L’insécurité qui prévaut dans l’Est du Congo depuis 25 ans a provoqué la plus longue crise humanitaire africaine. Un rapport détaille les violences toujours alarmantes qui s’abattent encore sur les Kivu, où 1.900 civils ont été tués en deux ans.
Chaque jour le site Kivu Security Tracker (KST) égraine avec une régularité de métronome le nombre des victimes de meurtres, de viols ou d’attaques de groupes armés dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis la fin du génocide rwandais de 1994 et son « débordement » au Congo voisin, le plus grand pays d’Afrique centrale n’en a toujours pas fini avec la violence. Un situation post-conflit qui a généré la plus longue crise humanitaire africaine. Selon une étude sur les violences dans le Nord et Sud-Kivu, les zones les plus touchées par les attaques de groupes armés, le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et Human Rights Watch (HRW) estiment en 2019 à environ 12,8 millions de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire et de protection dans le pays, soit 10 % du nombre total des cas dans le monde. L’année dernière, 1,8 million de Congolais ont été nouvellement déplacés à la suite d’exactions.
3.000 incidents violents en deux ans
Depuis 2017, Kivu Security Tracker (le baromètre sécuritaire du Kivu), un projet mené par les deux deux organisations, a enregistré plus de 3.000 incidents violents commis par plus de 130 groupes armés. Ces deux dernières années dans l’Est de la République démocratique du Congo, les groupes armés ont tué 1.900 civils et enlevé plus de 3.300 personnes… une violence qui reste « à un niveau alarmant » selon le GEC et HRW. Cette étude documente de manière très précise, grâce à une équipe de 15 chercheurs congolais sur place, « les violences les plus flagrantes : meurtres, viols de masse, enlèvements, répression politique, et tente d’identifier les groupes armés responsables ».
Beni au coeur des violences
Pour comprendre cette crise humanitaire, le GEC et HRW, ont décidé de mettre des chiffres derrière ces violences, « la première étape pour faire en sorte que les responsables rendent des comptes et pour mettre fin aux abus » explique Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch. Sans surprise, les chiffres montrent que « l’épicentre » de la violence se situe dans le territoire de Beni : « presqu’un tiers de tous les meurtres de civils ont eu lieu ici, principalement à cause des combats entre les forces de sécurité congolaises et la rébellion des Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF) ». La seconde zone de conflit se trouve dans le Rutshuru, Walikale, Masisi et Lubero, une région où combattent l’armée congolaise (FARDC) et ses milices affiliées contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé composé en grande partie de Hutus rwandais.
Richesses minières et violence
Plus au sud, dans les territoires de Fizi et d’Uvira, « les dynamiques régionales exacerbant les rivalités ethniques entre les communautés Banyamulenge et Bafuliro » ont constitué un autre abcès de violence. Des rebelles burundais, dont certains sont soutenus par le gouvernement rwandais, les battent contre des rebelles rwandais et des groupes d’autodéfense Maï-Maï congolais, soutenus par les autorités congolaises et burundaises. Les chiffres collectés par le Baromètre sécuritaire du Kivu déconstruisent également les idées reçues sur les liens supposés entre les ressources minières et les conflits locaux. Selon le KST, « seulement 20% des incidents violents se produisent dans un rayon de 20 kilomètres d’une mine. Bien que certaines violences soient directement associées aux efforts de contrôle des zones minières, les groupes armés tirent des revenus de nombreuses sources, notamment la production de charbon de bois, le braconnage, les enlèvements et la taxation de tous types de marchandises et de mouvements. »
Des autorités complices
Que fait l’Etat central ? Depuis des années, le pouvoir de Kinshasa souffle le chaud et le froid dans cette zone de conflits, sans réussir à venir à bout des groupes armés, même avec l’aide des casques bleus de la Monusco. Pire, les chiffres démontrent que « les forces de sécurité du gouvernement congolais ont fréquemment commis des exactions contre les civils qu’elles sont censées protéger »… au lieu de rétablir la sécurité. « Des responsables politiques, des services de renseignement et des forces de sécurité ont créé, soutenu et utilisé des groupes armés au Kivu et ailleurs dans le pays, souvent pour prendre le contrôle de la terre, des ressources minières ou des rackets fiscaux » dénonce le GEC et HRW. Ce qui fait dire à certains que le pouvoir en place sert également ses intérêts grâce au chaos plus ou moins organisé dans l’Est du pays.
Un président impuissant ?
Avec l’arrivée à la présidence nouveau président Félix Tshisekedi, issu de l’opposition congolaise, des espoirs se sont faits jour : « environ 2 000 à 3 000 combattants se seraient rendus ou auraient annoncé leur intention de le faire depuis l’investiture de Tshisekedi » note le rapport. Mais la tâche est immense et les marges de manoeuvres du nouveau président sont faibles. L’ancien président Kabila et ses proches restent aux commandes en gardant la haute main sur l’Assemblée nationale, le Sénat, mais aussi l’armée congolaise, que l’ancien président a remanié avant de quitter la présidence. Le rapport du GEC et de HWR s’interroge sur l’inexistence d’un programme de démobilisation pour les miliciens et de l’absence « de poursuites judiciaires contre des commandants de l’armée congolaise pour leurs abus ou leur soutien à des groupes armés. De nombreux commandants auteurs d’abus sont toujours en liberté. »
Un manque de courage politique
Pour les deux organisations, « des réformes systémiques demanderont du temps et une volonté politique considérable de la part du gouvernement congolais ». Une mission délicate à mener sachant que le premier ministre et son futur gouvernement seront largement sous contrôle du FCC de Joseph Kabila. La lutte contre l’impunité reste sans doute l’un des leviers les plus efficaces pour mettre fin aux conflits de l’Est du Congo. Le nouveau président a estimé qu’une paix durable dans la région devra inclure une action concertée pour la justice. Pour cela, « le gouvernement devrait écarter les responsables impliqués dans les violations graves commises par les forces de sécurité, et (créer) une unité spécialisée dans les crimes de guerre pourrait être créée au sein de la justice congolaise pour se concentrer spécifiquement sur les poursuites des crimes internationaux graves » préconise le GEC et HRW. Des recommandations qui risquent de rester des vieux pieux tant que le rapport de force politique restera largement en défaveur du nouveau président Tshisekedi.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
La plus longue crise humanitaire africaine c’est dans l’Est du Congo (1 900 civils tués, plus de 3 300 enlevés et des milliers de déplacés, plus de 3.000 incidents violents commis par plus de 130 groupes armés, 723 militaires congolais tués, en deux ans entre juin 2017 et juin 2019) mais le plus alarmant pour moi Congolais ce que les causes internes et externes sont connues pendant que le drame persiste, personne n’y fait face et l’Est du Congo reste une « ignoble tragédie humaine » (des millions de victimes, quelques autres millions des femmes violées et des familles déplacées devenues réfugiées dans leur propre pays, des richesses naturelles du pays pillées…). Cet énième rapport au cordeau, un « baromètre » sur un enregistrement quotidien des méfaits ne fait donc que confirmer le « génocide oublié du Congo », contrecoup de celui qui eut lieu au Rwanda en 1994, c’est à trop l’oublier qui l’a fait persévérer ! 25 ans de violences quasi ininterrompues c’est plus qu’inhumain, génocidaire !
Évoquons juste un moment la stratégie et les actions entreprises par les autorités Congolaises pour apporter enfin la paix aux populations meurtries du Nord et Sud Kivu, de l’Ituri, de l’Est du Congo et de tout le reste du pays pour tenter d’en savoir un peu plus.
A l’issue de la Réunion du Haut Commandement militaire qu’il a présidé le 9 août, le Président Tshisekedi ne s’est pas embarrassé de clamer que les tueries de Beni étaient « inadmissibles » et s’est empressé de donner des instructions « fermes » aux forces de l’ordre pour éradiquer « rapidement » l’insécurité à l’Est. Mais où sommes-nous, de quand date l’insécurité à Beni et depuis quand notre nouveau PR est à la tête du pays ?
Quelqu’un de sensé peut-il s’imaginer une excuse possible parce que l’insécurité date d’avant son arrivée et à se réveiller 7 mois après son arrivée en décidant de l’enrayer enfin alors qu’il nous a promis « un changement de gouvernance », un « déboulonnement du système » qui le précédait ? D’ailleurs ne nous a-t-il pas agité le même serment avec force arguments en avril dernier lors de son passage à Beni et n’avons-nous pas vu il y’a deux mois le Commandant de la région se vanter d’avoir éradiqué la milice à Djugu mais les attaques et les morts ont-ils cessé ? La tâche est compliquée et consolons-nous en pensant qu’il n’est jamais trop tard de mieux faire, dirons-nous, mais prenons quand-même bien garde de nous filler encore et encore aux annonces…
Entre-temps devant cette inacceptable impuissance ou démission de notre armée et des autorités civiles nous avons vu la population fatiguée appeler à la résistance et les jeunes vouloir se constituer en groupes d’autodéfense dans l’espoir de barrer eux-mêmes la route aux rebelles ADF et autres au risque de se faire maladroitement justice et ainsi violer la loi. Il fallait s’y attendre quand ceux habilités à les défendre, leurs biens et leur territoire sont coupablement aux abonnés absents ? A côté c’est Ebola qui continue hélas ses ravages…
L’horrible catastrophe de l’Est, c’est 12,8 millions de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire en 2019, soit 10 % du nombre total des cas dans le monde, 1,8 million de Congolais nouvellement déplacés en 2018 à la suite d’exactions, nous dit le rapport. C’est des causes externes provenant des pays voisins et des multinationales mais c’est aussi négligences, compromissions et même trahisons de notre pouvoir public. C’est des coupables qui doivent rendre des comptes si l’on veut mettre fin aux violences.
C’est aussi peut-être un rdv que le Congo risque de rater une fois de plus : un changement est intervenu à la tête du pays avec l’arrivée d’un nouveau PR issu de l’opposition qui semble manifester une réelle volonté de changement et de venir à bout des violences à l’Est mais n’est pas assez outillé à mettre en œuvre sa volonté. Ses marges de manœuvres sont faibles, coincé par son prédécesseur et une armée qu’il doit apprivoiser, une justice insuffisante où une énorme impunité est accordée aux coupables d’en haut.
Où l’on voit que pour que cette fois soit la bonne, la tâche de Tshisekedi sera encore plus compliquée si intelligemment et courageusement il n’arrive pas à renverser ou alors à équilibrer le rapport de forces entre ceux pour le changement et ceux pour la continuité. C’est la gouvernance générale qui doit évoluer : l’État de droit, la lutte contre la corruption et l’impunité ainsi que la bonne gouvernance que promet la nouvelle présidence seront impossibles dans un pays en proie à une insécurité récurrente…
Le Congo de Tshisekedi en sera–il capable ? Nous voulons vivement l’espérer…