Arrêté en octobre 2008 à Mayotte pour trafic de faux papiers, l’ex capitaine Pascal Simbikangwa sera jugé du 4 février au 28 mars 2014 par la cour d’assises.
Depuis le génocide des Tutsi en 1994, la France est, de tous les pays occidentaux, celui qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés rwandais suspects d’actes de torture, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Pourtant aucun procès n’y a encore été organisé à la différence d’une dizaine de pays occidentaux, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, etc.. Alain Gauthier, président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda[i] (CPCR) estime à plus d’une centaine le nombre de « génocidaires » résidant légalement dans notre pays. Aussi le premier procès audiencé à la veille de la XXe commémoration du génocide des tutsi du Rwanda fera date.
Pascal Simbikangwa a été une douteuse célébrité dans son pays avant sa fuite en 1994. On l’appelait « Le tortionnaire » à cause du plaisir sadique qu’il trouvait à animer, depuis son fauteuil roulant (séquelle d’un accident de la circulation), des séances de tortures dont peu de Rwandais sont sortis vivants. La salle de torture du « fichier central » était située à moins de 30 mètres du bureau du président Juvénal Habyarimana, dans le centre de Kigali, et sans doute le chef de l’Etat pouvait-il deviner, aux cris des supliciés, que le travail était bien fait…
Le capitaine Pascal Simbikangwa avait le pouvoir de déclarer « suspect » n’importe quel Rwandais accusé du seul «crime» d’avoir critiqué son patron, le général Habyarimana ou pire encore, d’avoir la mention ethnique «Tutsi» sur sa carte d’identité et de s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Les tortures infligées par Simbikangwa au journaliste Boniface Ntawuyirushintege ont fait l’objet de caricatures acerbes dans la presse démocratique de l’époque, avant d’être confirmées par le Père blanc Guy Theunis, à l’époque un ami et correspondant à Kigali de Robert Ménard, le fondateur de Reporters sans Frontières…
Les témoins des exaction de Pascal Simbikangwa sont légion. L’ancien directeur de l’Office rwandais d’informations (ORINFOR) Christophe Mfizi a écrit dans son rapport « Le réseau zéro, fossoyeur de la démocratie et de la république au Rwanda (1975-1994) », comment le capitaine Pascal Simbikangwa l’avait menaçé. Le juriste belge Filip Reyntjens dans une note déposée comme preuve dans l’affaire Rutaganda (au TPIR) le présente comme un membre des « escadrons de la mort » . Il était connu en particulier pour exécuter les ordres de son beau-frère, le colonel Elie Sagatwa membre éminent de l’Akazu, la « maisonnée présidentielle ».
Le 27 mars 1992, l’ambassadeur de Belgique au Rwanda, Johan Swinnen le désigna, dans un télex adressé à son ministre de tutelle Willy Claes, comme étant membre d’un « état-major secret chargé de l’extermination des Tutsis du Rwanda afin de résoudre définitivement, à leur manière, le problème ethnique au Rwanda et d’écraser l’opposition hutue intérieure» (Commission d’enquête parlementaire concernant les évènements du Rwand-Sénat de Belgique). Le « Rapport de la commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993)» évoque le capitaine Simbikangwa comme un tortionnaire. L’ONG américaine Human Right Watch rapporte dans son bilan de l’année 1993 au Rwanda que Monique Mujawamariya, une militante rwandaise des droits de l’homme « a été menacée de mort par le Capt. Pascal Simbikangwa connu pour avoir torturé plusieurs personnes détenues par les services secrets ». Les auteurs de l’excellent ouvrage « Les médias du génocide » nous racontent l’épisode de la création du journal « L’indomptable Ikinani».
Le 23 mars 1994, Joseph Kavaruganda, président de la cour de cassation, alertait le président Habyarimana sur les menaces de mort du capitaine Pascal Simbikangwa à son encontre. Joseph Kavaruganda sera assassiné 18 jours plus tard, le 7 avril 1994, par des membres de la garde présidentielle. Simbikangwa a été très actif dans le génocide contre les Tutsi et dans le massacre des Hutu démocrates, distribuant des armes et encouragent les tueurs.
« Le tortionnaire » s’est livré dans deux livres « L’homme et sa croix » (1989) et « La guerre d’octobre » (1991). Il écrit notamment : « Un pistolet 9mm dont j’allais bientôt maîtriser les secrets, une mitraillette Uzi qui commençait à me devenir un compagnon de choix, débarquer ou embarquer dans une voiture roulant à grande vitesse avec possibilité de me recueillir et me défendre aisément, et ma volonté farouche des VIP, tout cela me faisait revivre les temps héroïques de mes ancêtres.» […] « Je suis né guerrier et je devrais le rester tant que je vivrais, car cette lutte, ce combat sans merci que la survie (sic), je la mène avec détermination et dans un idéal de toujours chercher à mieux faire. Je suis donc guerrier et je ne le suis d’ailleurs que trop car dans l’acceptation de ma vie où je dois faire preuve de mon sang froid, de courage exceptionnel aux yeux de l’environnement qui ne cesse de s’en étonner malgré ce terrible 28 juillet 1986 [jour de son accident qui l’a laissé à demi-paralysé]»
Dans son acte d’accusation publié le 3 mars 2008, le procureur général du Rwanda l’accuse de « génocide, complicité de génocide, complot de génocide, assassinat et extermination », pour des actes qu’il aurait commis à Kigali et à Gisenyi à partir d’avril 1994.
« L’inarrrêtable » capitaine Pascal Simbikangwa a été arrêté le 28 octobre 2008 à Mayotte sous une fausse identité : Safari Sedinawara. Condamné pour….trafic de faux papiers, il fallait le renvoyer devant la cour d’assises pour génocide, crime contre l’humanité, torture, viol, meurtre, avant qu’il achève la peine qui sanctionnait son simple délit. Ce premier procès d’un génocidaire réfugié en France est le résultat de la création en 2011 d’un pôle « génocides et crimes contre l’humanité » au Tribunal de grande instance (TGI) de Paris.
« Patrie des droits de l’Homme, la France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité » promettaient Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice et Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères. Christiane Taubira, qui est depuis longtemps sensibilisée au génocide de 1994 et à ses conséquences, a poursuivi cette action. La promesse sera bientôt tenue concernant le « Tortionnaire », mais la file d’attente sera longue à résorber pour les autres « clients » rwandais du pôle génocide.
Jean-François DUPAQUIER
[i] Le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) a été créé en novembre 2001. Voir son site :
www.collectifpartiescivilesrwanda.fr