Une semaine pour convaincre. Une délégation de la rébellion du M23 vient d’effectuer une tournée de 8 jours à travers les capitales européennes pour tenter d’expliquer le bien fondé de son mouvement. Les rebelles défendent la « bonne gouvernance » des territoires qu’ils administrent et leur volonté de négocier avec Kinshasa. Rencontre à Paris avec le chef de la délégation, Stanislas Baleke.
Paris, Bruxelles, Londres et l’Allemagne… le M23 soigne son image aux quatre coins de l’Europe. Une délégation de la rébellion congolaise, en lutte contre le pouvoir central de Kinshasa depuis avril 2012, s’est rendue dans les principales capitales européennes. Objectif : expliquer et si possible convaincre une communauté internationale et une opinion publique généralement frileuses aux mouvements armés. Le M23 a en envoyé en Europe la branche politique du mouvement. Et pour faire dans la pédagogie, rien de mieux qu’un professeur pour délivrer le message. Le chef de la délégation s’appelle Stanislas Baleke, docteur en Sciences-sociales et en philosophie.
– Afrikarabia : Quelle est la raison de votre présence en Europe ?
– Stanislas Baleke : Nous sommes ici pour expliquer notre lutte contre le gouvernement de Kinshasa. Nous voulons aussi clarifier tout ce qui est dit sur le M23 qui n’est en général que diffamation. Toutes les affabulations de Kinshasa n’ont rien à voir avec la réalité. Nous invitons tout ceux qui veulent connaître la vérité à venir voir sur le terrain ce qui se passe vraiment.
– Afrikarabia : Vous avez l’impression que votre mouvement n’est pas bien compris ici en Europe ?
– Stanislas Baleke : Nous ne sommes pas bien compris parce qu’il n’y a qu’une seule voix qui se fait entendre : celle du gouvernement congolais. Quand il y a deux acteurs, je crois qu’il n’est pas mauvais d’écouter tout le monde. Nous avons l’impression que l’opinion congolaise et internationale se trompent sur le M23.
– Afrikarabia : Les troupes du M23 contrôlent de nombreuses localités au Nord-Kivu dont Bunagana et Rutshuru. Dans quelles conditions vit la population dans ces territoires que vous administrez ?
– Stanislas Baleke : Notre objectif est de montrer au peuple congolais qu’il est possible de vivre en sécurité. Dans les zones contrôlées par le M23, la population peut dormir avec les portes ouvertes, on peut circuler librement sans se faire inquiéter. Jamais on entendra parler de viols ou de pillages dans les zones que nous contrôlons. Jamais on ne verra de milices FDLR (rebelles hutus rwandais qui sévissent dans l’Est de la RDC depuis la fin du génocide rwandais, ndlr). C’est cet exemple là que nous voudrions donner au reste du pays.
– Afrikarabia : On accuse la rébellion du M23 d’avoir créé un regain de violence à l’Est de la République démocratique du Congo et surtout d’avoir réactivé tous les autres groupes armés, comme les groupes d’auto-défense Maï-Maï ou même les FDLR ?
– Stanislas Baleke : Les personnes qui portent ces accusations ne connaissent l’histoire récente de la RDC. Celui qui créé la violence ce n’est pas le M23. Le 26 novembre 2011, lorsque Etienne Tshisekedi (1) a voulu faire sa campagne électorale, il y a eu des arrestations, violences, plus de 140 morts… ce n’est pas une violence ça ? Qui a tué Floribert Chebeya ? (2), ce n’est pas un violence ? Qui a tué Armand Tungulu ? (3), ce n’est pas une violence ? Tous ces journalistes tués, toutes ces arrestations d’opposants… Tous ces groupes armés dont vous parlez existaient bien avant l’apparition du M23 (en avril 2012, ndlr). On sait très bien qui arme ces groupes armés : la RDC. Il faut chercher les causes de la violence. Le président Olusegun Obasanjo (Nigéria, ndlr) l’a d’ailleurs bien dit : « les causes de la violences se trouvent en RDC et la solution se trouve en RDC ». Le M23 n’a fait que réagir, de façon musclée certes, parce que nous avons un gouvernement autiste ! Kinshasa est incapable d’entendre la voix de la raison. En France, vous pouvez faire une conférence contre le président Hollande, il ne va rien vous arriver. En RDC, vous serez enlevé avant la fin de la conférence ! Il est impossible de manifester librement en RDC. Lorsqu’il n’y a aucun moyen d’expression, aucun espace pour s’exprimer, vous faites quoi ? Le M23 a compris qu’il faut répondre avec les mêmes armes que le gouvernement. Voilà pourquoi nous avons pris les armes.
– Afrikarabia : Vous demandez à négocier avec Kinshasa, notamment sur le respect et l’application des accords de paix du 23 mars 2009. Le gouvernement refuse et dit ne pas vouloir négocier avec des rebelles. Ces négociations avec Kinshasa vous paraissent inévitables ?
– Stanislas Baleke : C’est notre volonté. Il faut savoir que militairement, nous avons montré de quoi nous sommes capables (les soldats du M23 se trouvent à une vingtaine de kilomètres de la ville de Goma qu’ils disent vouloir prendre si le gouvernement refuse toujours de négocier, ndlr). Chaque fois que l’armée congolaise apprend que le M23 arrive, ses soldats ne prennent même pas la peine de se battre… ils s’enfuient. Militairement, nous sommes donc capables d’atteindre notre objectif, quand nous le souhaitons.
– Afrikarabia : Le M23 revendique l’application des accords du 23 mars 2009, mais l’opposition estime que le contenu de cet accord a été « délibérément caché par Joseph Kabila aux institutions et à la population ». Elle demande la mise en accusation pour « haute trahison » du président Kabila. L’opposition congolaise a-t-elle raison ?
– Stanislas Baleke : Au-delà de l’application des accords du 23 mars, nous demandons également la clarté et la transparence des élections présidentielles du 28 novembre 2011 qui ont vu l’élection d’Etienne Tshisekedi à la présidence de la république congolaise (4). Mais revenons aux accords du 23 mars. Le président de l’Assemblée nationale été « démissionné » pour avoir dénoncé cette façon peu cavalière de traiter cette affaire. Constitutionnellement, l’Assemblée nationale devait autoriser le président à signer cet accord avec le Rwanda. Elle ne l’a pas fait. L’entrée des troupes rwandaises sur le sol congolais a en effet été traitée en toute opacité. La RDC a accordé l’entrée des soldats rwandais au Congo alors qu’elle savait qu’à maintes reprises le Rwanda avait été condamné par la communauté internationale pour avoir pénétré illégalement sur le sol congolais. Tout cela a donc été fait en toute opacité. C’est donc une preuve palpable de « haute trahison ». L’opposition a tout à fait raison de l’accusé de « haute trahison », c’est légitime. Le problème c’est que Kinshasa a oublié que, quand on signe un accord on le respecte.
– Afrikarabia : Est-ce-que le M23 compte parmi ses soutiens le colonel John Tshibangu qui a fait défection au Kasaï et que le gouvernement accuse de vous avoir rallié ?
– Stanislas Baleke : Tshibangu ne constitue pas un soutien au M23. Cependant, il se trouve que Tshibangu a travaillé au Nord-Kivu et connait très bien les officiers du M23 et on travaille en parfaite collaboration. On partage la même analyse, c’est à dire : rétablir l’Etat de droit au Congo.
– Afrikarabia : La situation militaire sur le terrain semble figée. Comment voyez-vous la suite des événements ?
– Stanislas Baleke : Nous essayons de donner la chance à la paix en invitant le gouvernement congolais à revenir à la raison. Il faut que l’on puisse discuter de la non-application des accords du 23 mars, mais aussi du déroulement des élections du 28 novembre. Je pense que la situation militaire n’est pas figée : il s’agit d’une occasion que l’on donne au gouvernement pour qu’il puisse se ressaisir. S’il refuse, nous en tireront les conséquences.
– Afrikarabia : Vous êtes prêts à avancer de nouveau militairement sur le terrain ?
– Stanislas Baleke : Bien sûr. On va avancer s’il n’y a pas de négociation. Et si ils nous attaquent, on va se défendre.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Interview Stanislas Baleke Porte-parole du M23 par ChristopheRigaud
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(1) Leader de l’UDPS et candidat d’opposition face à Joseph Kabila. L’UDPS conteste la réélection du président sortant.
(2) Militant des droits de l’homme assassiné en 2010 et dont John Numbi, che f de la police congolaise et proche de Joseph Kabila, apparaît comme le principal suspect.
(3) Jeune Congolais mort en 2010 dans des circonstances mystérieuses en détention, après avoir caillassé le véhicule du président Kabila.
(4) Etienne Tshisekedi s’est en effet autoproclamé président de la république après les élections contestées de novembre. La réélection de Joseph Kabila a en effet été jugée « non-crédible » par les observateurs de l’Union européenne et du Centre Carter. De nombreuses fraudes et irrégularités ont entâché le scrutin. On ne pas pas affirmer pour autant que la victoire revient à Etienne Tshisekedi puisque toutes les preuves (procès-verbaux notamment) ont disparu.