Battu à l’élection présidentielle de seulement 193 voix (sur 63 983 votants) par le président sortant James-Alix Michel et malgré des fraudes avérées, le candidat unique de l’opposition est débouté de sa réclamation devant la Cour constitutionnelle. Et cerise sur le gâteau, le plaignant est menacé d’inéligibilité. Dans une interview exclusive à Afrikarabia, Wavel Ramkalawan confie ses espoirs d’alternance pour les élections législatives, prévues cette année.
Afrikarabia : – M. Ramkalawan, vous attendiez-vous à cette décision ?
Wavel RAMKALAWAN : – Nous n’avions pas grand espoir dans la décision des juges, mais nous sommes quand même déçus. Nous avions espéré au moins que la Cour exige un recompte des voix, vu la différence tellement infime de voix. C’est la loi du plus fort. Par contre, nous sommes stupéfaits que la Cour ait décidé d’entamer une procédure d’inéligibilité à mon encontre – Voir les jugements ici et là.
– Battu et rendu inéligible ! Comment serait-ce possible ?
– Je suis accusé d’avoir fait des promesses a un groupe ethnique, en l’occurrence des Tamouls, lors de la campagne de décembre; je n’ai pas été juge pour ce fait que la Cour considère illégal ; je n’ai pas eu l’occasion de me défendre, mais je suis passible d’une condamnation. Dans ce cas, nous serions vraiment retournés dans les heures les plus sombre de la vie politique seychelloise !
– A présent, qu’allez-vous faire ?
– Nous ferons appel de la décision concernant la deuxième pétition qui portait sur les irrégularités électorales, car la Cour a reconnu ces faits mais n’a pas souhaite prendre des sanctions contre les auteurs de ces actes. Au même moment, nous portons devant la Cour Constitutionnelle la question de la légalité des sanctions d’inéligibilité qui pèsent sur moi.
– Il est effectivement surprenant qu’un candidat battu à la présidentielle se retrouve menacé d’inéligibilité pour les scrutins suivants, comme par une sorte de « peine boomerang » ?
– Parlons clair : c’est ma peau que veut le président James Michel. Tout nous porte à espérer obtenir la majorité à l’Assemblée nationale aux prochaines élections – sans doute en août prochain. Nous nous attendons à toutes sortes de coups tordus pour empêcher cette alternance démocratique, qui serait une première en quarante ans. Ceci dit, nous restons confiants et nous redoublons nos efforts sur le terrain politique. Les décisions de la Cour cette semaine n’ont fait que remobiliser nos militants. Je suis confiant.
– Pour les citoyens du monde peu informés de l’actualité internationale, les Seychelles sont considérées uniquement comme une terre de rêve, avec un environnement exceptionnel et des habitants d’une grande convivialité. Qu’est-ce qui empêche votre pays d’être aussi un modèle de démocratie ?
– Le problème a commencé en 1977 avec le coup d’Etat mené par le premier ministre de l’époque, France Albert René, moins d’un an après l’indépendance. Auparavant, la vie politique se déroulait normalement et la question de la démocratie ne se posait pas. Le 5 juin 1977, pour la première fois les Seychelles sont entrées dans un processus de coup d’Etat, de balles tirées et d’innocents abattus. Ont suivi l’instauration du parti unique et du totalitarisme. L’ex-parti unique occupe encore le pouvoir actuellement. La démocratie a été sacrifiée. En 1992, le dictateur France-Albert René a été obligé de concéder le principe du multipartisme sans en tirer toutes les conséquences démocratiques, loin s’en faut. Nous nous trouvons dans une impasse. Aujourd’hui, la dictature se pare d’une certaine dose de démocratie, sans en tirer concrètement les leçons.
– Néanmoins, ne peut-on considérer que la situation s’est largement améliorée depuis la période où le président René a pris le pouvoir par la force et avait imposé aux Seychelles une forme de « dictature populaire » directement inspirée par l’Union soviétique, Cuba et la Corée du Nord ?
– Oui, le régime de France-Albert René a fait machine arrière, après l’encadrement militaire de la jeunesse, le flot de propagande « anti-impérialiste », la nationalisation d’une partie de l’économie privée. Cependant nous payons toujours les conséquences de la dérive totalitaire initiée par France Albert René et ses comparses et de tout ce qui a suivi. Si le parti unique s’est résigné à une certaine dose d’expression pluraliste, il a conservé les moyens de se maintenir au pouvoir depuis bientôt quarante ans. Le régime a toujours voulu contrôler les citoyens. Il est très difficile sinon impossible d’obtenir un emploi public si vous êtes considéré comme opposant. De même pour obtenir un logement, etc. De cette période subsiste un climat de peur, d’intimidation, de méfiance. Aucun Seychellois ne peut bénéficier de la garantie qu’il ne sera pas signalé aux autorités, ni qu’il bénéficiera du secret de ses communications téléphoniques, ou du secret de sa vie privée, qu’il pourra jouir des libertés élémentaires d’une démocratie…
– Par quel biais ce contrôle s’exerce-t-il ?
