Premier président de l’archipel, James Mancham avait pour programme « naviguer au plus près du bonheur ». Mais le décor de carton pâte du « paradis du tourisme » ne peut plus masquer les tares d’un régime qui s’enrichit surtout du malheur du monde.
Ce weekend de Pâques 2016, l’imposante silhouette d’un immeuble-paquebot est venue dominer les cocotiers de Victoria. Ses quelques deux mille passagers ont attendu le lundi, jour de réouverture des commerces, pour débarquer. Ils remplissent de leur agitation la capitale des Seychelles. Le centre ancien est un quadrilatère qui ne dépasse pas un kilomètre de longueur pour quatre cent mètres de largeur. D’un côté, la cathédrale de l’Immaculée Conception, construite en 1862, et le presbytère, de style espagnol. La cathédrale catholique est modeste car à sa fondation, les Seychelles comptaient moins de 20 000 habitants pour cent quinze îles dispersées sur plus d’un million de kilomètres carrés. Le presbytère, lui, bastion de la francophonie, est aussi imposant qu’un fortin. Dans ce petit périmètre, la cargaison de touristes ne passe pas inaperçue.
L’évènement de 1903
A l’autre extrémité du centre ancien, le Jardin botanique et le pataud « Monument de l’Unité ». Entre les deux, le Palais Présidentiel (State House) et surtout la Clock Tower. Les touristes, dépités par les « souvenirs » dépourvus de pittoresque que propose une poignée d’échoppes en bois, se rabattent sur cette réplique en miniature de Big Ben. Elle marque un événement considérable : le 31 août 1903, par lettre patente, le roi Edouard VII déclarait « les Seychelles colonie de l’Empire Britannique sous l’autorité d’un gouverneur ». Jusque là, les Seychelles n’étaient qu’une vague possession sous la tutelle de l’Ile Maurice. Construite pour l’événement de 1903, la Clock Tower incarnait la nostalgie de la mère patrie par des cadres coloniaux de troisième catégorie, parfois chassés de l’Inde pour incompétence ou débarqués à l’escale de quelque navire par un capitaine irascible. Le vapeur qui reliait la Grande Bretagne à ses possessions de l’Océan Indien ne faisait relâche à Victoria que quatre à cinq fois par an, c’était la grande affaire. Les administrateurs britanniques, en butte à la mauvaise volonté des « grands Blancs » d’origine française, noyaient leurs frustrations dans l’alcool en contemplant la Clock tower depuis les terrasses du pub « The Pirates Arms ».
Le plus hardi des pirates seychellois
Longtemps The Pirates Arms a attiré les Seychellois branchés et les touristes. Après avoir photographié la réplique de Big Ben sous un soleil de plomb, y boire un verre semble une étape incontournable. On le lèvera à la santé du plus hardi des pirates seychellois, Olivier Vasseur dit « La Buse », qui semble avoir donné son nom à « Anse Forban » sur la côte sud de Mahé.
Le plus grand hold-up de tous les temps
Sur la fin de sa carrière, fuyant les Caraïbes, La Buse avait fait des Seychelles sa base arrière[i]. Un choix judicieux, à l’origine du plus grand hold-up de tous les temps. Le 8 avril 1721, avec son complice le Britannique Taylor il s’empare de La Vierge du Cap, navire amiral de la marine portugaise. A son bord Luís Carlos Inácio Xavier de Meneses, Comte d’Ericeira, vice-roi des Indes orientales portugaises. Après dix ans de gestion cupide, il rapportait au Portugal ses biens mal acquis : rivières de diamants, bijoux, perles, barres d’or et d’argent, soieries, vases sacrés, etc. Les historiens qui se sont penchés sur l’inventaire du butin de La Buse et Taylor l’évaluent entre quelques dizaines de millions et plusieurs milliards d’euros d’aujourd’hui.
Une tombe peinte en rouge sang
Les receleurs américains installés à Madagascar n’avaient pas assez de pièces d’or pour monnayer toutes ces richesses. On pense que La Buse fut forcé de cacher une partie du butin avant de se faire plus discret. Car son hold-up géant avait exaspéré les puissances navales européennes. Enfin capturé après neuf années de traque, il fut pendu le 7 juillet 1730 à l’Ile Bourbon. La légende raconte qu’en marchant vers la potence, le perfide jeta à la foule un bout de parchemin griffonné en criant « mon trésor à qui saura le prendre ».
