Alors que les négociations de Doha et Washington sont en panne, la prise de contrôle de Goma et Bukavu par l’AFC/M23 a donné une ampleur inédite à la rébellion, qui y installe ses propres institutions. Un défi de taille qu’analyse le chercheur Josaphat Musamba*, qui pointe également le manque d’inclusivité de des initiatives de paix en cours, notamment en excluant les autres groupes armés.

Afrikarabia : Les discussions à Doha entre le gouvernement congolais et les rebelles de l’AFC/M23 sont toujours au point mort malgré la signature d’une déclaration de principes le 19 juillet dernier. Les revendications semblent irréconciliables entre Kinshasa, qui demande le retour de l’autorité de l’Etat sur les territoires contrôlés par la rébellion, et l’AFC/M23 qui réclame la co-gestion sécuritaire et administrative du Nord et du Sud-Kivu. Peuvent-ils trouver un terrain d’entente ?
Josaphat Musamba : Il y a en effet des divergences concernant le retour de l’autorité de l’Etat. Le M23 continue de mettre en place son contrôle territorial et refuse de rentrer dans un processus de désarmement et de démobilisation (DDR), même si la possibilité que certains rebelles puissent intégrer l’armée, au cas par cas, est désormais sur la table. Pour le gouvernement congolais, rétablir l’autorité de l’Etat cela veut dire remettre les administrations de Kinshasa dans les zones contrôlées par le M23. Mais depuis la chute de Goma et Bukavu, le M23 a placé ses propres agents au sein de la bureaucratie locale et provinciale, et en a profité pour réorganiser les institutions des deux provinces. Le blocage actuel à Doha s’explique par le fait que le M23, qui reste puissant sur le terrain, ne veut pas se laisser faire, et que, d’un autre côté, Kinshasa pense que le seul fait de discuter à Doha fera plier la rébellion, ce qui n’est évidemment pas le cas. Enfin, depuis 2022 le M23 a réorienté ses revendications et ses ambitions avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme Corneille Nangaa ou certaines personnalités venues de la diaspora. Mais surtout, les prises de Goma et Bukavu ont donné une nouvelle ampleur au mouvement. Pour l’instant, je ne vois pas à quel moment Kinshasa et le M23 pourraient s’accorder.
Afrikarabia : Est-ce qu’avec le temps, le M23 n’est pas allé plus loin qu’il ne le pensait, lorsqu’il a repris les armes début 2022, en prenant le contrôle de territoires aussi vastes ? Il va être difficile de revenir en arrière ?
Josaphat Musamba : Les M23 sont en train d’installer leurs propres administrations provinciales et locales. On voit qu’ils sont en train de créer des Cours de justice, des tribunaux. On verra d’ailleurs si la justice du M23 fonctionne mieux que celle de Kinshasa, malgré des critiques autour de leur politique carcérale actuelle. Mais en nommant leurs propres agents à la tête d’administrations, il sera très difficile de détricoter tout cela si Kinshasa reprend le contrôle des territoires du M23. Les agents qui ont été écartés par le M23 ont leurs propres numéros de matricule, et il va falloir composer avec les nouveaux fonctionnaires recrutés par la rébellion. C’est une source de conflit futur. Le M23 a dû beaucoup recruter, notamment au sein du PPRD, le parti de l’ancien président Joseph Kabila. A Bukavu, je connais des personnes du PPRD et d’anciens proches de l’ex-gouverneur Marcellin Chishambo Ruhoya qui sont devenus UDPS lorsque le président Félix Tshisekedi a rompu son alliance avec Joseph Kabila, et qui ont ensuite rallié le M23 après les victoires des rebelles. L’autre source d’inquiétude concerne l’avenir des combattants M23. Y-aura-t-il une amnistie ? Vont-ils être intégrés dans l’armée ? Que va faire Kinshasa de personnalités rebelles de premier plan comme Sultani Makenga, le chef militaire du M23 ? Lui proposer un poste administratif à Kinshasa ? Ce sont beaucoup de questions sans réponse.
Afrikarabia : Dans l’équation pour un retour de la paix dans l’Est du Congo, il y a également l’accord qui a été signé entre la RDC et le Rwanda à Washington le 27 juin dernier. Sa mise en oeuvre se fait aussi attendre ?
Josaphat Musamba : En effet, pour que Kigali retire ses troupes, son aide au M23, ses systèmes de brouillage de l’espace aérien dans les zones limitrophes, ou le déploiement du système SHORAD dans les zones de conflit (comme l’ont démontré les rapports des experts de l’ONU en 2024 et 2025), ce que le Rwanda appelle ses « mesures défensives », la RDC doit commencer par traquer les FDLR. Il y a débat pour savoir si la traque doit être simultanée avec le retrait, ou est-ce que le retrait ne se fera qu’après la neutralisation des FDLR ? Chacun à sa lecture de cette disposition, ce qui créer une certaine confusion autour de la mise en oeuvre de cet accord.
Afrikarabia : Comment peut s’opérer cette traque aux FDLR ?
