Le XIVe Sommet de la Francophonie doit se tenir à Kinshasa en octobre prochain. Un bien mauvais endroit et un très mauvais moment pour le président François Hollande, qui hésite encore à se rendre en République démocratique du Congo (RDC). Paris a demandé des gages à Kinshasa sur le dossier des élections « frauduleuses » de 2011 et le procès Chebeya. Il semble peu probable que les autorités congolaises fassent la moindre concession. En se rendant à Kinshasa, François Hollande sera perdant sur tous les tableaux. Explications.
A deux mois du Sommet de la Francophonie de Kinshasa, fixé en octobre prochain, la venue de François Hollande dans la capitale congolaise fait toujours débat. Depuis les « graves irrégularités » des élections de novembre 2011, dénoncées par la mission de l’Union européenne, le nouveau président français semblait hésiter à se rendre à Kinshasa. L’opposition congolaise, soutenue par de nombreuses ONG internationales étaient vent debout pour dénoncer le régime du président Joseph Kabila. Un régime, qui « n’est pas un Etat de droit, mais policier« , selon le principal parti d’opposition, l’UDPS. Pour les opposants au président Kabila, le Sommet de la Francophonie « n’a rien à faire à Kinshasa, un pays où l’on truque les élections et où on assassine les militants des droits de l’homme« .
Deux dossiers « chauds »
Le 9 juillet, après une rencontre entre François Hollande et Adbou Diouf, à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), l’Elysée estimait que « les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) doivent démontrer leur réelle volonté de promouvoir la démocratie et l’Etat de droit ». Deux dossiers sont particulièrement embarrassants pour le nouveau président français. Il y a tout d’abord les élections « frauduleuses » de novembre 2011, qui nécessitent une réforme complète de la CENI (la Commission électorale) et le départ de son président Daniel Ngoy Mulunda, jugé trop proche de Joseph Kabila. Le deuxième dossier concerne le procès de l’assassinat du militant des droits de l’homme, Floribert Chebeya, qui doit aller à son terme. Toutes les pistes convergent vers la mise en accusation de John Numbi, le chef de la police. Mais cet ancien bras droit du président Kabila chargé de la sécurité, n’est toujours pas arrêté.
« Kabila ne lâchera pas Mulunda »
Paris a donc souhaité que Kinshasa donne rapidement des gages de bonne volonté sur ces deux dossiers. Selon un spécialiste bien informé de la région, il semblerait que Kinshasa ne fera aucune concession sur ces deux sujets. Concernant la réforme de la CENI, toujours d’après ce spécialiste, « Kabila ne veut pas lâcher Mulunda« , le très contesté président de la CENI et ce, « malgré les fortes pressions internationales« . Un projet de loi serait pourtant à l’étude à l’Assemblée nationale pour le 15 septembre. Compte tenu de l’importance du sujet, il y a donc peu de chance que ce projet soit voté avant la tenue du Sommet, prévu le 12 octobre. Le « toilettage » de la CENI se fera donc « à minima« , le projet de réforme proposé par l’opposition en juin 2012 étant déjà très timide. Du coup, le calendrier électoral reste toujours au point mort, avec un grand point d’interrogation concernant la tenue des élections provinciales, qui bloquent par conséquent, la bonne marche du Sénat. Côté financier, les bailleurs ne sont toujours pas au rendez-vous, devant le flou électoral maintenu par Kinshasa. Sur ce dossier, il y a donc peu de chance que Paris obtienne des actes forts de la part de Kinshasa. Et si concessions il y a, « elles seront cosmétiques » selon ce spécialiste.
Numbi arrêté et… relâché
Le deuxième dossier brûlant entre Paris et Kinshasa concerne le procès Chebeya qui passe actuellement en appel. L’assassinat de ce célèbre militant des droits de l’homme en juin 2010 avait profondément choqué l’opinion internationale. L’enjeu principal de l’appel consiste à remonter à John Numbi, le « commanditaire » présumé du meurtre. Chef de la police congolaise à l’époque, Numbi était aussi le monsieur sécurité du président Kabila. Mis « au vert » par Kabila lui-même, les parties civiles demandent sa comparution devant le tribunal… en vain. Paris souhaitait également dans ce dossier que la justice puisse faire son travail. Mais il y a peu de chance de retrouver John Numbi dans le box des prévenus. Il y a déjà eu une tentative d’arrestation (peu médiatisée) de Numbi à la mi-juillet 2012 à Lubumbashi, au Katanga. L’ancien chef de la Police a été brièvement interpelé pendant deux jours, puis relâché après « une longue discussion avec Joseph Kabila« . Comme Mulunda, il semble donc peu probable que le président congolais laisse tomber Numbi après l’épisode de la tentative d’arrestation.
Le dossier rwandais s’invite à Kinshasa
Autre mauvais timing : la reprise de la guerre à l’Est de la RDC, où une rébellion, le M23, soutenue par le Rwanda, tient tête à l’armée congolaise au Nord-Kivu. La rébellion contrôle plusieurs localités, dont Bunagana et Rutshuru. Le Sommet de la Francophonie constituera la première sortie africaine de François Hollande. Le nouveau président français va donc se rendre dans un pays virtuellement en guerre contre son voisin rwandais, ce qui pose évidemment un sérieux problème pour la France, compte tenu des relations orageuses entre Paris et Kigali, depuis le génocide de 1994. La guerre à l’Est, met François Hollande dans un embarras politique certain, d’autant que la RDC a poussé Paris à prendre des positions publiques contre le Rwanda. Pour François Hollande, le Sommet de Kinshasa se déroule donc au mauvais moment, au mauvais endroit.
Selon des observateurs de la région, François Hollande sera « perdant-perdant » en rendant à Kinshasa. Selon un spécialiste, « le président français risque de perdre sur tous les tableaux : sur les concessions qu’il n’obtiendra pas, sur le dossier rwandais et enfin (peut-être le plus important) sur ses propres principes (démocratie, bonne gouvernance, droits de l’homme… ) ». Faire le Sommet de la Francophonie à Kinshasa, c’est « récompenser les mauvais élèves au détriment des bons« . Toujours selon ce spécialiste, « d’autres pays auraient d’ailleurs pu accueillir le Sommet de la Francophonie : le Sénégal, où les élections se sont déroulées convenablement ou encore en Tunisie, où il faut au contraire appuyer une transition politique. La solution aurait pu être de délocaliser le Sommet comme pendant la crise de Madagascar en 2010 » (le Sommet s’était tenu en Suisse, ndlr).
Décision « imminente »
La diplomatie ayant horreur de la « chaise vide« , le boycott du Sommet de la Francophonie semble exclu par le président français, « personne ne comprendrait » aurait-on dit à l’Elysée. Reste la délocalisation ou le discours « musclé » sur la démocratie et les droits de l’homme. La première solution serait sûrement la bonne, mais un peu tardive, la seconde risque de placer François Hollande devant ses propres contradictions : vouloir donner une « leçon à l’Afrique« , comme un certain Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia