C’est une première à Paris : au terme d’une argumentation serrée, l’avocat de l’Etat rwandais a convaincu les juges d’Appel d’émettre un avis favorable à l’extradition de deux Rwandais soupçonnés de génocide, qui se croyaient assurés de l’impunité en France.
Jean Bartholin, président de la chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Paris, se tourne vers les accusés et leur avocat : « La cour considère que si vous retourniez dans votre pays, votre vie ne serait pas en danger et vous auriez les conditions d’un procès équitable ». Ils semblent stupéfaits. Mercredi soir, le bâtonnier Gilles Paruelle, avocat de l’Etat rwandais, exultait. Il venait d’obtenir un avis favorable à l’extradition vers le Rwanda de Claude Muhayimana et Innocent Musabyimana, deux suspects de génocide réfugiés en France : « Ces décisions, particulièrement motivées, sont conformes au droit national rwandais et au droit international tel qu’il a été appliqué par de nombreux pays dont les Etats-Unis, le Canada, La Suède et le Danemark », se félicitait l’avocat. La chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Paris venait de rendre un arrêt particulièrement motivé qui confirmait les avis favorables émis précédemment par les cours d’appel de Rouen – pour Claude Muhayimana – et de Dijon – pour Innocent Musabyimana. Deux arrêts qui avaient été annulés par la Cour de cassation, laquelle avait renvoyé l’examen des requêtes rwandaises devant la cour d’appel de Paris.
Au terme de près de quarante pages de motivation, rompant avec la jusrisprudence précédente, la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Paris constate que le Rwanda disposait, avant même le génocide des Tutsi en 1994, d’un arsenal juridique lui permettant de poursuivre et de sanctionner des personnes soupçonnées du crime de génocide, « par application de la double incrimination », précise Me Paruelle.
Par ailleurs, les juges parisiens ont acté que le Rwanda avait ratifié les conventions internationales fondamentales (parfois, avant même la France), comme le pacte des droits civils et politiques de 1975. Le Rwanda avait intégré dans sa législation la possibilité de punir les actes de génocide. « Il convient de rappeler que cette argumentation juridique particulièrement motivée est celle que nous développons depuis plusieurs années maintenant », commente Me Paruelle.
C’est la première fois que la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Paris rend un avis favorable à des extraditions vers le Rwanda, ouvrant une brèche dans la jurisprudence précédente. Jusqu’à présent, les juges mettaient en avant l’argument que le Rwanda n’avait pas introduit dans son droit pénal le quantum des peines sanctionnant le génocide, ce qui rendait nulles les poursuites. Au nom de ce principe, le tribunal de Nuremberg n’aurait pas pu poursuivre les criminels nazis, car ils n’avaient pas inscrit dans le code pénal nazi la sanction de l’extermination des Juifs !
Cette avancée du droit français a choqué Me Philippe Meilhac, l’avocat habituel des Rwandais soupçonnés de génocide réfugiés en France. Il a annoncé qu’il formerait un pourvoi en cassation. Jusqu’à présent, elle a refusé les arrêts d’extradition, mais pourrait reconsidérer sa position. S’il était débouté par la Cour de Cassation, Me Meilhac pourrait encore saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme, comme l’a fait un autre suspect, Ahorugeze, qui a épuisé au Danemark les voies de recours contre son extradition. En tout état de cause, l’extradition vers le Rwanda de Claude Muhayimana et Innocent Musabyimana n’est donc pas pour demain.
Ces deux hommes sont accusés par le Parquet de Kigali d’avoir joué un rôle direct dans les tueries de Tutsi en 1994. On leur reproche d’avoir participé à deux massacres de Tutsi dans la ville de Kibuye et dans la région de Gisenyi.
Bien qu’ils ne soient, selon le procureur de Kigali, que des présumés « second couteaux », la jurisprudence qu’ils semblent ouvrir pourrait avoir de sérieuses répercussions pour la centaine de suspects de génocide qui coulent des jours tranquilles en France depuis presque vingt ans. Certains ont acquis la nationalité française dans des conditions et des délais déconcertants. Ce qui ne constituerait pas un obstacle à leur extradition vers le Rwanda, selon le bâtonnier Paruelle, en charge de très nombreux dossiers : « C’est au prix de la vérité, et par voie de conséquence de la mise en œuvre de la justice, en France comme ailleurs, que le peuple rwandais pourra progresser »
Jean-François DUPAQUIER