Le Comité laïc de coordination (CLC) annonce le retour des manifestations en août si Joseph Kabila décide de briguer un troisième mandat, ce que lui interdit la Constitution. Un nouvel ultimatum de l’opposition qui fait craindre un retour des violences.
L’été risque d’être chaud en République démocratique du Congo (RDC). Le Comité laïc de coordination, à l’origine des trois marches pacifiques contre les dérives du pouvoir congolais, remet la pression sur le président Joseph Kabila à six mois des élections. Pour ce mouvement citoyen, soutenu par l’ensemble de l’opposition congolaise, le chef de l’Etat « semble se préparer activement à poser sa candidature pour un troisième mandat ». Le CLC appelle donc les Congolais à la mobilisation « compte tenu du silence » de Joseph Kabila « sur les déclarations qu’affichent ses partisans ». Alors que le dépôt de candidature pour la présidentielle de décembre sera clos le 8 août prochain, le Comité appelle dès le 9 août à des actions combinés de marches pacifiques, de sit-in, d’opérations villes mortes, de grèves généralisées et d’actions de désobéissance civile. Les premières « grandes actions » devraient démarrer les 12, 13 et 14 août « sur toute l’étendue de la République ».
Ce nouvel ultimatum du CLC exige que le président Joseph Kabila renonce à déposer sa candidature. Mais le Comité demande également le retrait des très contestées « machines à voter », qualifiées de « machines à tricher », ainsi que la mise en oeuvre des recommandations de l’organisation Internationale de la Francophonie (OIF) sur le fichier électoral, dont plus de 6 millions de cartes d’électeurs sont douteuses. Car ce que redoute l’opposition, ce sont des élections frauduleuses, qui ne seraient ni crédibles, ni transparentes, à l’image du scrutin chaotique de 2011, qui est à l’origine de la crise politique actuelle.
Un scrutin sous contrôle présidentiel
Depuis plusieurs mois, le camp Kabila verrouille petit à petit un scrutin qui lui sera de toute façon favorable, avec ou sans la candidature de l’actuel chef de l’Etat. La Cour constitutionnelle, chargée de statuer sur de possibles conflits pré ou post électoraux a été profondément remaniée avec l’arrivée de trois nouveaux juges très favorables au pouvoir. Joseph Kabila peut donc espérer voir sa possible candidature, qui sera dans un premier temps refusée par la Commission électorale (CENI), finalement validée par une Cour constitutionnelle « aux ordres ». Des proches du chef de l’Etat estiment en effet que le passage du scrutin présidentiel de deux tours à un seul tour en 2011, « remet les compteurs à zéro » et permet au président congolais de briguer ce qui serait un second mandat en 2018… et non un troisième, ce que lui interdit la Constitution.
Si Joseph Kabila venait à être empêché de se présenter, l’option d’un « dauphin » désigné par le président congolais, pourrait permettre au clan Kabila de se maintenir au pouvoir, et de rester à la tête d’un empire économique estimé à plusieurs millions de dollars. Les machines à voter (dont la fiabilité est contestée), un fichier électoral très « malléable », une Commission électorale (CENI) et une Cour constitutionnelle acquises au pouvoir, devraient permettre à n’importe quel candidat étiqueté « Majorité présidentielle » de l’emporter. Une nouvelle plateforme, le Front commun pour le Congo (FCC), dirigée par Joseph Kabila, a d’ailleurs opportunément été créée début juillet. Son objectif est limpide selon Henri Mova, le patron du parti présidentiel (PPRD) : « maximiser les chances du camp de Joseph Kabila ». Une quinzaine de groupes politiques ont déjà adhéré à la plateforme.
Une répression accrue à l’approche des élections
En attendant les élections de décembre, qui restent encore très hypothétiques au vue de l’état des finances publiques et de l’avancement chaotique des préparatifs, la répression politique se porte bien au Congo. « Les violences à grande échelle ont continué à affecter de nombreuses régions du pays, faisant près de 4,5 millions de personnes déplacées, plus que dans n’importe quel autre pays d’Afrique » dénonce Human Rights Watch (HRW). Selon l’ONG, « la plupart des violences sont liées à la crise politique et certaines semblent faire partie d’une stratégie du chaos délibérée de la part du gouvernement pour justifier le report des élections, selon des sources bien placées issues des forces de sécurité et des services de renseignement ». L’élection présidentielle de décembre 2016 a déjà été reportée à deux reprises.
Au cour des trois marches pacifiques organisées par le Comité laïc de coordination, les 31 décembre 2017, ainsi que les 21 janvier et 25 février 2018, « les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et lancé du gaz lacrymogène dans l’enceinte d’églises catholiques ». Toujours selon HRW, les forces de sécurité ont tué au moins 18 personnes, dont l’activiste pro-démocratie bien connu Rossy Mukendi, et blessé ou arrêté des dizaines d’autres. Plusieurs dizaines d’opposants politiques sont détenus en prison, comme Eugène Diomi Ndongala ou Jean-Claude Muyambo. D’autres sont contraints à un exil forcé comme Moïse Katumbi qui risque la prison si il remet les pieds à Kinshasa. Des stations de radio et de télévision, proches d’opposants, sont fermés depuis de nombreux mois… Une répression politique qui reste contraire aux mesures de décrispation prévues par l’Accord de la Saint-Sylvestre de décembre 2016.
Pour Ida Sawyer, la directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, « si Kabila ne se retire pas, en accord avec la Constitution, cela renforcera le risque de violences et d’instabilité à grande échelle, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour toute la région. » La crise politique congolaise inquiète fortement les pays d’Afrique centrale qui redoutent un embrasement généralisé du grand Congo. Mais si Kinshasa tente de rassurer tant bien que mal la communauté internationale, la visite conjointe du Secrétaire général de l’ONU António Guterres, et du président de la Commission de l’UA Moussa Faki a été tout simplement annulée par Joseph Kabila. Un très mauvais signal à quelques semaines de la clôture des candidatures pour la présidentielle et d’un possible discours du président congolais devant le Congrès avant la fin de la session parlementaire du 20 juillet. La balle est une fois de plus du côté de Joseph Kabila, qui a une occasion historique de passer la main et de permettre à la RD Congo de vivre sa première alternance démocratique.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia