Ancien rapporteur de la commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale, Juvénal Munubo s’inquiète du « manque de confiance » et du « dialogue de sourds » qui s’est instauré entre Kinshasa et l’AFC/M23 dans les négociations de Doha. L’ex-député de Walikale estime qu’il ne faut pas tout attendre des processus de paix de Doha et Washington et plaide pour « l’ouverture d’un dialogue interne ».

Afrikarabia : Alors que les négociations de Doha entre la RDC et l’AFC/M23 reprennent cette semaine, la situation sécuritaire sur le terrain demeure toujours inquiétante avec le renforcement de l’armée congolaise et des rebelles, notamment dans votre région de Walikale ?
Juvénal Munubo : Au Nord-Kivu, la rébellion menace toujours Pinga, au Nord-Est de Walikale. D’intenses affrontements se sont déroulés la semaine dernière. La situation s’est un peu calmée, mais Pinga semble toujours être un objectif pour le M23. Il y a aussi eu des affrontements sur la route entre Masisi et Walikale. Au Sud-Kivu, il y a également Uvira qui n’est pas à l’abri de la rébellion. Le M23 et leurs alliés Twirwaneho cherchent actuellement à contourner les positions de l’armée et des Wazalendos pour prendre cette ville.
Afrikarabia : Les négociations de Doha et de Washington qui piétinent expliquent-elles cette escalade ?
Juvénal Munubo : Le gouvernement et le M23 ne se font pas confiance. Kinshasa n’est pas prêt à accéder aux exigences de la rébellion, notamment sur la question des prisonniers politiques. Les autorités hésitent à libérer ces prisonniers. Dans ces négociations, Kinshasa compte surtout sur la pression internationale des Etats-Unis sur le Rwanda. Le problème, c’est que cette pression n’arrive pas. Entre-temps, Kigali a harmonisé ses relations avec Washington, notamment sur la question des migrants que le Rwanda peut accueillir.
Afrikarabia : Pourtant, à Washington, le démarrage des opérations de neutralisation des FDLR et du retrait des troupes rwandaises du sol congolais a été annoncé pour le 1er octobre ?
Juvénal Munubo : On parle de neutralisation des FDLR, mais qu’est-ce que cela veut dire vraiment ? Une cartographie des FDLR existe-t-elle ? Qui va prendre le lead ? Est-ce que cela va se faire conjointement avec l’armée rwandaise, le M23, ou les FARDC seules ? Nous n’en savons rien. La date du 1er octobre a été annoncée, mais il n’y a rien eu de concret par la suite. Et puis, il y a la fameuse levée des « mesures de défense » du Rwanda, qui veut dire pour Kinshasa le retrait des troupes rwandaises, et qui doit se faire avant toute autre chose. Kinshasa en fait un préalable avant toute discussion et signature d’accord et conditionne tout au départ des soldats rwandais. Pour Kigali et le M23, les choses sont différentes, la levée des « mesures défensives » ne signifie pas le désengagement des troupes rwandaises, et ne sera que la résultante des négociations de Doha. Le Rwanda n’est donc pas pressé d’exécuter sa part du contrat. Tout comme la RDC n’est pas encore prête à accepter des « mesures de confiance » comme la libération des prisonniers politiques. Nous sommes donc véritablement dans un dialogue de sourds.
Afrikarabia : Que peut-on attendre de Washington ?
Juvénal Munubo : Donald Trump affirme avoir mis fin à la guerre au Congo, alors que son propre conseiller Afrique, Massad Boulos, n’est évidemment pas en mesure de le confirmer. Il ne faut donc pas tout attendre de Washington, comme de Doha. C’est peut-être le moment de se tourner vers un dialogue inter-congolais, mais cela dépend du président Félix Tshisekedi. C’est peut-être aussi le moment de se tourner vers l’Union africaine, pour pousser Faure Gnassingbé et le panel de facilitateurs à s’impliquer davantage.
Afrikarabia : Les deux processus de Washington et de Doha sont intimement liés, l’un dépendant de l’autre. N’est-ce pas un problème ?
Juvénal Munubo : Selon moi, il faut que le processus de Doha, entre la RDC et l’AFC/M23, réussisse d’abord. Pourquoi ? Parce que la zone dans laquelle doivent être neutralisés les FDLR est contrôlée par le M23. Il faut donc trouver d’abord un accord avec le M23 pour rendre effectifs les accords de Washington. Si Doha piétine, Washington n’avancera pas.
Afrikarabia : A Doha, on a vraiment l’impression que les exigences des deux parties sont irréconciliables. L’AFC/M23 demande une co-gestion des zones sous son contrôle, alors que Kinshasa exige le retour de l’autorité de l’Etat dans les territoires perdus. On ne voit pas comment débloquer la situation ?
Juvénal Munubo : Le premier draft qui a circulé sur un projet d’accord entre la RDC et les rebelles présentait en effet ce type d’éléments, comme la co-gestion de 5 ans des territoires sous contrôle rebelle. Ce qui paraît inimaginable. Pour l’instant, à Doha, nous sommes dans une posture de négociation, et donc on place la barre très haute. C’est classique. Mais ce qui pourrait amener le M23 à fléchir sa position et à être plus réaliste, ce serait un geste fort qui viendrait de Kinshasa, comme la libération de certains prisonniers politiques. Les deux parties sont actuellement dans une posture de pression. Aucune, pour le moment, n’est dans une posture de négociation.
Afrikarabia : Il y a également une autre faiblesse dans ces accords, c’est leur caractère non-contraignant ? On a l’impression que seule une pression extérieure peut faire bouger les lignes ?
Juvénal Munubo : Tout à fait. C’est d’ailleurs ce qu’espère Kinshasa qui pense que Washington fera la pression nécessaire, puisque le président Trump a déclaré avoir déjà mis fin à la guerre au Congo. Est-ce que les Etats-Unis le feront ? C’est la question. Mais faut-il compter uniquement sur la pression de Washington sur Kigali ? Je ne pense pas.
Afrikarabia : Un parlementaire propose de faire voter une loi pour interdire l’intégration des rebelles dans l’armée, alors que cette option est déjà sur la table des négociations. Que faut-il faire selon vous ?
Juvénal Munubo : Cette proposition intervient alors que nous ne sommes plus dans un contexte de belligérance après la signature de l’accord de Washington et de la déclaration de principes de Doha. Le parlement congolais devrait d’ailleurs ratifier l’accord de Washington, comme l’a fait le parlement rwandais. Une telle loi risque de compliquer les discussions en cours et de ne pas faciliter l’apaisement nécessaire aux négociations. Dans l’accord de Washington, il est d’ailleurs prévu d’intégrer des rebelles au cas par cas.
Afrikarabia : Une autre question est de savoir ce que l’on fait des Wazalendos, ces groupes armés alliés à l’armée régulière pour combattre le M23, qui ne sont intégrés ni dans le processus de Washington, ni dans celui de Doha ?
Juvénal Munubo : La question des Wazalendos est importante, car si elle n’est pas bien gérée, elle peut se transformer en bombe à retardement pour Kinshasa. Ces groupes armés ont aujourd’hui des factures à présenter à l’Etat congolais, qui leur doit beaucoup. Sans leur présence, le M23 aurait davantage avancé vers l’intérieur du territoire. A Uvira, les Wazalendos ont tenu tête à Kinshasa sur le cas de général Gasita qui était contesté par ces mêmes Wazalendos. Beaucoup de ces miliciens pensent que la loi sur la Réserve armée de la défense (RAD) était une porte d’entrée pour leur intégration dans l’armée. Pourtant, la loi sur la RAD ne prévoit pas de les intégrer dans leur totalité. Leurs attentes risquent donc d’être déçues. On peut également noter qu’à part Doha avec le M23, il n’y a pas de processus spécifique sur ces groupes armés internes. Cela aurait dû être traité à l’époque de l’initiative de Nairobi, qui prévoyait des négociations entre Kinshasa et les groupes armés internes, en y excluant le M23. Je pense qu’il serait intéressant, après avoir résolu Doha, d’ouvrir un cadre de discussions avec ces groupes armés internes. Il faudrait commencer à y réfléchir maintenant.
Afrikarabia : Cela fait maintenant 9 mois que la ville de Goma est sous contrôle rebelle. On a l’impression que plus le temps passe, plus il sera difficile à Kinshasa de reprendre la main sur les territoires perdus ?
Juvénal Munubo : Oui, il y a maintenant une administration parallèle mise en place par le M23, qui a nommé ses gouverneurs, ses bourgmestres, ses magistrats… On voit des parades militaires avec de nouvelles recrues. Tout cela n’est pas anodin. Nous sommes revenus dans la situation de la deuxième guerre du Congo de 1998, où l’Est du pays était resté coupé de Kinshasa pendant 5 ans. Plus cette situation se prolonge, plus il y a crainte de la fameuse « balkanisation » de la RDC. C’est vraiment dans l’intérêt de Kinshasa d’accélérer les choses et de montrer toute la bonne foi possible pour éviter d’être pris dans le piège de la balkanisation. Il vaut mieux aller le plus vite possible vers la solution, qui est politique.
Afrikarabia : Cela veut donc dire qu’il y a bien un problème congolo-congolais à résoudre ?
Juvénal Munubo : Absolument, et c’est cela qui fait le bien-fondé d’un dialogue interne, qui ne pourra pas être résolu à Doha, ni à Washington. Même si on trouvait une solution à Doha, ce que nous espérons tous, on aura que partiellement résolu le problème. Après Doha, il sera nécessaire d’ouvrir un dialogue interne et trouver la réponse à la question des groupes armés locaux. Il reste ces deux questions à résoudre : que fait-on avec les opposants politiques, dont certains sont en exil, et que fait-on avec tous ces groupes armés ? Tout ne sera pas résolu à Washington et à Doha. Il faudra aller vers une cohésion interne. Il y a un vrai malaise entre la majorité présidentielle et l’opposition non-armée. Sans cela, il n’y aura qu’une paix précaire.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia