Après la destruction des radios indépendantes, l’heure est à l’intimidation des journalistes étrangers, jugés fautifs de relayer l’insurrection de la société civile contre le projet de troisième mandat du président de la République.
Ce jeudi 22 mai à Bujumbura, les manifestations anti-Nkurunziza se poursuivaient. Au moins trois manifestants ont été tués sous les balles de policiers ou de miliciens Imbonerakure agissant en uniforme de la police, et des femmes molestées.
C’est le moment qu’a choisi le président Nkurunziza pour menacer les journalistes occidentaux : « Nous profitons de cette occasion pour mettre en garde les médias burundais ou étrangers qui tenteraient de diffuser des informations de nature à semer la haine et la division entre Burundais et à jeter le discrédit sur le Burundi, ou à encourager des mouvements d’insurrection surtout pendant cette période électorale. Aucun Burundais n’aimerait revivre les tensions des divisions ethniques ou de toute autre nature. »
« Certains d’entre vous affichent un comportement peu professionnel »
Dans la bouche du président, l’amalgame entre journalistes burundais et occidentaux peut inquiéter ces derniers. Les habitants sont privés de toute information non officielle après la destruction par les policiers deRadio-Télé Renaissance Renaissance, RPA, Radio Insanganiro et Radio Bonesha. Au moins pouvaient-ils se connecter aux médias occidentaux là où les réseaux sociaux fonctionnent encore.
Une alternative qui a provoqué la colère de Piere Nkurunziza et de son équipe. Richard Gihamahoro, président du Conseil national de la communication (CNC) a convoqué les journalistes internationaux pour leur intimer de « bien travailler sur le terrain », c’est à dire à cesser de médiatiser la révolte populaire et la répression aveugle des manifestants. « Certains d’entre vous affichent un comportement peu professionnel », a précisé Richard Gihamahoro. « Beaucoup de journalistes sont venus couvrir le processus électoral en cours mais on constate que leur couverture de ce processus est très minime » prétend le président du CNC.
« Je ne voudrais pas que tu fasses ma nécrologie »
A plusieurs reprises, des journalistes occidentaux ont été menacés de mort par des policiers et leurs gradés, goûtant ainsi au climat de terreur que provoque sciemment le régime. Comme beaucoup de leaders de l’opposition démocratique, la plupart des responsables de radios burundaises ont été contraints de fuir à l’étranger. Les derniers se terrent.
« François, essaie d’alerter, nous sommes en danger, je ne voudrais pas que tu fasses ma nécrologie, défends-moi de mon vivant, on est mal », écrit le journaliste Antoine Kaburahe, à la tête du groupe de presse Iwacu, à son collègue et ami François Bugingo du Journal de Montréal.
Menaces de retraits d’accréditations
Innocent Muhozi , le patron de Radio-Télé Renaissance, un des médias privé détruits dans la nuit du 13 au 14 mai, avait décidé, lui, de rester dans la capitale. Il a été convoqué ce vendredi au Parquet de Bujumbura « pour enquête » dans le dossier lié à la tentative de putsch.
Le président Nkurunziza « a ordonné au ministère public une enquête urgente sur le rôle de tous les médias privés dans la crise, sur une évaluation des dégâts subis (par les médias) et l’identification des auteurs de ces dégâts », prétend le conseiller en communication du chef de l’Etat, Willy Nyamitwe, pour justifier la fermeture des radios attaquées.
De son côté le vice-président du CNC parle « d’actes de barbarie » commis par les manifestants que la police « vient calmer, selon RFI. Il prétend que certains journalistes étrangers se sont interposés entre manifestants et forces de l’ordre », toujours selon RFI.
Sorte de « police des médias », le Conseil national de la communication brandit la menace de supprimer les accréditations des journalistes étrangers, en arguant que ces accréditations visaient à couvrir le processus électoral et pas les manifestations.
Mercredi, le président Nkurunziza avait assuré que « la paix et la sécurité règnent sur 99,9% du territoire burundais », jugeant que le mouvement « d’insurrection » ne concernant que « quatre quartiers » de Bujumbura. Une description en trompe l’œil. En réalité, 0,1 % des Burundais affrontent quotidiennement les tirs à balles réelles des policiers dans l’espoir d’empêcher un troisième mandat du président Nkurunziza et de sauver la toute jeune démocratie. Les autres, 99,9 %, sont terrorisés par les miliciens Imbonerakure, les rumeurs de viols, de tortures, de disparitions d’opposants. Sinon, pourquoi plus de 100 000 personnes ont-elles déjà abandonné leurs biens et trouvé refuge dans les pays voisins ?
Jean-François DUPAQUIER