– Tous les Seychellois savent que les communications téléphoniques sont occasionnellement interceptées. Personne ne peut être sûr que ses communications par internet ne seront pas violées. Dans pas mal de cas, la preuve de ce contrôle de l’Etat a été documentée.
Cette volonté gouvernementale de contrôler les gens a de graves conséquences dans la sphère privée. On voit par exemple les parents qui mettent en garde leurs enfants contre le risque de colporter des propos tenus à la maison. On prend des précautions pour ne pas s’exprimer ouvertement. On s’autocensure. Par exemple, même si les parents sont connus comme des supporters du régime, ils vont très tôt apprendre à leurs enfants toutes les règles de prudence verbale que l’on voit à l’oeuvre dans les régimes totalitaires.
– Vous pouvez citer des exemples précis ?
– Des Seychellois qui votent en faveur de notre parti politique me disent « Wavel, j’ai voté pour toi mais j’ai dit à mes enfants de garder secrètes les discussions à la maison. Je ne voudrais pas que mes enfants en payent les conséquences ». Des militants de ma formation politique, le Seychelles National Party (SNP) me disent « nos parents sont des supporters du président James-Alix Michel. Mais ils sont vieux, ils ont peur de perdre beaucoup si on savait que nous sommes pour l’opposition. C’est pourquoi eux-mêmes s’affichent en faveur du président. »
Et c’est vrai, ils ont quelque chose à perdre. Ceux qui bénéficient de l’aide d’une personne à domicile craignent de perdre cette mesure sociale. Ils ont peur de se retrouver seuls et dépendants.
– Vous-même êtes sous surveillance ?
– Je sais que mes téléphones sont sur écoute. Pendant la campagne présidentielle de décembre dernier, j’ai eu des problèmes avec mon service de connexion internet. L’opérateur a constaté des anomalies liées à un « branchement ». Il est venu installer un nouveau système. Presque aussitôt, le service a été coupé. À plusieurs reprises pendant la campagne, ma voiture a été prise en filature, etc.. L’habitude par le régime de surveiller les communications téléphoniques est si ancienne et si bien installée que, dans le journal du parti au pouvoir, j’ai lu certaines attaques contre moi qui reposaient clairement sur des écoutes téléphoniques. Un de nos militants, Jean-François Ferrari, a reçu la visite d’un ami policier. Celui-ci lui a mis sous les yeux un procès verbal d’écoutes téléphoniques le concernant. Il l’avait extrait d’une liasse de PV d’écoutes devant être brûlée.
Je ne pense pas que le régime ait le moyen d’étendre la surveillance téléphonique et Internet vis-à-vis de beaucoup de Seychellois. Il lui suffit de faire régner la peur. Comme c’est aussi l’Etat qui construit l’essentiel des logements là où réside la majorité de la population à Mahé et Praslin, il tient d’une main le bâton, de l’autre la carotte. Les Seychellois ont tendance à se taire, à se résigner, pour ne pas risquer de perdre leur tour pour un logement social. C’est une façon habituelle d’acheter les voix.
– Au-delà de méthodes totalitaires, ce que vous décrivez est un système clientéliste ?
– C’est bien le mot. Le gouvernement reste le plus grand bâtisseur de l’archipel. Beaucoup de Seychellois sont logés par l’État. Il est aussi de très loin le premier employeur. L’embauche se fait souvent sur des critères politiques.
– Vous pouvez citer des cas ?
– Par exemple, il y a parmi nos militants une avocate particulièrement qualifiée qui, à plusieurs occasions, a présenté un dossier pour être nommée juge. Sa demande a toujours été rejetée. Elle a vu passer devant elle des jeunes avocats moins expérimentés, aux demandes plus récentes, mais connus pour s’afficher en faveur du gouvernement. Ca fonctionne aussi dans l’autre sens, pour se débarrasser d’agents de l’Etat soupçonnés d’être favorables à l’opposition. Récemment, l’adjoint au chef de la police a été contraint de remettre sa démission parce qu’il était soupçonné d’être proche de l’opposition lors de la dernière élection présidentielle. Sylvestre Radegonde était directeur du Conseil national du tourisme avant de se faire limoger. Je pourrais citer bien d’autres cas récents. En dépit des assurances du président James Michel, le système clientéliste de type mafieux fonctionne toujours avec autant d’efficacité. Le résultat est que de nombreux Seychellois qualifiés quittent le pays pour pouvoir exercer un emploi qui ne soit pas subordonné à des considérations politiques. C’est le cas de Sylvestre Radegonde, qui a été ambassadeur des Seychelles en Belgique et qui fut ensuite en charge du tourisme. Il a perdu sa place pour des raisons politiques. Il a fini par émigrer à Londres avec toute sa famille.