Depuis, les recherches vont bon train, aux Seychelles comme ailleurs[ii]. Au cimetière marin de Saint-Paul, à la Réunion, l’impressionnante tombe de La Buse – peinte en rouge – alimente depuis près de trois cents ans des pratiques de sorcellerie. On y vient la nuit égorger des poulets ou éclabousser la pierre tombale de verres de rhum. Soit pour conjurer le mauvais sort, soit pour appeler la chance. Ou les deux.
Un trop plein d’établissements bancaires
Ce lundi de Pâques 2016, pas possible de vider un godet en criant « à La Buse ». Les touristes de Victoria ont été mal informés par leur guide rarement mis à jour : un tas de gravats remplace le légendaire « The Pirates Arms », annonçant un édifice plus moderne. Les visiteurs assoiffés par le cagnard font demi tour vers la Clock tower et sa pizzeria au nom bien français : « Café de l’Horloge ».
Quelle erreur ! Il leur suffirait de quelques pas de plus sur le boulevard de l’Indépendance pour croiser les dignes héritiers du forban La Buse. Le boulevard fait moins de trois cents mètres, mais quelle distribution : Barclays Bank, Development Bank of Seychelles, encore Barclays, puis Labank Komersyal Sesel, etc. Beaucoup d’établissements bancaires pour une petite capitale de moins de 30 000 habitants.
Une Banque nationale bien discrète
Sur le même trottoir que The Pirates Arms, un magnifique immeuble de verre fumé où se mirent de grands palmiers. Dans n’importe quel pays, la Banque nationale serait fière d’arborer son nom en énormes lettres de bronze doré. Oui, mais quand on appartient au monde des forbans, mieux vaut ne pas hisser ses couleurs. Il faut être du coin pour savoir quels voyous de la finance se cachent derrière ce rideau de verre. Il y a longtemps que la Banque Centrale des Seychelles est épinglée par les institutions internationales, par la Banque Mondiale, le FMI etc.
Les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation
La façon dont cette mère-poule tropicale couve des abus de toutes sortes provoque une indignation générale. Elle protège entre cent mille et deux cent mille sociétés offshore ancrées dans les hauts fonds des fraudes fiscales, du recyclage d’argent sale, des non moins juteuses violations d’embargos. Le régime du président James-Alix Michel a multiplié les promesses de régulariser ses pratiques bancaires. Des engagements lénifiants, qui ont permis de faire oublier que l’Etat des Seychelles figure sur la liste des paradis fiscaux à surveiller de très près[iii].
Ce lundi de pâques 28 mars 2016, un tsunami d’informations incriminant les Seychelles se pointe à l’horizon. Depuis 2015, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), planche sur quelque onze millions de fichiers (plus de 2 600 gigaoctets de données secrètes) provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore depuis sa création en 1977. Les « Panama papers » révèlent les noms de chefs d’Etat, de milliardaires, de célébrités du sport, d’artistes, etc., qui ont recouru à des montages offshore pour dissimuler au fisc leur fortune. « C’est la fuite de données la plus importante de l’histoire du journalisme. C’est aussi la percée la plus spectaculaire jamais effectuée dans le monde obscur de la finance offshore » écrit Le Monde dans son édition du 3 avril 2016. La plus grande partie des révélations concerne le système de dissimulation et de blanchiment installé en Amérique centrale mais provoque des dommages collatéraux jusqu’aux Seychelles.
Une majorité de sociétés-écrans
Cette plongée dans la « boîte noire » des paradis fiscaux montre la face cachée du Panama, « l’un des centres financiers les plus opaques de la planète, considéré comme une plaque tournante du blanchiment, où vient se recycler l’argent du crime et de la fraude », observe le consortium de journalistes. Le chalut des journalistes a arraché du fond de la mer d’autres requins de valeur : vingt-et-un « petits » paradis fiscaux comme les Seychelles, Monaco ou les Bahamas.
Les sociétés offshores ne sont pas forcément illégales. Dans bien des cas, elles facilitent les investissements internationaux. « Mais une grande majorité d’entre elles sont utilisées comme sociétés-écrans, pour dissimuler des avoirs grâce au recours à des prête-noms », précise Le Monde. Entre les autorités de régulation et de moralisation du marché et les flibustiers de la finance, c’est le jeu du chat et de la souris.
Les Seychelles, supporters du dictateur syrien
En 2011, les îles Vierges britanniques sous forte pression internationale, furent contraintes, d’abandonner le système des actions au porteur anonymes qui permettaient de faire circuler des fortunes en toute opacité. Aussitôt des capitaux se délocalisèrent à Panama et aux Seychelles, où le système des actions au porteur avaient encore libre cours[iv]. L’archipel est un spécialiste reconnu de la dissimulation des fonds de provenance illicite notamment pour les ventes d’armes. Ces dernières années, le président syrien Bachar al-Assad en a largement profité, observe le journaliste britannique James Denselow[v] : « Quand les gens demandent comment il a réussi à rester au pouvoir malgré l’effondrement de l’économie, des centaines de milliers de morts, un Syrien sur deux forcé de quitter sa maison, vous ne penseriez pas nécessairement aux Seychelles. Pourtant, comme les Panama papers le montrent, l’archipel idyllique a joué son rôle dans le maintien de Assad au pouvoir à Damas. »
Le « paradis des tourtereaux » se rapproche d’un enfer
James Denselow démontre que le régime autoritaire insulaire du président seychellois James-Alix Michel s’abrite trop commodément derrière une image de système médiéval un peu débile. Ce régime a su astucieusement protéger trois sociétés syriennes proches du gouvernement syrien – Maxima Moyen-Orient Commerce, Morgan Additifs Fabrication et Pangates International en les abritant dans des sociétés fictives aux Seychelles pour contourner l’embargo sur les armes. Le leader syrien a notamment un grand besoin de kérosène pour bombarder les populations civiles. Les banques seychelloises lui ont permis de faire transiter les capitaux nécessaires vers des fournisseurs peu regardants. Ces tankers de kérozène ont alimenté les hélicoptères d’Assad, permettant notamment la tactique de largage « de barils remplis d’explosifs sur les zones urbaines. » On est loin de l’image idyllique des Seychelles, « paradis des tourtereaux en lune de miel », on se rapproche plutôt d’un enfer où règnent le cynisme et l’appétit débridé de lucre.
Des milliers de morts au passif des autorités des Seychelles
Amnesty International a décrit l’horreur de ces largages en Syrie[vi] , « les crimes de guerre et autres épouvantables atteintes aux droits humains commis quotidiennement dans la ville [Alep] par les forces du régime […] ». Le rapport dresse un tableau effroyable des carnages et destructions massives provoqués par le largage par les forces gouvernementales de « bombes-barils » – des barils remplis d’explosifs et de fragments de métal – sur des écoles, des hôpitaux, des mosquées et des marchés bondés. « Les attaques au baril d’explosifs – barils de pétrole, réservoirs d’essence et bombonnes de gaz remplis d’explosifs, de carburant et de fragments métalliques, et largués depuis un hélicoptère – ont tué plus de 3 000 civils dans le gouvernorat d’Alep l’année dernière, et plus de 11 000 dans tout le pays depuis 2012. »
Le financement des armes les plus cruelles
Tandis qu’aux Seychelles les touristes occidentaux bénéficient d’un bronzage accéléré au bord de lagons turquoise, les banquiers seychellois ouvrent les vannes d’un océan de sang, de souffrances, de morts en masse. Un chirurgien syrien explique qu’il n’avait jamais vu de telles blessures : « Les barils d’explosifs sont l’arme la plus horrible et la plus cruelle. Nous voyons arriver des polytraumatisés, il faut amputer, on voit des gens avec les intestins hors du corps, c’est affreux. » Un professeur de géographie présent lors d’une attaque témoigne : « J’ai vu là-bas des choses que je ne peux pas décrire, il y avait des corps d’enfants en morceaux, du sang partout. Les corps étaient en lambeaux. »
Les employés de la Banque Centrale des Seychelles arrivent au bureau d’un pas léger. Rien à voir avec les forbans d’autrefois ? Olivier Vasseur dit « La Buse » est considéré comme une fieffée ordure depuis sa prise d’un navire négrier, « La Duchesse de Noailles ». Furieux de ne pas y trouver un trésor monétaire suffisant, il ordonna qu’on y mette le feu. Les esclaves enchaînés furent brûlés vifs…
Le cas Adnan Khashoggi
Comment les Seychelles, réputées le paradis sur terre, en sont-elles arrivées à devenir la base financière de tueries de masse, un carrefour du commerce de la mort ? Le Saoudien Adnan Khashoggi, fut le premier chevalier d’industrie à flairer tout le potentiel affairiste de l’archipel[vii]. Son père, médecin personnel du roi Abdul Aziz Al-Saoud (le fondateur de l’Arabie saoudite), apporta les premiers fonds qui lui permirent de se lancer dans le commerce international des armes, ainsi que l’entregent indispensable de la CIA. A force de rendre petits et grands services à l’Agence, il domine facilement le monde interlope des trafiquants. A la fin des années 1970, Adnan Khashoggi est classé comme l’homme le plus riche du monde. Il traite les contrats d’armes sur une sorte de palais flottant, le yacht Nabila, d’un luxe alors inouï (on a fait bien plus fort depuis), qui semble tout droit sorti d’un film de James Bond. Il avait coûté à l’époque 35 millions de dollars, l’équivalent de 350 millions aujourd’hui.
