De violents affrontements ont opposé dimanche soir deux courants de la rébellion du M23 à Rutshuru. Des rivalités sont apparus entre le général Sultani Makenga et son chef politique Jean-Marie Runiga, allié au général Bosco Ntaganda. En cause : des divergences sur la reprise d’une possible offensive militaire à Goma.
Que s’est-il vraiment passé à Rutshuru dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 février 2013 dans le Nord-Kivu ? En début de soirée dimanche, les habitants de la ville entendent des détonations et des tirs d’armes légères. A l’hôpital de Rutshuru, lundi matin, on dénombre 10 morts et 2 blessés. Très rapidement, plusieurs sources parlent de combats entre deux factions du M23. La rébellion contrôle la ville depuis maintenant plusieurs mois. Ces affrontements auraient opposé les partisans du chef militaire du mouvement, le général Sultani Makenga à ceux de Jean-Marie Runiga, le représentant politique de la rébellion, proche du général Bosco Ntaganda. Derrière ces dissensions se joue le leadership du mouvement rebelle entre pro-Makenga et pro-Ntaganda.
Combats entre M23 ou attaque FDLR ?
Certains affirment que le malaise était déjà présent depuis quelque temps à Bunagana, une autre ville contrôlée par le M23, où Jean-Marie Runiga se serait vu privé de ses gardes du corps et de sa jeep de transport. Le malaise au sein de la rébellion porterait en fait sur la stratégie à adopter sur le terrain militaire. Alors que les négociations sont au point mort à Kampala entre la rébellion et le gouvernement congolais, les avis divergent sur la suite des événements. Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénal internationale et par Kinshasa, serait prêt à reprendre les armes, suivi par Jean-Marie Runiga, le chef politique. Makenga, le patron du M23 sur le terrain militaire, voudrait au contraire jouer l’apaisement (ou en tous les cas la montre) pour ne pas être accusé d’avoir relancé les hostilités avec Kinshasa. Le sujet aurait été discuté à Kigali la semaine dernière et Jean-Marie Runiga aurait alors été placé… en « résidence surveillée« . Bonne ambiance à Bunagana ! Mais ce lundi, comme pour démentir toute tension au sein du M23, la rébellion a fait prendre un bain de foule à Jean-Marie Runiga en plein coeur de Bunagana. Concernant les affrontements de Rutshuru, le M23 dément aussi les combats entre factions rebelles. Les incidents armés de dimanche seraient en fait une attaque des FDLR, les rebelles hutus rwandais. La rébellion l’assure : tout va bien au M23. Info ou intox ?
Pro-Ntaganda contre pro-Makenga
Si tout n’est pas encore clair sur les événements de Rutshuru, les divergences au sein du mouvement rebelle ne sont pas nouvelles. Pour comprendre les rivalités au coeur du M23, il faut revenir un peu en arrière. En 2009, le leader rebelle s’appelle Laurent Nkunda. Il dirige alors le CNDP, dont le M23 n’est qu’un copié-collé. Sultani Makenga est un proche de Nkunda, mais Bosco Ntaganda aussi, il est alors son bras droit militaire. En janvier, un renversement d’alliance fait tomber Nkunda, arrêté son ancien allié rwandais. Ntaganda prend en main le CNDP et s’allie avec Kinshasa, l’ennemi d’hier. Makenga, qui n’appréciait pas Ntaganda, fini par le détester le qualifiant de « traître« . Le M23 apparaît en avril 2012 avec déjà deux têtes : Makenga, chef militaire, et toujours Ntaganda, qui se revendique aussi du mouvement pour échappé à l’arrestation promise par Kinshasa et la Cour pénale internationale (CPI). Les deux frères ennemis se retrouvent désormais liés dans la même aventure, même si Makenga toujours nié que Ntaganda fasse partie du M23. Il y a donc maintenant une ligne : Ntaganda-Runiga et une autre ligne : Makenga-Nkunda, qui même « détenu » au Rwanda, n’attend qu’une chose, c’est de pouvoir revenir dans le jeu congolais.
Cette rivalité exposée au grand jour avec les combats fratricides de Rutshuru ajoute une incertitude supplémentaire quant à l’avenir du Nord-Kivu, avec au bout… la quasi certaine reprise du conflit.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia