Historien de formation et journaliste à La Croix, Laurent Larcher publie un nouveau livre pour faire comprendre à la génération de ses enfants ce que des Français ont encore du mal à entendre : le rôle de l’Elysée, prétendant agir « au nom de la France », dans l’extermination des Tutsi du Rwanda en 1994.
Par Jean-François DUPAQUIER
Hubert Védrine, ancien secrétaire général de François Mitterrand a beau se démener, mobiliser ses réseaux, diligenter des colloques, convoquer des prétoires, jouer de toutes les ficelles de la désinformation, une vérité émerge année après année : la responsabilité « lourde et accablante »[1] du président et d’un minuscule cénacle élyséen dans la politique initiée par François Mitterrand au Rwanda entre 1990 et 1994. Une intrigue de courtisans cyniques et racistes[2] qui, faisant fi des alertes, a abouti au dernier génocide du XXe siècle dans un pays réputé « exotique ».
« Papa, qu’est-ce qu’on a fait au Rwanda ? »
Laurent Larcher s’adresse à sa fille : « Le temps est venu pour moi de te raconter ce que nous avons fait au Rwanda. Nous, la France. Et le temps est venu pour toi de l’entendre à la veille de ta vie d’adulte. Je t’invite à un voyage terrible qui va nous plonger dans la plus grande catastrophe humaine que ma génération a vécue après l’épouvante cambodgienne. Une horreur qui prend place à côté des événements les plus monstrueux du XXe siècle, à la suite du génocide des Arméniens, de l’Holodomor en Ukraine, de la Shoah, de la tragédie d’Hiroshima et de Nagasaki. »
Le sous-titre du livre précise le projet éditorial : La France face au génocide. « Il est temps de te dire, ma chère enfant, ce que nous avons fait au Rwanda. »
Laurent Larcher appuie son monologue sur le récit de trois jeunes rwandais de 1994, Anne-Clarisse, Etienne et Issa. « Il faut les écouter pour comprendre ce que nous leur avons fait ».
« Comprendre ce que nous leur avons fait »
Le livre de Laurent Larcher paraît ce vendredi 5 janvier 2024. L’auteur ignorait que quelques jours plus tard sortirait en librairie le récit de l’écrivaine Beata Umubyeyi Mairesse. Agée de 15 ans en plein génocide, Beata Umubyeyi se retrouve prise au piège des barrières à Butare, la grande ville du sud du Rwanda. Elle échappe avec sa mère à l’extermination des Tutsi en invoquant sa prétendue nationalité française, sésame aux yeux des tueurs : « Au printemps 1994 donc j’ai quelques notions de ce qui se joue politiquement dans le pays malgré mon jeune âge, et je sais que la France est un soutien important du gouvernement génocidaire. Quand je comprends que nous allons être tuées, que la carte d’identité de ma mère va donner le feu vert à notre mise à mort, je décide de prétendre être une Française »[3]. Le milicien qui s’apprête à l’embrocher baisse son arme. Le mot « Française » l’a sauvée.
Jean Hatzfeld : « On ne comprend pas l’extermination »
Le journaliste et écrivain Jean Hatzfeld – que la talentueuse Beata Umubyeyi Mairesse apprécie modérément -, a décrit à sa façon la lente maturation des « leçons du génocide » dans l’opinion publique : « Le génocide tutsi, comme le génocide juif, est une histoire qui durera très longtemps. Je ne crois pas que mes livres puissent empêcher demain un autre génocide. Pas plus qu’ils permettent de mieux le comprendre, puisque je ne comprends toujours pas, et vous non plus. On ne comprend pas l’extermination. »[4] Ce n’est pas l’avis des rescapés…
Livre après livre, Laurent Larcher ne se lasse pas de tenter de faire comprendre cette tragédie. « Après la Shoah, c’est la seconde fois que notre pays est associé à une extermination de masse. Nous ne pouvons pas tourner cette page comme si de rien n’était. A ton tour de savoir », insiste-t-il auprès de sa fille.
Le racisme, ce tueur universel
En cette année 2024 où le Rwanda commémorera le génocide des Tutsi pour la trentième fois, le livre de Laurent Larcher est particulièrement pertinent. Il ne sera pas le seul, loin s’en faut. Après le volumineux et accablant rapport collectif qui porte son nom, l’historien Vincent Duclert publiera dans quelques jours « La France face au génocide des Tutsi : Le grand scandale de la Ve République » (Ed. Tallandier).
Cette étude repose sur les recherches menées par Vincent Duclert après sa nomination à la tête de la commission de recherches le 7 avril 2019. Elle s’appuie sur l’approfondissement des travaux de la Commission publiés le 26 mars 2021. Cette fois, l’auteur s’exprime en son nom propre et apporte de nouvelles révélations qui ne devraient pas être du goût de M Védrine.
D’autres livres sont annoncés pour les prochaines semaines.
Inconsolables
Retenons en particulier cette réflexion de Thérèse Pujolle, cheffe de mission, mai 1994 : « De l’holocauste rwandais nous resterons inconsolables parce que, de quelque manière, nous l’avons laissé s’accomplir. »
Inconsolables : un terme qui lie les œuvres de tous les traqueurs de vérité sur le rôle de l’Elysée au Rwanda entre 1990 et 1994. Pas d’exotisme dans cette tragédie. Rien qu’une vague de massacreurs, leurs chefs et leurs suppôts rwandais ou étrangers qu’il importe de nommer pour ce qu’ils ont d’universel : le racisme. Nous resterons inconsolables de l’aveuglement de l’Elysée au Rwanda, car le génocide des Tutsi n’était en rien fatal. Merci à Laurent Larcher de le rappeler.
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[1] Conclusion de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi; Présidence de la République, rapport du 26 mars 2021.
[2] Voir la définition du racisme par Aimé Césaire dans son célèbre discours à Dakar le 6 avril 1966 « Le racisme c’est la non communication, c’est la chosification de l’autre, du Nègre ou du Juif ; la substitution à l’autre de la caricature de l’autre, une caricature à laquelle on donne valeur d’absolu. »
[3] Beata Umubyeyi Mairesse, « Le Convoi », Ed. Flammarion, à paraître le 10 janvier.
[4] Le Monde 2, 21-22 mars 2004. Entretien avec Sylvain Cypel.
[5] Laurent Larcher, « Rwanda, ils parlent. Témoignages pour l’histoire », Ed Le Seuil, 2019 ; « Souviens-toi, Mémoires à l’usage des générations futures », avec Jean Varret, Ed. Les Arènes, 2023.
Il faut prier le Dieu tout puissant pour que les rwandais trouvent un remède efficace pour ce qui s’est passé chez eux.