L’ancien vice président de République démocratique du Congo (RDC) doit rentrer cette semaine au Congo après 10 ans d’absence pour déposer sa candidature à la présidentielle de décembre. Un retour qui déstabilise majorité et opposition.
Le mystère encore entier sur les conditions du retour de l’opposant Jean-Pierre Bemba en RDC, après son récent acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) en juin dernier. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Kinshasa reste très méfiant sur un come-back à haut risque, qui tombe en pleine crise pré-électorale. Plutôt enclin à écarter ses opposants politiques, comme c’est le cas de Moïse Katumbi, en exil forcé en Europe, Joseph Kabila a décidé de laisser le « chairman » du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) rentrer au pays. Un passeport diplomatique lui a même été promptement délivré et le MLC a confirmé la présence de l’opposant mercredi 1er août dans la capitale congolaise pour déposer sa candidature à la présidentielle.
Un crochet par Gemena qui ne plait guère à Kinshasa
Mais ce retour inquiète Kinshasa. Et le pouvoir semble ne plus savoir sur quel pied danser. Sur le plan sécuritaire, les autorités congolaises redoutent la forte mobilisation populaire que pourrait susciter le retour de Bemba à Kinshasa. Un « comité d’accueil » qui pourrait vite se transformer en soulèvement anti-Kabila. Lors de la présidentielle de 2006, on se souvient de l’extrême popularité de l’ancien vice-président congolais qui avait rassemblé plus de 70% des suffrages dans la capitale.
L’entourage de Jean-Pierre Bemba a annoncé que le « chairman » passerait par la ville de Gemena, le fief du MLC, pour s’incliner sur la tombe de son père, décédé pendant sa détention, avant de venir déposer sa candidature à Kinshasa ce mercredi. Mais la nouvelle de la venue de l’opposant dans sa province natale semble préoccuper Kinshasa. Un étrange communiqué de la compagnie nationale Congo Airways a informé ses voyageurs que le vol pour Gemena de samedi était annulé jusqu’à mercredi, avant d’être reprogrammé pour ce lundi. La délégation du MLC, accompagnée de journalistes, pour préparer le voyage de Jean-Pierre Bemba en Equateur a donc dû rebrousser chemin. « Un coup bas des autorités » pour un cadre du MLC qui voit la main de José Makila, un ex-MLC passé dans le camp présidentiel. Le crochet par Gemena pourrait donc être annulé… son entourage voulant donner la priorité au dépôt de candidature.
… en attendant la décision de Joseph Kabila
Sur le plan politique, la candidature de Jean-Pierre Bemba pose question. La majorité n’a pas hésité à tirer à boulets sur l’opposant congolais. Pour André-Alain Atundu, porte-parole de la Majorité présidentielle (MP), Jean-Pierre Bemba « pourrait tomber sous le coup de l’article 10 de la loi électorale » qui rend inéligibles les personnes condamnées pour corruption. Or, devant la Cour pénale internationale, l’ancien vice-président été condamné en mars 2017 dans une affaire annexe pour subornation de témoins. Début juillet, un procureur avait requis cinq ans de prison et la CPI doit rendre très prochainement son verdict. En attendant, la chose semble être entendue pour le porte-parole de la MP, qui souhaite que Jean-Pierre Bemba s’engage « par une déclaration solennelle » à ne pas se présenter « s’il s’avérait qu’il se trouvait dans un cas d’inéligibilité prévue par la loi électorale ».
Mais cet imbroglio judiciaire, l’éligibilité de Jean-Pierre Bemba semble en fait dépendre de la décision d’un autre homme… celle de Joseph Kabila. Dans sept petits jours, nous devrions en effet savoir ce que compte faire le président sortant. Interdit par la Constitution de briguer de nouveau mandat, le chef de l’Etat tergiverse à annoncer clairement ses intentions sur son avenir politique. Passer la main, ou s’accrocher au pouvoir ? Les rumeurs vont bon train à Kinshasa. Surtout qu’à moins de 6 mois du scrutin, Joseph Kabila n’a toujours pas de dauphin désigné pour lui succéder. Certains redoutent qu’il ne cherche à passer en force, obligeant la Cour constitutionnelle, façonnée à sa main, à valider sa candidature – voir notre article.
Un premier test pour le pouvoir
Sur le cas Bemba, la Commission électorale (CENI) attend donc de voir ce que va faire le chef de l’Etat, et surtout qu’elle sera la stratégie de la majorité pour conserver le pouvoir, avec ou sans Kabila. Car la candidature Bemba peut, à la fois, être un atout… ou un handicap. Un atout pour diviser l’opposition, qui doit n’avoir qu’un seul candidat si elle veut avoir une chance de gagner l’élection. Un handicap si l’opposition venait à s’unir et menacerait le candidat du pouvoir dans une élection à un seul tour. Le retour sous haute tension de Jean-Pierre Bemba constitue donc un premier test pour le pouvoir. Sur le plan sécuritaire, avec un risque d’explosion de violence si la candidature de Bemba venait à mal tourner. Et enfin sur le plan politique, puisque son éligibilité ou sa non-éligibilité redistribuerait automatiquement les cartes au sein d’une position déjà très divisée.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia