Alors qu’un sommet de la Communauté d’Afrique de l’Est se tient aujourd’hui en Tanzanie pour trouver une issue à la crise, la conférence des évêques du Burundi agite le spectre de la guerre civile et incite fermement le régime à reporter les élections.
Au Burundi, l’épreuve de force engagée par le président Nkurunziza pour imposer un troisième mandat en violation de la Constitution et des accords de paix d’Arusha met le pays au bord de l’abîme. Chaque jour, les manifestations de rue s’amplifient à Bujumbura, la police tirant aveuglément sur des personnes pacifiques mais résolues à faire prévaloir le droit et la démocratie. Les élections législatives et municipales sont prévues le 26 mai et la présidentielle le 26 juin, ce qui rend très compliqué l’agenda politique d’une médiation. Encore faudrait-il que Pierre Nkurunziza entende la voix de la raison, ce qui est un premier défi.
L’Eglise du Burundi a décidé de donner de la voix, bénéficiant de nombreux relais de par le monde. Ce mercredi 13 mai, le quotidien français La Croix donne la parole à Samuel Pommeret, responsable de l’Afrique des Grands Lacs du Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre Solidaire : « Il est logique de s’inquiéter d’un glissement possible vers la guerre civile. D’autant que les deux camps campent sur leur position. Mais pour l’heure, ceux qui se mobilisent contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza sont issus de la classe moyenne. Ils veulent défendre la démocratie. Il n’y a rien d’ethniciste dans leur mobilisation. »
« Envoyer des fidèles laïcs dans l’Observation des élections »
Juliette Durand-Delga, responsable de l’Afrique des Grands Lacs au Secours catholique s’inquiète du risque de prolifération de milices : « Plus on va s’approcher des élections plus le risque est grand de voir les partis politiques se doter de leur propre armée sur le modèle des Imbonerakure,. Aujourd’hui, la police est confrontée à des manifestants pacifiques. Mais si demain, ceux qui descendent dans la rue sont les jeunes armés par les partis politiques, on entre dans une autre dimension. »
Des problèmes dont sont bien conscients les chefs d’Etat qui participent aujourd’hui en Tanzanie au sommet de la Communauté d’Afrique de l’Est (Burundi, Tanzanie, Rwanda, Kenya et Ouganda). Si le Burundi sombrait dans la guerre civile par suite de l’entêtement de Piere Nkurunziza et de son oligarchie, tous les pays de la région pourraient être déstabilisés.
L’Eglise du Burundi voit d’un mauvais œil les prétentions de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat. La Conférence des évêques catholiques vient de publier un communiqué très clair à ce sujet. Les prélats se proposent « d’envoyer des fidèles laïcs dans l’Observation des élections pour que nous pussions témoigner de la crédibilité des élections [et] envoyer, de façon exceptionnelle et sur demande explicite, nos prêtres dans les organes destinés à organiser les élections notamment au niveau provincial et communal. »
« Cette candidature viole la Constitution de la République »
Les évêques insistent sur « le souci de donner notre contribution, pour que nous ayons de bonnes élections, libres, sans discriminations, inclusives et justes pour tous. »
La conférence des évêques n’hésite pas à critiquer le président et son équipe : « Faisant fi de nos conseils, le parti au pouvoir a présenté comme candidat aux élections présidentielles l’actuel Président de la République pour un troisième mandat, alors que des gens avaient déjà menacé qu’ils allaient combattre cette candidature qui viole la Constitution de la République lue dans la lumière de l’Accord d’Arusha dont elle émane, nous connaissons des troubles, surtout dans la ville de Bujumbura. »
Pour les évêques, « il y a des indices évidents, même si certains ne voudraient qu’ils soient connus, d’un pays qui connaît des perturbations sécuritaires. Tenez ! Dans la capitale de Bujumbura, les confrontations entre les manifestants et les agents de sécurité sont en train de causer des emprisonnements, des blessés et des morts. Certains services ne fonctionnent plus, les magasins n’ouvrent plus comme il faut, et certaines écoles sont carrément fermées. »
« ll y a une peur-panique chez les gens qui redoutent même l’éclatement d’une certaine guerre civile »
Toujours par la voix des évêques, l’Eglise observe que, hors de la capitale Bujumbura, « dans le reste du pays , un passant non averti croirait que la sécurité est totale […] mais là aussi il y a des signes qui montrent que le pays n’est pas paisible. ll y a une peur-panique chez les gens pour divers motifs. C’est cette peur qui fait que certaines gens ne dorment plus en famille et qu’il y en ait même qui prennent le chemin de l’exil à l’étranger. Parmi eux, bien des gens disent accusent leurs adversaires politiques qu’ils exercent sur eux des menaces, des intimidations au point qu’ils redoutent même l’éclatement d’une certaine guerre civile. »
« Pensez-vous que de telles élections soient crédibles et acceptables pour tous ? »
La Conférence des évêques n’hésite pas non plus à critiquer l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle qui, sous menaces de mort, a avalisé le coup d’Etat institutionnel. Comme plusieurs pays européens et les Etats-Unis, l’Eglise ne croit pas possible le calendrier électoral actuel : « La sécurité n’est pas garantie et il n’y a pas de radios qui puissent relayer les idées et les programmes de tous. Nous sommes dans la situation où même certains membres de la communauté internationale gèlent des aides qui étaient destinées aux élections. Pensez-vous que de telles élections soient justes et bonnes pour tous et que leurs résultats soient crédibles et acceptables pour tous ? »
Les évêques « demandent » avec insistance « que les dirigeants de notre pays qui sont les premiers responsables de la sécurité du pays et de tous ses citoyens ramènent la sécurité dans la capitale Bujumbura et dans l’ensemble du pays, en passant par des voies qui ne portent pas préjudice aux droits de l’homme. Nous demandons qu’ils évitent à tout prix les pertes des vies humaines. Nous demandons aussi aux manifestants d’éviter des violences, des casses et surtout des tueries. »
Ils demandent à reporter pour plus tard le calendrier électoral : « Nous sommes d’avis que vaut mieux éviter une précipitation qui risque de ne pas aboutir aux vraies solutions pour chercher dans le calme des solutions durables. Que tous les citoyens sachent que les élections sont incontournables ; mais qu’elles doivent se passer dans un climat sécuritaire et apaisé pour tous, dans lequel tous les compétiteurs sont traités de la même manière et jouissent des mêmes droits ; ainsi que d’autres conditions qui garantissent la tenue de bonnes élections. »
A la fin du communiqué signé par Mgr Gervais Banshimiyubusa, évêque de Ngozi et président de la Conférence des Evêques Catholiques du Burundi et Mgr Evariste Ngoyagoye, archevêque de Bujumbura et vice-président de la Conférence des Evêques, l’Eglise du Burundi se fait presque menaçante : « Si d’aventure nos souhaits ne trouvaient pas de réponse et que les choses en restent comme elles sont […], l’Eglise Catholique ne peut pas soutenir ou accompagner un processus électoral qui, visiblement, n’est pas consensuel et où les résultats de celui-ci risquent de diviser les citoyens au lieu de les réconcilier et de les faire progresser sur le chemin de la paix et du développement. »
Mais Pierre Nkurunziza peut-il entendre la voix de l’Eglise, après avoir ignoré celle de la rue, celle de ses voisins et celle de la communauté internationale » ?
Jean-François DUPAQUIER