A l’indépendance des Seychelles, Adnan Khashoggi prend l’habitude d’amarrer le Nabila dans le port de Victoria. Il devient copain-copain avec le président James Mancham qui apprécie sa fameuse troupe de bunga-bunga girls si utiles à la signature de contrats. Khashoggi, lui, caresse l’idée de transformer la pauvrette capitale de l’archipel et sa rade en Monaco-bis. Il y attirerait les super-riches du globe. A cet effet il dépense sans compter. Arrive le 5 juin 1977. Le coup d’Etat de France-Albert René, admirateur du régime nord-coréen, donne un coup d’arrêt aux rêves khashoggiens de corne d’abondance équatoriale. Le Nabila lève l’ancre, définitivement. Les marchés de mort se signeront dans une autre rade. Provisoirement…
Un individu tapi dans l’ombre
A ce moment, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le personnage le plus romanesque des Seychelles n’est pas le fantasque Khashoggi, mais un individu tapi dans l’ombre. A peu près personne ne le connaît. Il s’appelle Mario Ricci. N’ayant pas réussi à approcher le président James Mancham, il ne subit pas les vicissitudes de son renversement. Mario Ricci est un petit aventurier qui se partage entre quelques escroqueries pour lesquelles il est recherché dans son pays natal, l’Italie, et un projet fou aux Seychelles : y créer une sorte de « Loge P 2 tropicale ». A Rome, bien avant que les médias s’y intéressent, Mario Ricci avait vu se développer cette pieuvre politico-mafieuse : « Propaganda Due » plus communément appelée P2. Il s’agissait d’une ancienne loge maçonnique dépendant du Grand Orient d’Italie, devenue au milieu des années 1970 un « gouvernement de l’ombre » regroupant des banquiers véreux, des journalistes influents, des parlementaires antirépublicains, des industriels et des officiers militaires de haut rang, notamment des responsables des services italiens de renseignement[viii]. Certains y trouvaient un moyen d’enrichissement accéléré, d’autres y militaient pour réinstaurer un régime fascisme en Italie. Mario Ricci, lui, observait. Et réfléchissait au moyen d’utiliser le « système » P2 pour se créer un empire aux Seychelles.
Jean-François DUPAQUiER
Prochain article : Mario Ricci, le Raspoutine des Seychelles
______________________
[i] Voir Charles Johnson, History of the Most Famous Pirates (Histoire générale des plus fameux pirates), Londres, 1720.
[ii] Le grand-père paternel de l’écrivain Jean-Marie Le Clézio habita longtemps l’île Rodrigue. Persuadé d’avoir trouvé le site du trésor il fouilla une ravine pendant presque vingt ans.
[iii] l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) coordonne la lutte contre les paradis fiscaux. Nous nous référons à la liste établie par les experts du Groupe d’action financière (GAFI). Il s’agit d’un organisme intergouvernemental créé en 1989 par des Etats occidentaux voulant moraliser les circuits financiers internationaux pour combattre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces pour l’intégrité du système financier international.
[iv] A la différence des actions nominatives, les actions anonymes permettent aux propriétaires réels des sociétés offshore de dissimuler leur identité. Les Seychelles sont un des derniers pays à proposer ce type de titres qui organise une opacité totale sur l’actionnariat.
[v] James Denselow, « Panama Papers : How the Seychelles saved Syria »
https://uk.news.yahoo.com/seychelles-saved-syria-094511846.html?nhp=1
[vi] Amnesty International, rapport « ‘Death everywhere’: War crimes and human rights abuses in Aleppo ».
http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Crises-et-conflits-armes/Actualites/Syrie-Alep-les-barils-explosifs-repandent-la-terreur-et-le-sang-15041
[vii] Voir Biography ; Adnan Khashoggi – The Guardian, 8 juin 2007. voir aussi la fiche Wikipedia de Khashoggi (le monde des riches est petit : Khashoggi fit la connaissance en Égypte de Mohamed Al-Fayed, lui-même richissime, qui avait rencontré sa sœur Samira sur une plage d’Alexandrie. Al-Fayed et Samira se marieront en 1954, de cette union naîtra un fils, Dodi Al-Fayed, plus tard l’amant de la princesse Diana. Tous deux mourront à Paris dans un accident de la circulation le 31 août 1997.
[viii] . On pouvait notamment y croiser Silvio Berlusconi, ainsi que l’héritier du trône d’Italie et les chefs des trois branches des services secrets italiens.
