La nomination de l’opposant dissident Joseph Olenghankoy à la tête du mécanisme de suivi de l’accord politique de la Saint-Sylvestre ne fait pas consensus. Il est notamment accusé de faire de jeu du président Kabila qui cherche de nouveau à retarder les élections.
La stratégie de sape de l’opposition et du processus électoral par le pouvoir en place à Kinshasa se poursuit. Dernier épisode en date : la nomination du très attendu Conseil national de suivi de l’accord (CNSA) et de son président, censés surveiller la mise en oeuvre du compromis de la Saint Sylvestre mais également la difficile organisation du processus électoral avant la fin 2017. Il aura pourtant fallu attendre 3 mois pour voir enfin naître l’organisme de suivi qui doit mettre un terme à la crise politique en République démocratique du Congo (RDC). Depuis la signature de l’accord du 31 décembre 2016, la nomination du nouveau gouvernement aura pris 5 mois et la désignation des membres du CNSA 3 mois. Au final, ce sont 8 mois de perdu, alors qu’aucun calendrier électoral n’a encore été publié.
Une instance boudée par le Rassemblement, l’UNC et le MLC
Avec la nomination de Joseph Olenghankoy à la tête du CNSA le 22 juillet dernier, Joseph Kabila poursuit sa stratégie de confier à des dissidents de l’opposition les principaux postes de la transition politique. Une volonté de débauchage qui continue de couper l’herbe sous le pied au Rassemblement de l’opposition, le fragmentant un peu plus à chaque nouvelle nomination. Alors que le Rassemblement attendait Félix Tshisekedi à la Primature, Joseph Kabila a préféré Bruno Tshibala, à la tête d’une aile dissidente de la plateforme qu’il pilote avec … Joseph Olenghankoy. Logiquement, c’est donc ce dernier qui a été choisi pour diriger le CNSA plutôt que de confier l’organisme de surveillance aux deux autres favoris : Vital Kamerhe (UNC) ou Eve Bazaïba (MLC). Un choix, certes salué par la Majorité présidentielle (MP), mais déjà fortement contesté par l’opposition. L’UNC, qui n’a pas été associée à la désignation du mécanisme de suivi, a aussitôt estimé que la nomination d’Olenghankoy « violait l’accord du 31 décembre » et Vital Kamerhe a refusé le poste de vice-président qui lui était attribué. Idem pour le MLC, représenté par Eve Bazaïba, qui s’est retiré de l’instance. Quant au Rassemblement de l’opposition de Félix Tshisekedi et Pierre Lumbi (UDPS et G7), il « ne se sent pas concerné par la mise en place du CNSA ». Pour ce mouvement, le nouveau président est « une escroquerie » censée « tromper l’opinion en faisant semblant d’appliquer l’accord du 31 décembre ».
Le CNSA peut valider un nouveau report des élections
La nomination attendue d’un président du CNSA devait pourtant calmer et rassurer l’opposition sur la tenue de la prochaine élection présidentielle qui devrait se tenir en décembre. Mais la nomination de Joseph Olenghankoy a plutôt exacerbé les tensions. Car c’est bien le CNSA, en accord avec la Commission électorale (CENI), qui est le seul organisme en mesure de décider d’un possible report des élections, scénario le plus probable à ce jour. Car sur ce dossier, la tenue de la présidentielle en décembre 2017 semble bien mal engagée. Alors que le président de la CENI a déjà fait part de l’impossibilité d’organiser le scrutin avec la fin de l’année, Joseph Olenghankoy, pas encore président du CNSA, s’était déjà exprimé sur un possible nouveau glissement du calendrier électoral « au-delà de 2017 ». En cause : les retards accumulés dans l’enrôlement des électeurs dans les provinces des Kasaï du fait des violences de ces derniers mois, mais aussi par le manque de moyens financiers dont dispose la CENI. Les caisses sont vides, et le gouvernement doit trouver 750 millions de dollars pour terminer l’enregistrement des électeurs et surtout pour organiser le scrutin. Pas sûr donc que le pouvoir s’empresse de débloquer les sommes nécessaires à provoquer son remplacement !
CNSA, CENI et Cour constitutionnelle « sous contrôle »
Joseph Kabila a donc bien verrouillé son dispositif pour retarder de nouveau les élections et continuer de s’accrocher au pouvoir. Bruno Tshibala, le Premier ministre et Joseph Olenghankoy, le patron du CNSA, sont bien issus de l’opposition, mais comme l’actuel chef de l’Etat, ils n’ont aucun intérêt d’accélérer un processus électoral qui provoquer une alternance politique qui les ferait aussitôt disparaître. Joseph Kabila s’est d’ailleurs assurer un parfait contrôle à distance du CNSA en s’autorisant à « valider » les noms de tous les membres de l’organisme de suivi avant la nomination de l’exécutif. De la Cour constitutionnelle, qui a validé le maintien au pouvoir de Joseph Kabila au-delà de son dernier mandat « jusqu’à l’élection du nouveau président élu », en passant par la CENI, dont les cordons de la bourse sont tenus par le gouvernement, et maintenant le CNSA… le président congolais peut encore souffler un peu et s’assurer de pouvoir encore rester de longs mois dans son siège présidentiel.
… 12 mois de retard ?
Dans les cercles gouvernementaux, on assure que le scrutin ne devrait pas se tenir avant le printemps 2018, justifiant ce report par les atermoiements de l’opposition à se mettre d’accord sur la nomination du Premier ministre (le gouvernement Tshibala a en effet mis 5 mois à voir le jour). Mais en fait, on pourrait largement atteindre les 12 mois de retard et envisager un possible scrutin fin 2018. Joseph Kabila, Majorité présidentielle et opposition gouvernementale, pourraient ainsi s’offrir 2 années de pouvoir supplémentaires… sans pour autant garantir à l’issue une alternance politique pacifique. Car en plus de la crise politique qui couve depuis 2014 en RDC, le pays est désormais secoué par une nouvelle crise sécuritaire dans les Kasaï et une crise économique qui voit le Franc congolais s’effondré, plongeant la majorité de la population dans d’importantes difficultés de subsistance. Une situation explosive qui pourrait bien voir les Congolais perdre patience… et ne pas attendre fin 2018 pour vivre l’alternance politique.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia