Après deux jours de violences, un calme précaire règne dans la capitale congolaise. Mais face au rejet du président Kabila exprimé dans la rue et à la violence de la répression policière, la communauté internationale redoute un chaos généralisé et multiplie les mises en garde.
« Au moins 32 morts ». C’est le bilan provisoire des deux jours d’émeutes qui ont embrasé, lundi 19 et mardi 20 septembre, les rues de la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Les manifestants exigeaient le départ du président Joseph Kabila , au pouvoir depuis 15 ans, à qui la Constitution interdit de briguer un nouveau mandat. L’opposition l’accuse de tout faire pour retarder volontairement le processus électoral afin de se maintenir au pouvoir au-delà des limites de son mandat. La mobilisation de lundi sonnait comme « un préavis » au président congolais, 90 jours avant la fin de son mandat, alors que le Commission électorale (CENI) prévoit de reporter l’élection présidentielle « d’au moins 16 mois », ouvrant une longue période d’instabilité.
Deux jours d’affrontements
Lundi, le premier jour de manifestation a tourné court après de violents affrontements entre opposants et forces de l’ordre qui les empêchaient de rejoindre les points de rassemblements. Très vite, le face à face a dégénéré et la manifestation, qui n’avait pas encore commencé, a été annulée par les autorités. Mardi, la capitale a été le théâtre d’actes de pillage et de vandalisme, qui ont visé des commissariats ou des permanences de partis politiques, de la majorité comme de l’opposition – voir notre article. Après deux jours d’émeutes et de répression sanglante, le calme était revenu ce mercredi à Kinshasa. Les violences ont marqué un coup d’arrêt et la vie a commencé à reprendre son cours normal.
Kabila silencieux sur l’essentiel
Mais ce calme fragile inquiète les Congolais et la communauté internationale, car aucun des problèmes politiques n’ont été résolus. Le dialogue politique en cours à Kinshasa est actuellement au point mort, et le président Joseph Kabila, qui a fait pourtant lire ce mercredi un message à la Nation à la télévision publique, ne s’est toujours par prononcé sur les deux points d’achoppements de la crise politique congolaise : la date des prochaines élections (inconnue pour l’instant) et son maintien ou non au pouvoir en cas de transition après la fin de son mandat, le 19 décembre prochain.
Un concert de critiques
Au bord du gouffre et dans un scénario qui rappelle la sanglante crise burundaise, la RDC suscite la préoccupation de la communauté internationale. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a « exhorté tous les dirigeants politiques concernés et leurs partisans à s’abstenir de tout autre acte de violence susceptible d’aggraver la situation » et « appelé les autorités congolaises à s’assurer que les forces de sécurité nationales exercent la plus grande retenue face aux manifestations ». Le président français est également sorti de son silence sur la crise congolaise : « la Constitution doit être respectée, les élections doivent se tenir. Nous ne transigerions pas sur les élections, leur date et le processus constitutionnel. » François Hollande a qualifié « d’inadmissibles et insupportables » les violences et a dénoncé « des exactions venant de l’Etat congolais lui-même. »
« Le pire des scénarios »
Cet été, le représentant des Etats-unis dans la région des Grands lacs, Thomas Perriello, redoutait déjà le pire : « plus on se rapproche des dates butoirs, moins les bons scénarios sont plausibles et plus les mauvais sont probables. » Michaëlle Jean, la secrétaire générale de la Francophonie, a jugé « navrant de voir ce qui se déroule en République démocratique du Congo. C’est le pire des scénarios, cette situation de violence ». Ce jeudi, le Conseil de sécurité a pourtant durci le ton en évoquant de possibles sanctions contre les responsables des violations des droits de l’homme au Congo.
Le retour du dialogue
Un maigre espoir réside également dans le dialogue national, démarré depuis le 1er septembre à Kinshasa, censé résoudre la crise politique au Congo. Mais la majeure partie de l’opposition, en tout cas celle qui était dans la rue lundi et mardi, boycottent le forum, « qui n’a d’autres existences que de pérenniser Joseph Kabila au pouvoir ». Reporté de plusieurs jours en raison des violences qui ont secoué Kinshasa, le dialogue devrait reprendre vendredi.
Une transition sans Kabila ?
Une reprise qui ne se fera pas sous les meilleurs hospices puisque la Conférence épiscopale (Cenco) a décidé de suspendre sa participation. Les évêques demandent clairement au président sortant de renoncer à rester au pouvoir et de ne pas se représenter. Les derniers espoirs d’apaisements pourraient donc venir du dialogue si le pouvoir acceptait de dévoiler un calendrier électoral « acceptable » par toute la classe politique et si Joseph Kabila renonçait à rester au pouvoir après le 19 décembre. Une option qui déboucherait sur une présidence de transition assurée par le président du Sénat, ou une personnalité de l’opposition ou de la société civile, qui serait en charge d’organiser les futures élections. Un scénario qui pourrait se calquer sur celui de la transition en Centrafrique, qui a permis d’organiser des élections dans des conditions acceptables. Mais pour l’heure, on en est bien loin d’une transition sans Kabila. Une option « qui n’est pas envisageable » pour la majorité présidentielle.
Une communauté internationale passive ?
Dans le cas contraire, la RDC risque de plonger dans un scénario à la burundaise, avec le maintien au pouvoir du président Kabila, assorti d’une possible modification de la Constitution qui lui permettrait de briguer un troisième mandat, tout comme Pierre Nkurunziza au Burundi ou Denis Sassou Nguesso, le président du Congo-Brazzaville. Pour ces deux présidents, la stratégie de l’épreuve de force avec la rue a été gagnante… au prix de plusieurs dizaines de morts. Au final, la communauté internationale a raté le coche sur ces deux crises en n’intervenant pas, ou très mollement. Sera-t-elle aussi passive en RDC ? Joseph Kabila est en train d’en faire le pari.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
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