Paul Rusesabagina, présenté comme un héros du génocide des Tutsi du Rwanda dans le film « Hôtel Rwanda », a été reconnu lundi coupable de terrorisme par la Haute Cour de Kigali et condamné à 25 ans de prison. Ses co-accusés, responsables d’attaques meurtrières au sud du Rwanda, ont écopé de lourdes peines.
Par Jean-François DUPAQUIER
Comme tant d’autres avant lui, c’est une légende vivante mais une légende usurpée qui tombe de son socle. En avril 1994, après la fuite du directeur européen de l’hôtel des Mille-Collines, l’établissement le plus prestigieux de Kigali, Paul Rusesabagina avait pris la main sur l’Hôtel des Mille-Collines où s’étaient réfugiés quelque 1 200 Tutsi fuyant les tueries. Dans des conditions rocambolesques, ces derniers survécurent au génocide. De son côté, Paul Rusesabagina finit par trouver asile en Belgique avec un obscur emploi de chauffeur de taxi à Bruxelles. Entretemps, le journaliste américain Philip Gourevitch avait produit une analyse élogieuse du rôle de Rusesabagina dans son livre Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles. Chroniques rwandaises (Ed. Gallimard). Philip Gourevitch enjolivait peut-être l’histoire de Paul Rusesabagina, qui apparaît dans vingt-quatre pages d’un ouvrage qui en compte quatre-cents – et qui remporta le prestigieux National Book Award l’année de sa publication (1998).
Une histoire très vite enjolivée
L’ex-gérant des « Mille-Collines » rencontra ensuite à Bruxelles le cinéaste irlandais Terry George et lui raconta son histoire. A sa façon. La machine à légendes était en route, et elle avait trouvé son scénariste…
Dans le film « Hôtel Rwanda » sorti en 2004, Terry George a magnifié Paul Rusesabagina en héros absolu. L’excellent acteur Don Cheadle incarne un directeur d’hôtel d’un courage fou, « prêt à tout pour sauver des vies ». Le réalisateur irlandais dénonçait l’horreur du génocide des Tutsi du Rwanda dans un Storytelling très convaincant, selon les règles du genre à Hollywood. Il exaltait la ruse et l’art de la négociation de Paul Rusesabagina à qui les Tutsi réfugiés à l’hôtel des Mille-Collines devraient la vie. Avec beaucoup de talent, Terry George a forgé une fiction cinématographique comparée par beaucoup à La liste de Schindler « dans son traitement de ce que peut faire un homme seul face à l’horreur de l’Histoire. »
Une gloire mondiale du jour au lendemain
Du jour au lendemain, Paul Rusesabagina devient une gloire mondiale et un homme riche. Il enchaînait les conférences aux Etats-Unis. Le 17 juillet 2005, avec sa femme Taciana Mukangamije, il fut reçu à la Maison Blanche, dans le bureau ovale, par George et Laura Bush. Le président américain lui remit la « Médaille de la Liberté », la plus haute récompense que les Etats-Unis puissent accorder à un civil. « Sa vie nous rappelle que combattre le mal sous toutes ses formes est un devoir moral », tint à préciser Georges Bush.
En 2006, le Centre de recherche et d’études politiques (CREP) lui décerna le prix Condorcet-Aron pour ses actions de sensibilisation et d’actions démocratiques. Son autobiographie, An Ordinary Man, publié aux Etats-Unis en 2006, est alors comparée à Un long chemin vers la liberté, de Nelson Mandela (1995), et à La Nuit, d’Elie Wiesel (1995). Peu importe l’embarras qu’avait provoqué la pré-projection de « Hôtel Rwanda à Kigali. Peu importe que certains contestent la légende vivante, notamment les rescapés de l’Hôtel des Mille-Collines. Leur voix est relayée par Alfred Ndahiro et Privat Rutazibwa dans le livre Hôtel Rwanda ou le génocide des Tutsis vu par Hollywood. (Paris, Éd. L’Harmattan, 2008)
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Des réserves et des critiques inaudibles
Les réserves et les critiques sont inaudibles. Paul Rusesabagina est dorénavant entouré de flatteurs et la tête lui tourne : il se voit président du Rwanda. L’argent coulant à flot, il crée la Hotel Rwanda Rusesabagina Foundation aux Etats-Unis, puis plusieurs formations politiques « en exil », Le Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD) et son bras armé, le Front de libération national (FLN).
En 2018 et 2019, le FLN lance des attaques au sud du Rwanda, faisant neuf morts et des dizaines de blessés. Les journalistes Maria Malagardis et Théo Englebert ont consulté le dossier judiciaire de l’ex-patron des « Mille-collines » : «Continuez, nous sommes ensemble», encourageait Paul Rusesabagina dans un message envoyé sur Whatsapp à un certain «Jeva», le 21 janvier 2019. Le premier est alors en Europe, le second dans une jungle perdue au cœur de l’Afrique centrale. Plus précisément en République démocratique du Congo (RDC), d’où ce chef de guerre, de son vrai nom Antoine Hakizimana, avait lancé un mois auparavant une attaque meurtrière. »
La tête lui tourne : il se voit président du Rwanda
Au Rwanda et en RDC, une vingtaine d’assaillants sont identifiés et capturés. Un « montage » permet de convaincre le « héros de Hollywood » d’aller rencontrer ses admirateurs au Burundi, mais son avion se pose à Kigali où il est arrêté en août 2020. Son procès – et celui de ses supposés complices – s’ouvre en février 2021. Si Paul Rusesabagina crie à l’enlèvement et au complot politique, presque tous ses co-accusés l’accablent. Les perquisitions menées sur commission rogatoire par la police judiciaire belge à son domicile de Bruxelles montrent que la rébellion fomentée par Rusesabagina était une sorte de petit business où chacun était payé selon sa combattivité. « Au fil des audiences et des éléments du dossier judiciaire, s’est dessinée une galaxie complexe de soutiens et de réseaux de financements organisés principalement depuis l’Europe pour mener une guerre secrète en Afrique. Ces organigrammes de flux financiers via Western Union, qui figuraient dans le dossier d’accusation, ont en réalité été établis grâce à l’enquête de travail de la police judiciaire belge », rapportent encore Maria Malagardis et Théo Englebert.
Une galaxie de réseaux de financement en Europe
Interrogé à Bruxelles par La Libre Afrique.be sur le pacifisme qu’il revendiquait alors qu’il était allié avec des groupes armés, Rusesabagina avait répondu: « Les réfugiés ont le droit de se défendre pour ne pas être comme un mouton.
Comme le rappelle la journaliste belge Marie-France Cros, « Selon les échanges de mails produits par l’accusation, Paul Rusesabagina connaissait parfaitement l’usage des financements qu’il envoyait au FLN, basé à l’est du Congo. »
Devant les juges, une défense d’absence et de déni
Malgré les preuves trouvées à son domicile et les aveux de la plupart de ses co-accusés, Paul Rusesabagina a opté pour une défense de déni. Ses avocats et lui-même ont boycotté les audiences depuis mars, dénonçant un « procès politique » rendu possible par son « enlèvement » organisé par les autorités rwandaises.
« En tant que dirigeant, soutien et partisan du MRCD/FLN, il a encouragé et permis aux combattants de commettre ces actes terroristes contre le Rwanda », a estimé l’un des procureurs, Jean Pierre Habarurema.
La famille et les proches de Rusesabagina ont dénoncé un procès qui fut une « farce du début à la fin », « un spectacle mis en place par le gouvernement rwandais pour faire taire un critique et refroidir toute dissidence future », selon la Fondation Hôtel Rwanda qui le soutient.
« Mon père est un prisonnier politique (…) visé par des accusations inventées et zéro preuve ont été présentées contre lui », a affirmé en juin sa fille adoptive Carine Kanimba.
D’importants soutiens en Belgique et aux Etats-Unis
Paul Rusesabagina a bénéficié durant tout le procès d’importants soutiens en Belgique, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis où beaucoup de journalistes et de commentateurs ont préféré répéter la légende de Hollywood plutôt que d’examiner les faits.
Ainsi, Bruxelles a estimé que le condamné n’a pas bénéficié d’un procès juste et équitable « particulièrement en ce qui concerne les droits de la défense ».
Lundi, la Haute cour de Kigali a « conclu que le rôle de Rusesabagina dans la création du FLN, la fourniture de fonds aux rebelles et l’achat de moyens de communication pour les rebelles constituent tous le crime de commission de terrorisme ». Le Parquet avait requis la prison a vie. Il a été condamné à 25 ans de prison, les juges excluant toute remise de peine en raison de son refus de comparaître et de reconnaître les faits.
Son programme politique : rétablir les quotas ethniques !
Le principal co-accusé, Callixte Nsabimana, dit « Sankara », commandant du groupe armé FLN, qui avait revendiqué les attaques de 2018, et avait plaidé coupable pour la plupart des accusations, est condamné à 20 ans de prison.
Un porte-parole du FLN, Herman Nsengimana, se voit infliger 5 ans de détention.
Les 17 autres co-accusés se voient infliger des peines plus légères.
Pour la journaliste Maria Malagardis, « Côté occidental, nombreux sont ceux qui ont dénoncé les conditions de l’arrestation de Rusesabagina et ont interprété le procès comme celui d’un opposant aux prises avec un régime souvent accusé de non-respect des droits de l’homme. Pourtant diffusées en direct à la télévision pour la première fois, les audiences ne semblent pas avoir dérogé aux standards internationaux. »
Quelle politique Paul Rusesabagina entendait-il promouvoir au Rwanda si – hypothèse peu vraisemblable – il était parvenu à déstabiliser Paul Kagame et à prendre le pouvoir ? Comme l’indique un document saisi à son domicile, rien de moins que le rétablissement des quotas ethniques, une des causes et un des symboles du génocide !
« Les faits sont têtus » : merci de si bien relater l’inéluctable déchéance du triste sire, qui, tel Icare, grisé par son vol, a fini par se brûler les ailes au contact avec le soleil.
Hybris quand tu nous tiens!
J’aime bien cette analyse et remise en situation qui confirme que les faits sont absolument têtus.
La celébrité devient toujours un danger quand on n’est pas sage et qu’on veut l’utiliser pour sa propre gloire ! Dans le film Rusesabagina s’est attribué un rôle qu’il ne pouvait même pas jouer ! Non, il n’avait pas le pouvoir de sauver Les tutsi. A l’hôtel et stade amahoro, il y avait aussi des dignitaires hutu que le gouvernement génocidaires voulait récuperer. Et c’est pour cela que Les génocidaires ont acceptés l’échange des réfugiés: ceux qui voulaient aller du coté du FPR ou du Gouvernement étaient escorté par la Minuar. Lui, Rusesabagina ne faisait que gérer seulement l’hôtel. Et comme l’on dit « bien mal acquis ne profite jamais »! celébrité mal acquise et de plus mal utilisée ne peut que conduire à sa ruine. Pour profiter de la celébrité, il faut de la sagesse.