Prétendant répondre aux accusations de Kigali de complicité de génocide au Rwanda, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian se lance dans un exercice échevelé de sabre (et langue) de bois.
Quelques phrases de Paul Kagame dans une interview publiée par Jeune Afrique ont mis les autorités française sen ébullition. Le président du Rwanda incriminait « le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même ». A une question de François Soudan, rédacteur en chef de l’hebdomadaire, pour qu’il précise sa pensée, complicité ou participation, Paul Kagame répond : « Les deux ! Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l’opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite « humanitaire sûre », mais aussi acteurs ».
Depuis vingt ans, le président du Rwanda répète ses accusations. En 2004, pour la Xe Commémoration, le secrétaire d’Etat Renaud Muselier avait entendu des propos similaires à la tribune du stade Amahoro, à Kigali. Jacques Chirac, alors président de la République, n’en fit pas un incident diplomatique. François Hollande, qui croit réparer par un interventionnisme tous azimuts, en Afrique noire une aura terriblement érodée dans l’Hexagone, a choisi de dramatiser ces accusations. Paul Quilès, Hubert Védrine, Pierre Péan etc., le ban et l’arrière-ban de la Mitterandôlatrie, ont hurlé à « l’honneur bafoué de la France », c’est à dire d’eux-mêmes. Alain Juppé, soucieux de donner des gages à la gauche pour favoriser ses ambitions élyséennes, n’a pas crié moins fort.
Les insultes déversées sur Paul Kagame ces derniers jours par des militaires de haut rang n’ont pas suffi à calmer leur colère. Ils ont poussé le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian à monter à son tour au créneau. Dans un « Message aux armées » (à télécharger ici), ce dernier ne tarit pas d’éloges sur l’armée française qui, lors de l’opération Turquoise « a assumé un risque qu’aucun autre pays ne souhaitait alors prendre [pour] sauver un maximum de vies ». Le ministre parle de « transparence exemplaire » du ministère de la Défense.
Cette rhétorique n’en est pas moins aux limites du négationnisme. Le mot « génocide » semble avoir été surajouté au dernier moment dans une phrase d’hommage… à Alain Juppé. Tutsi est un mot qui doit heurter la délicatesse du ministre, car il est absent. Imagine-t-on un texte similaire sur la Seconde guerre mondiale où le mot « Juif » n’apparaîtrait pas ?
Le message du délégué syndical de l’infaillible Etat-major français ne permet pas de comprendre ce qui s’est passé au Rwanda, qui sont les victimes, ni s’il y a des coupables. Le génocide des Tutsi est ramené à « la lutte pour le pouvoir » sans plus d’explications. Comme les dernières élections municipales en France, les morts en plus ?
Quand à la transparence du ministère de la Défense, elle prête à bien des interrogations : pourquoi seulement un millier de documents déclassifiés ? Pourquoi les notes de la Direction du renseignement militaire (DRM) ne sont-elles pas produites, si vraiment « la France », comme l’a dit le général Lafourcade, patron de Turquoise, « n’a rien à cacher » ?
Dans son interview à Jeune Afrique, Paul Kagamé observait que « l’image qui prédomine à l’extérieur est celle d’un génocide tombé du ciel, sans causes ni conséquences, et dont les responsabilités sont multiples, confuses et diluées. Une sorte d’épiphénomène. » Le message aux armées de Jean-Yves Le Drian apporte de l’eau à son moulin.
Ces dernières années, la diaspora rwandaise de France a demandé à la mairie de Paris – en vain – un lieu d’érection d’une stèle pour honorer des victimes du génocide des Tutsi. Des élus de la capitale ont évoqué des pressions de militaires français pour refuser jusqu’à présent ce lieu de mémoire. N’en disons pas plus. Jean-Yves Le Drian risque encore de parler d’« accusations inacceptables qui ont été proférées à l’encontre de l’armée française »…
Jean-François DUPAQUIER
A Lire : Jean-François Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda, chronique d’une désinformation, Ed. Karthala, Paris, mars 2014.