement ni question des délais ni techniquement… mais bien au pouvoir dont le souhait de retarder ou de fausser les scrutins n’est plus un tabou;
A Bon entendeur…