Réfugié en France, Vénuste Nyombayire est accusé par Kigali d’avoir fait assassiner une vingtaine d’orphelins tutsi pendant le génocide de 1994
Droit dans ses bottes, l’accusé a un air bonhomme. Il se présente en honnête citoyen récemment naturalisé français. Mais sa réponse, bafouillée, incompréhensible, ressemble à un borborygme lorsqu’un conseiller lui demande « Mais enfin, pourquoi avoir quitté votre pays, le Rwanda ? » Son avocat, Me Bidanda, vole à son secours : « De toute façon, mon client réfute toutes les accusations portées contre lui ».
Le dossier déposé par Kigali pour réclamer à la France son extradition est, il est vrai, du genre lourd. En 1994, Vénuste Nyombayire était directeur-adjoint de « SOS-Maison », une sorte d’orphelinat aménagé à Gikongoro, dans le centre du Rwanda. Il le reconnaît. Ce qu’il réfute, c’est la suite : lorsque le génocide a débuté, dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, il aurait commencé par tenté de faire disparaître le directeur, qui a pris la fuite. Un mois plus tard, son ONG a cru pouvoir lui confier une vingtaine d’enfants tutsi qui avaient été protégés à Kigali. Les miliciens interahamwe sont arrivés peu après.
« Ils ont tué les enfants aussitôt à coups de gourdin, résume Me Gilles Paruelle, avocat de la République du Rwanda. Vous savez comment ça se passe, Madame la présidente ? Un gourdin est un gros bâton hérissé de clous. Dans le groupe une fillette plus âgée, a cru sauver sa vie en suivant sans résistance un milicien qui l’a violée. Ca ne lui a servi à rien, car aussitôt après elle a été tuée, elle aussi. Et c’est M. Vénuste Nyombayire, le sous-directeur de l’orphelinat, qui aurait appelé les miliciens pour exterminer tous ces enfants. »
Un ange passe dans la salle d’audience pratiquement vide, celle de la 5e chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris, présidée par Mme Edith Boizette. Me Paruelle raconte sa découverte du Rwanda juste après le génocide des Tutsi, des églises transformées en charniers comme à Nyamata, à Ntarama… L’horreur des crimes, l’indiscible souffrance des rescapés. Il rappelle que les suspects de génocide ont obtenu en France avec une trop grande facilité le statut de réfugiés, et pour certains d’entre eux, dans la foulée, la naturalisation. Au terme d’un itinéraire peu clair qui l’a conduit d’abord au Zaïre, puis au Kenya, Vénuste Nyombayire est arrivé en Europe. Puis en France. « Seuls se retrouvent face à leur responsabilité, ceux qui n’ont pu fuir le Rwanda et qui n’en étaient pas les organisateurs; ceux-là sont à l’étranger coulant des jours tranquilles, accuse Me Paruelle. Ils vivent en parfaite impunité ! Notamment en France , certains depuis près de dix sept ans…»
La présidente Edith Boizette : – Quand même, il y a des procédure judiciaires en France…
Me Paruelle : – Quelles procédures ? L’un des dossiers dont je suis en charge pour une victime a été ouvert en 1995, voici bien dix-sept ans. Depuis, rien ! ou presque rien.
Maître Paruelle insiste pour que les véritables responsables puissent être jugés, d’autant plus qu’au Rwanda , ils ne le seront pas devant les juridictions populaires gacaca comme on a trop l’habitude de le soutenir mais devant la Haute Cour de Justice.
Sur interrogation de la Présidente Maître Paruelle ajoute : « Tout le monde sait que les gacaca sont terminées. Il y a d’ailleurs une cérémonie de clôture prévue le 16 juin prochain à Kigali. Outre que les gacaca n’ont pas été les procédures arbitraires que certains prétendent, il ne faudrait pas qu’un excès de formalisme soit opposé à toutes les demandes d’extradition. Ce n’est pas facile d’obtenir des pièces par la voie diplomatique. Et à Paris aussi, on égare parfois des dossiers (une allusion à la perte du dossier de Yacinthe Nsengiyumva Rafiki par le greffe de Paris, dans une affaire similaire).
La présidente sourit.
Me Paruelle invoque la jurisprudence du Tribunal pénal international qui a renvoyé un accusé au Rwanda, les extraditions accordées par d’autres pays européens, celle toute récente du Canada concernant le théoricien du génocide des tutsi, Léon Mugesera, la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’Homme.
Il sait sa tâche difficile : jusqu’ici, la 5e Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris présidée par Edith Boizette a toujours refusé les demandes d’extradition.
Mais cette fois, il a trouvé un allié de taille : l’avocat général, M. Lecompte, a requis l’extradition.
Il rappelle les progrès effectués par le Rwanda dans le cadre de sa législation pour faire en sorte que les garanties du procès équitable soient respectés, il rappelle les décisions rendues par les instances internationales , il rappelle la charte européenne des droits fondamentaux.
C’est la première fois que le Parquet soutient clairement une demande d’extradition vers le Rwanda.
Le revirement du Parquet dans l’affaire Vénuste Nyombayire semble la première manifestation de la nouvelle politique du gouvernement français vis-à-vis du Rwanda. Le jugement a été mis en délibéré au 27 juin prochain..
Jean-François DUPAQUIER