Josaphat Musamba : Si on regarde les régions que le M23 contrôle, on voit qu’il y a des affrontements quotidiens avec les autres groupes armés, dont les FDLR, et que la rébellion ne tient pas à 100% ses territoires, au Nord et au Sud-Kivu. Dans les villes, le M23 a des problèmes de sécurité et de banditisme urbain. On voit qu’il va être très difficile de venir à bout de tous ces groupes armés, et donc des FDLR. Le M23 n’est pas capable, pour l’instant, d’en finir avec les FDLR. Sachant qu’un de leurs secteurs opérationnels se trouve dans le Sud-Kivu, comment Kinshasa peut venir lancer des opérations contre les FDLR, alors qu’au Nord-Kivu ce groupe se trouve principalement dans les zones contrôlées par le M23 ? Cela questionne sur la capacité de réellement pouvoir éliminer ce groupe armé. Ce qui permettra au Rwanda de dire que les FDLR sont toujours là et de maintenir ses « mesures défensives ».
Afrikarabia : La situation a également évolué autour de Minembwe et des Hauts-Plateaux d’Uvira, où réside une forte communauté tutsi congolaise proche du M23 ?
Josaphat Musamba : En effet, les MRDP-Twirwaneho, qui sont une des composantes de l’AFC/M23, se sont déclarés récemment comme « mouvement républicain », indiquant désormais que les territoires qu’ils contrôlent doivent être administrés autrement. Sachant que le bourgmestre de la commune rurale de Minembwe, Mukiza Nzabinesha Gadi, a été nommé par le M23 vice-gouverneur en charge de l’Économie, des Finances et du Développement du Sud-Kivu, cela change la donne et c’est une équation dont ne tiennent pas compte les négociations de Doha. De plus, ces processus ignorent que le Gumino, un autre groupe armé proche des Banyamulenge, qui est devenu moins populaire aujourd’hui, était allié à Kinshasa et aux Wazalendo avant la prise de Goma et de Bukavu.
Afrikarabia : Il y a un élément qui est complètement absent des processus de paix en cours, c’est le sort des Wazalendo, cette galaxie de groupes armés que Kinshasa utilise comme supplétifs contre l’AFC/M23 ?
Josaphat Musamba : Il y a un vrai problème autour de cette question. Je pense que le M23 ne voulait pas voir les Wazalendo intégrer le processus de Doha et l’a imposé à Kinshasa. Leur présence aurait changé la nature des discussions et n’entrait pas dans l’agenda de la rébellion. Pour la RDC, l’approche est différente, puisque la majorité des Wazalendo a été intégrée au sein de la Réserve Armée de la Défense (RAD). Pour Kinshasa, ce ne sont plus désormais des groupes armés, mais une « réserve » pour prêter main-forte à l’armée congolaise. Mais cela pose des questions, notamment sur le degré d’autonomie de ces groupes qui affichent tous une certaine indépendance vis à vis de Kinshasa. Ces groupes ont été écartés du processus de Doha, alors que certains groupes, notamment les cadres politiques des mouvements Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP)/Wazalendo du Nord-Kivu, avaient écrit au président Félix Tshisekedi pour demander d’être intégrés au négociations, en indiquant qu’ils étaient en première ligne contre le M23 et qu’ils en payaient le prix fort. Les Wazalendo ont été exclus de Doha, mais ils sont aussi exclus du dialogue national lancé parallèlement par les confessions religieuses. L’abbé Nshole (CENCO) et Eric Senga (ECC) n’ont jamais consulté les autres groupes armés, alors qu’ils sont allés rencontrer le M23 à Goma. Ils n’ont pas consulté les chefs locaux et les chefs coutumiers. Ce n’est donc pas un processus inclusif. Les Wazalendo sont sur le front. Si on les écarte du processus de Doha et de celui de la CENCO, que voulez-vous qu’ils fassent demain ? Les Wazalendo sont une composante importante à intégrer dans le processus de Doha et dans le futur dialogue national inter-congolais.
Afrikarabia : A la manœuvre dans les processus de paix en cours, on retrouve deux nouveaux acteurs : le Qatar et les Etats-Unis. Sont-ils à la hauteur et comprennent-ils toute la complexité de ce conflit qui dure depuis 30 ans ?
Josaphat Musamba : Pour réduire la complexité de ce conflit et trouver une sortie de crise, il faut intégrer tous les acteurs et notamment les acteurs locaux. La médiation qatarie doit aller au-delà du format actuel de négociation. Regarder tous les autres acteurs. Doha peut régler la situation à court terme, mais demain, les problèmes vont recommencer. Il faut ouvrir l’espace des négociations aux acteurs locaux sans restriction. Ce sont ces groupes armés locaux qui peuvent, sur le terrain, bloquer ou faire capoter ces initiatives de paix. Ils ont aussi leurs propres revendications qu’il faut écouter.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia
* Josaphat Musamba est doctorant à l’Université de Gand et chercheur au GEC-SH/CERUKi ISP de Bukavu.
Merci pour l’analyse cher Josaphat Musamba. Comment alors régler les questions identitaires en lien avec le pouvoir coutumier et le droit à la terre ? J’estime comme vous veniez de le démontrer que les équipes engagées dans la médiation, que ce soit au niveau de Doha ou les Religieux (CENCO et ECC) semblent réduire le champ en excluant, expressément d’autres parties prenantes. Ce qui peut faire échouer le processus qui semblerait plus politisé contre toute attente. Les consultations doivent tenir compte de toutes représentation sociale.