Comment deux journalistes de la chaîne Al Jazeera ont piégé des forbans seychellois de la corruption et de la fraude fiscale
À l’automne 2012, deux étrangers d’allure banale en provenance d’Afrique arrivent aux Seychelles. Contrairement aux célébrités qui alimentent les chroniques « people », ils ne sont pas en escapade au « Paradis terrestre » avec leur cortège de paparazzi. Tout juste discrets, ils disent vouloir faire des affaires dans le centre financier offshore bien connu de l’île Mahé.
Les voilà dans les bureaux de Zen Offshore la bien nommée [littéralement « l’Offshore sans peine »], l’une des dizaines d’entreprises sur les îles qui mettent en place des sociétés fictives difficile à remonter pour les services fiscaux des pays riches Ils expliquent qu’ils représentent un individu qui a servi comme un « agent de liaison entre le gouvernement zimbabwéen et les riches mines de diamants. »
Pour toute personne qui comprend le lien entre la corruption et le blanchiment d’argent dans des pays à la fois économiquement pauvres et pourtant riches en ressources, cette déclaration aurait dû soulever des soupçons. Mais avant de pouvoir aller plus loin, le représentant de Zen Offshore les coupe : « Yep, nous ne voulons pas savoir tout ça ». Et il ajoute en riant : « Si nous avons connaissance de cela, nous devons le signaler. Donc, je n’ai pas entendu un mot de ce que vous avez dit dans les deux dernières minutes. »
L’opérateur explique ensuite comment le duo pourrait mettre en place une société aux Seychelles et cacher l’identité de la personne bénéficiaire en créant une structure de propriété labyrinthique, en mettant « une entreprise à l’intérieur d’une entreprise à l’intérieur d’une entreprise… »
La société seychelloise serait contrôlée par une société en République Dominicaine, qui serait contrôlée par une société au Belize, et ainsi de suite. Une personne qui tenterait de remonter au véritable propriétaire ne serait jamais en mesure de suivre la piste bien longtemps. « C’est tout simplement impossible, assure l’homme de Zen Offshore. Rassurez-vous, personne ne va essayer de chasser ce genre d’information. »
La conversation ici rapportée est du mot-à-mot parce que les prétendus clients ne sont pas en fait des émissaires pour un intermédiaire corrompu en Afrique. Ils sont des journalistes infiltrés exécutant une piqûre en caméra cachée pour un programme de la chaîne de télévision Al Jazeera.
Leur documentaire, qui a été diffusé peu après leur visite, a produit une onde de choc dans l’un des paradis fiscaux offshore éloignés du monde, un endroit qui a gagné la réputation de « hot spot » pour les princes arabes, les investisseurs chinois, des pirates, des fugitifs, des mercenaires, des truands – et les résidents étrangers qui veulent cacher leur argent ou déguiser leurs activités commerciales.
Quelques mois avant la diffusion du reportage en caméra cachée, Steve Fanny, le directeur général de l’agence qui supervise l’industrie offshore des Seychelles, déclarait à une revue d’affaires que son pays avait « toujours respecté les normes et les principes de bonnes pratiques internationales ». Et il ajoutait « nous ne voulons pas de blanchisseurs d’argent ou des criminels ». Fanny expliquait que les Seychelles sont heureuses d’aider les clients à l’étranger à exploiter la flexibilité du système fiscal international: « Payer moins d’impôt tant qu’on est dans le paramètre de la loi est légal. Il n’est même pas de votre devoir patriotique de payer un centime de plus. »
« Nous sommes une nation d’opportunités », fanfaronnait le président des Seychelles James Alix Michel en 2013 dans une interview au magazine des Nations Unies Afrique Renouveau. On peut le croire sur parole : dans les documents des « Offshore Fuites » la base de données du le Consortium international des journalistes d’investigation, figure un certain James Alix Michel comme l’unique actionnaire de Soleil Overseas Holding Ltd., une entité offshore mise en place dans les îles Vierges britanniques en 2007. L’adresse sur les documents Soleil correspondent à l’emplacement de la résidence présidentielle des Seychelles. Interrogé sur cette curiosité, un porte-parole du gouvernement seychellois a refusé de dire si le président Michel possède des comptes offshore.
Pour le Consortium international des journalistes d’investigation : « Cette nation [les Seychelles] est devenue un paradis pour le blanchiment d’argent et la corruption internationale ».
(Center for International Consortium of Investigative Journalists. Cité et commenté par Michael Hudson and Matthew Shaer dans « How the island of Seychelles became a haven for dirty money » 06/09/2014.)