Accusé de complicité dans le génocide de 1994, le Rwandais Pascal Simbikangwa comparaît à partir de ce 4 février devant la cour d’assises de Paris. Les audiences sont prévues jusqu’au 28 mars dans la salle d’assises numéro 3 de la Cour d’appel de Paris. Il est possible que le procès s’achève quelques jours plus tôt.
Après le génocide des Tutsi en 1994, la France fut, de tous les pays occidentaux, celui qui accueillit sur son sol le plus grand nombre de réfugiés rwandais suspects d’actes de torture, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Pourtant aucun procès n’y avait encore été organisé à la différence de la Belgique, de l’Allemagne, de la Suisse, etc.. Alain Gauthier, président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) estime à plus d’une centaine le nombre de « génocidaires » résidant légalement dans notre pays. Certains, pour avoir changé une seule lettre à leur nom, ont rendu difficile leur identification. Alain et son épouse Dafroza ont pourtant reconstitué le cursus d’une vingtaine de suspects. Leur Collectif enquête au Rwanda comme en France, et, lorsque les témoignages s’avèrent suffisamment lourds, une plainte est déposée avec constitution de partie civile. Jusqu’à ces dernières années, jamais le Parquet n’avait de sa propre initiative diligenté une enquête. Les Gauthier consacrent à ce travail de Sisyphe tout leur temps disponible. « Nous sommes parfois découragés de la lenteur de la justice française, de l’incompréhension de certains interlocuteurs, mais la pensée de tous nos morts nous tient debout, nous oblige à aller de l’avant », avoue Dafroza.
Surplace judiciaire
L’incompréhension de l’opinion publique en France explique ce surplace peut-être davantage que la routine judiciaire ou la mauvaise volonté de la classe politique – droite et gauche confondus. Après une phase de stupeur et de compassion les Français se sont détournés d’un tragédie trop communément présentée comme une « crise de sauvagerie africaine » (sic), donc dépourvue de sens, d’humanité. De moins en moins d’oreilles attentives pour comprendre que le génocide des Tutsi du Rwanda a été l’aboutissement d’un plan ourdi de longue date par des intellectuels, des politiciens et des militaires de haut rang. Comme les génocides des Arméniens, des Juifs et des Tziganes, avec les mêmes armes de propagande et de désinformation de masse .
Le cas Munyeshyaka
La personnalité de suspects contre lesquels des plaintes sont déposées en France dès 1995 peut décontenancer des magistrats. Le premier visé est un prêtre catholique, Wenceslas Munyeshyaka. Pendant le génocide, il s’est retrouvé seul à diriger l’immense paroisse de la Sainte-Famille à Kigali, où les Tutsi croyaient trouver un asile sûr. Des témoins le décrivent comme une sorte de kapo qui, en gilet pare-balles et pistolet à la ceinture, fit régner la terreur dans l’église. Les miliciens « génocidaires » qui y pénètraient à leur guise se faisaient livrer les hommes tutsi, le curé protégeant à sa façon les plus belles femmes.
Au Rwanda, les tribunaux populaires Gacaca (prononcer gatchatcha) ont fait comparaître plus d’un million de personnes. Bien peu parmi les massacreurs avérés semblent éprouver des remords. Dans le beau livre de Maria Malagardis « Sur la piste des tueurs rwandais », Dafroza Gauthier observe que ceux qui ont tué étaient convaincus d’agir sans risque : « On a grandi avec cette idée : tuer un Tutsi n’est pas un péché. C’était comme ça depuis 1959, lorsque les premiers pogroms ont eu lieu, bien avant le génocide. Personne n’a jamais été poursuivi pour le meurtre d’un Tutsi ».
Fin de « l’exception française« ?
Le procès de Pascal Simbikangwa marque-t-il la fin de ”l’exception française” ? Pour Me Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), la comparution du capitaine rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité est « un procès emblématique » qui marque la fin d’une anomalie prolongée de la justice française. L’accusé se présentera ce mardi 4 février à 9h30. L’audience reprendra tous les jours à cette même heure et se terminera au plus tard vers 19 heures pour tenir compte de l’état de santé de l’accusé, tétraplégique et en chaise roulante après un accident de la circulation au Rwanda en 1986.
Pascal Simbikangwa est né le 17 décembre 1959 au Rwanda. Interpellé à Mayotte pour trafic de faux papiers, il est en détention provisoire depuis le 16 avril 2009. Il a pour avocats Me Alexandra Bourgeot et Me Fabrice Epstein
Il y a cinq parties civiles :
– Le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, représenté par Monsieur Alain Gauthier, avec pour conseils : Me Michel Laval et Me Simon Foreman,
– La Ligue pour la Défense des droits de l’Homme et du citoyen (LDH) représentée par Mes Tubiana et Montacie,
– La Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) représentée par Me Baudouin et Emmanuel Daoud
– La Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA), représentée par Alain Jakubowicz, et pour avocats Mes Rachel Lindon et Sabrina Goldman,
– L’ONG SURVIE, représentée par TARRIT Fabrice Tarrit et pour conseil Me Jean Simon.
Sont prévus 53 témoins cités, dont 41 par le Ministère public.
Rappel des éléments de procédure
L’information judiciaire a été ouverte le 9 avril 2009 à Mamoudzou, Pascal Simbikangwa avait été interpellé à Mayotte le 28 octobre 2008 dans le cadre d’une procédure de faux documents d’identité, Lui-même se cachait sous un faux nom. Il est alors apparu que Pascal Simbikangwa faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international à l’initiative du Rwanda. Une demande d’extradition ayant été rejetée, des poursuites ont été engagées en France sur le fondement de la loi du 22 mai 1996, lui donnant compétence pour juger les auteurs présumés de tels crimes trouvés sur le territoire national. Cette procédure a ensuite été “dépaysée” au Tribunal de Grande Instance de Paris par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 3 juin 2009. La cour d’assises a été saisie par une ordonnance de mise en accusation rendue le 29 mars 2013.
“Complicité de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité”
Pascal Simbikangwa est renvoyé devant la cour d’assises de Paris sous l’accustioon de complicité de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité commis sur le territoire du Rwanda entre avril et juillet 1994.
A Kigali et dans la préfecture de Gisenyi entre avril et juillet 1994, il aurait participé au génocide des Tutsi, des crimes prévus et réprimés par les articles 211-1, 121-6, 121-7, 213-5, du Code pénal, les articles 213-1, 213-2 du Code pénal tel qu’en vigueur au 1er mars 1994, et par l’article 2 du Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, en application de l’article 689 du Code de procédure pénale et de la loi n°96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire, commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et s’agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d’Etats voisins. Il aurait participé à des exécutions sommaires et des actes inhumains, contre les Tutsi. S’il est déclaré coupable, la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité.
Ce procès sera présidé par Olivier Leurent, Conseiller à la Cour.
Le siège du Ministère Public sera tenu par Bruno Sturlese, Avocat Général, et par Aurélia Devos, Vice-Procureur, chef du Pôle « Crime contre l’humanité, crime et délit de guerre » du Tribunal de Grande Instance de Paris, avec l’aide des assistants spécialisés de ce pôle.
Outre le Président, la cour d’assises sera composée de trois assesseurs magistrats professionnels (deux titulaires et un supplémentaire), et de six jurés tirés au sort. Des jurés supplémentaires seront tirés au sort ce mardi.
Jean-François DUPAQUIER