En prison depuis le 26 mai 2024, Joseph Figueira Martin est accusé d’espionnage au profit de pays occidentaux. Ses proches dénoncent une instrumentalisation de sa détention pour coller au narratif anti-occidental de Bangui, renforcé par la forte présence russe dans le pays.

Cela fait maintenant 365 jours que Joseph Figueira Martin est détenu en Centrafrique. Ce chercheur et consultant était en mission dans le pays pour l’ONG américaine Family Health International 360 (FHI 360). Ce spécialiste des questions de transhumance et de pastoralisme y préparait un programme de développement communautaire. Joseph Figueira Martin a été interpellé il y a tout juste un an par des paramilitaires russes, omniprésents en Centrafrique, pour « sécuriser le pays » mais aussi protéger le régime. Le consultant humanitaire est accusé par la justice centrafricaine « d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, d’incitation à la haine et à la révolte, et d’espionnage ». On reproche à Joseph Figueira Martin d’avoir été en lien avec des groupes armés et d’avoir voulu mettre en place un « vaste réseau terroriste ».
Plus de doute sur l’implication russe
Son frère, Georges Martin, avait déjà expliqué à Afrikarabia, en juillet dernier, ne pas comprendre le « malentendu » qui entourait l’arrestation de Joseph. « Son travail pour l’amélioration des conditions de vie des populations locales l’amenait à se déplacer dans des zones de conflit difficiles d’accès. Pour s’y rendre, il était obligé de demander des autorisations pour pouvoir circuler, justement à ces personnes à qui on lui reproche d’avoir parlé », nous expliquait-il. A l’époque, Georges Martin estimait que les Russes avaient pu « mal interpréter le fait que Joseph travaillait pour une ONG américaine et donc, espionnerait pour le compte des Etats-Unis ». Aujourd’hui, il n’a plus de doute sur l’implication russe dans l’arrestation de son frère.
Un bouc émissaire idéal
« Il est vrai qu’au départ, nous n’avons pas compris ce qui s’était passé et les raisons de son arrestation, nous explique aujourd’hui Georges Martin. Depuis, nous avons découvert que la quasi-totalité des articles qui accusaient mon frère d’espionnage sur internet provenaient de « journalistes fantômes », qui n’existaient pas. Des journalistes d’Al-Jazeera ont enquêté et ont démontré qu’il s’agissait d’une vaste campagne de désinformation en lien avec des organes d’influence russes, comme Lakhta ou Pravda. Mon frère a été victime de ce système de désinformation ». Depuis 2017, les paramilitaires russes de Wagner, rebaptisé Africa Corps, sont déployés en Centrafrique à la demande du président Faustin Touadéra pour faire face à l’instabilité chronique du pays et aux groupes armés. Pour justifier la présence russe, le narratif de Bangui avait besoin de dénoncer les ingérences occidentales dans le pays, et notamment américaines. Joseph Figueira Martin, citoyen belgo-portugais travaillant pour une ONG américaine, était le bouc émissaire idéal.
Aucune date de procès depuis un an
« Mon frère a été transformé en symbole de l’ingérence occidentale qui aurait pour mission de déstabiliser la Centrafrique. Ses contacts avec certains groupes rebelles, dans le cadre de son programme communautaire, faisaient de lui une cible idéale pour le présenter comme un espion », analyse Georges Martin. Une situation ubuesque alors que Joseph Figueira Martin « a passé toute sa carrière en Centrafrique a essayé de résoudre des conflits locaux et à protéger les populations vulnérables ». Sur le plan judiciaire, rien n’a vraiment bougé à Bangui depuis son interpellation il y a un an. Aucune date de procès n’a été programmée et Joseph Figueira Martin n’a été interrogé que deux fois par le juge centrafricain. « C’est incompréhensible dans un dossier avec un chef d’accusation aussi grave » se désole son frère.
Le Parlement européen sollicité
Pourtant, l’espoir est de mise pour les proches du chercheur. En mars dernier, l’ambassadeur de Belgique en poste au Cameroun a pu rencontrer Joseph Figueira Martin. Les contacts sont également plus fréquents avec le détenu du camp de Roux. « Il reçoit toujours une assistance du consul honoraire du Portugal et de l’équipe du consul honoraire belge » précise Georges Martin. Ses proches espèrent désormais que le Parlement européen puisse voter rapidement une résolution d’urgence demandant la libération de Joseph Figueira Martin. Des contacts ont été noués depuis plusieurs semaines avec des membres du Parlement. Des sanctions pourraient alors être votées à l’encontre de la Centrafrique pour « détention arbitraire ». Une pression diplomatique constructive pourrait débloquer cette situation dans laquelle Bangui n’a rien à gagner. Un espoir auquel se raccroche Georges Martin qui s’inquiète pour la santé de son frère.
Christophe Rigaud – Afrikarabia