L’ancien président congolais a réuni sa plateforme politique et pris la parole dans sa ferme de Kingakati après 2 ans de silence. Joseph Kabila a tenté de remobiliser ses troupes, alors que de nombreux cadres ont quitté le navire et que la justice congolaise pourrait s’intéresser à lui.
La parole de Joseph Kabila a toujours été distillée au compte-goutte en République démocratique du Congo (RDC). Alors, après 2 ans de mutisme et de supputations en tout genre, la réunion de cadres du Front commun pour la Congo (FCC) dans la ferme présidentielle de Kingakati a été particulièrement scrutée par les observateurs de la scène politique congolaise. Depuis la rupture de la coalition avec Félix Tshisekedi et le ralliement de nombre de ses députés et sénateurs à l’Union sacrée présidentielle (USN), Joseph Kabila était resté des plus discrets. Un silence qui avait poussé certains caciques de son parti, le PPRD, à mettre les voiles pour prêter allégeance au chef de l’Etat. A l’instar de l’ancien ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, de l’ex-ministre de la Justice, Célestin Tunda, de Léonard She Okitundu, d’Adolphe Lumanu, d’André-Alain Atundu ou du très médiatique Lambert Mende… tous ont décidé de rejoindre l’Union sacrée de Félix Tshisekedi. Seul Emmanuel Ramazani Shadary, dauphin malheureux de Joseph Kabila à la présidentielle de 2018, est resté à bord avec une poignée de députés et de sénateurs qui ont résisté aux sirènes sonnantes et trébuchantes de la plateforme présidentielle.
Une stratégie critiquée
En dehors de la très classique transhumance politique congolaise à chaque changement de rapport de force, les déserteurs du PPRD dénonçaient surtout l’absence de stratégie de Joseph Kabila après la défaite de 2018. Après la perte de la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat, le camp Kabila attendait une ligne politique claire dans l’attente des élections générales de 2023. Mais depuis les nominations contestées à la Cour constitutionnelle et à la présidence de la Commission électorale (CENI), Joseph Kabila semblait avoir opté pour le boycott des élections de décembre, qu’il considérait comme verrouillées par Félix Tshisekedi. La possible non-participation du PPRD et de la plateforme FCC au scrutin de 2023 en a visiblement effrayé plus d’un, qui ont donc décidé de quitter la kabilie pour monter dans le train de l’Union sacrée.
Kabila toujours dans le match
A Kingakati, vendredi 16 juin, Joseph Kabila a donc décidé de reprendre la main sur une plateforme politique qui prenait l’eau. L’ancien président a renouvelé « sa passion » pour le Congo et a appelé ses soutiens « à la résistance et à la dignité » pour sortir le pays de la crise. Il a ensuite affiché son inquiétude face à la dégradation de la situation sécuritaire à l’approche des élections, et a maintenu sa stratégie de ne pas participer au scrutin de décembre tant que les conditions n’étaient pas réunies pour de « bonnes élections ». Si la stratégie du boycott divise, cette petite musique pourrait bien gagner les autres opposants comme Martin Fayulu ou Moïse Katumbi, ce qui viendrait ainsi conforter le choix du Raïs. Mais le principal message que tenait à faire le sénateur à vie Kabila était qu’il fallait encore compter sur lui sur la scène politique congolaise et qu’il était loin d’avoir pris sa retraite. Pour preuve, l’ancien président a enfin laissé entendre à des proches qu’il pourrait prendre la parole publiquement prochainement.
Menaces sur Kabila ?
A la veille des élections fixées théoriquement en fin d’année, le come-back de Joseph Kabila a également l’objectif de préserver son poids politique, mais aussi… sa capacité de nuisances. Après l’arrestation du bras droit de l’opposant de Moïse Katumbi, Salomon Kalonda, une vague d’inquiétude a submergé le clan Kabila. Le pouvoir semble se crisper à Kinshasa à l’approche de la présidentielle et la chasse aux opposants et aux personnalités encombrantes semble s’intensifier. Les manifestations de l’opposition sont systématiquement interdites et réprimées et les tensions sont désormais vives entre majorité et opposition.
Une « assurance-vie » contre la justice
L’entourage de Joseph Kabila redoute que le camp présidentiel ne s’en prenne désormais à l’ancien président, d’autant que le Raïs, sentant les menaces se rapprocher, s’est activé auprès des pays voisins pour dénoncer les « dérives dictatoriales » de Félix Tshisekedi. Ce qui a fortement déplu à Kinshasa. Tout comme l’ex-Premier ministre Matata Ponyo, Joseph Kabila a donc tout intérêt à faire du bruit dans ce contexte de tensions politiques, notamment exacerbées par la situation sécuritaire à l’Est. Un retour sur le devant de la scène politique constitue, pour Matata Ponyo, comme pour Joseph Kabila, la meilleure « assurance-vie » contre une justice qu’ils considèrent tous les deux comme « instrumentalisée », et aux ordres du président Tshisekedi.
Christophe Rigaud – Afrikarabia