Vous évoquiez tout à l’heure cette image de paradis terrestre des Seychelles, une image destinée surtout aux touristes. Je vous pose à mon tour une question : comment ce supposé paradis peut-il obliger tant d’enfants du pays à fuir vers l’étranger ?
– Le 29 novembre 1985, Gérard Hoareau, le chef de l’opposition seychelloise de l’époque, a été assassiné à Londres. Les conditions de sa mort n’ont pas été complètement éclaircies, mais il s’agissait à l’évidence d’un assassinat politique. Comme chef de l’opposition, craignez-vous pour votre vie ?
– L’assassinat de Gérard Hoareau, c’était il y a 30 ans. À cette époque, aux Seychelles, des hommes considérés à tort ou à raison comme des opposants ont disparu et leurs corps n’ont jamais été retrouvés. Ceci a sciemment servi à exacerber ce climat de peur dont les traces se retrouvent jusqu’aujourd’hui. J’espère que nous n’en sommes plus là. Personnellement, je n’ai pas peur. Mais je sais que le régime, s’il tente d’améliorer son image, n’a pas fondamentalement changé. Actuellement, je continue de me poser des questions concernant certains mouvements de militaires intervenus discrètement avant le second tour des dernières élections présidentielles alors que nous étions largement vainqueurs à l’issue du premier tour.
Et je n’oublie pas comment j’ai été sévèrement battu le 3 octobre 2006 devant l’Assemblée nationale.
– Que s’est-il passé précisément ?
– Nous avions appelé nos militants à signer une pétition contre une loi qui interdisait aux partis d’opposition de créer une radio. C’était une manifestation pacifique qui regroupait un petit nombre de personnes. Tout à coup la police nous a chargés sans aucun motif. Je n’ai pas été le seul envoyé à l’hôpital. Jean-François Ferrari était lui aussi couvert de sang. Notre ami Roger Mancienne a été placé en garde-à-vue. Le régime a été assez stupide pour faire tabasser également la deuxième conseillère à l’ambassade de Grande-Bretagne qui était seulement venue se rendre compte de la manifestation. Le scandale a été tel que le Président de la république a accepté l’intervention d’un juge irlandais. Celui-ci a constaté que l’action de la police était une violation grave de nos droits, qu’elle n’avait aucun motif réel ni sérieux. Cependant, personne ici n’ignore que c’est le Président de la république en personne qui a ordonné à la police d’aller frapper les manifestants.
– C’était l’année de l’élection présidentielle, la première à laquelle devait se soumettre le dauphin d’Albert René. Cela pouvait-il expliquer la nervosité du régime ?
– Absolument pas. L’élection présidentielle venait d’avoir lieu, en juillet, dans des conditions très discutables. A peu près au même moment, James Michel visitait le pape. Sa sainteté Benoît XVI n’avait-elle aucune influence sur cet homme ? Comment pouvait-il sortir du Vatican la tête haute, en jurant de ses principes de bon chrétien, alors qu’il venait de faire tabasser le chef de l’opposition et ses amis ?
– En décembre dernier, pour la première fois depuis l’indépendance, le président sortant a été mis en ballottage et donc obligé de se soumettre à un second tour. Ceci peut laisser espérer que la vie politique seychelloise change, que la violence politique a disparu ?
– Chez James Michel, tout est planifié. Se retrouver en ballottage a été pour lui une totale surprise. Il a vu se profiler le spectre de son renvoi par les électeurs. Il a eu très peur. Il a mobilisé toutes ses ressources. Il n’a gagné au second tour qu’avec 193 voix d’écart.
Je ne suis pas sûr qu’un score inverse aurait été accepté par le régime. J’ai appris qu’un groupe de militaires s’était réuni pour discuter d’une prise de contrôle du pays en cas de défaite du président. Je n’ignore pas que certaines personnes croient que j’exagère lorsque je qualifie James Michel de dictateur, tout comme son prédécesseur. Et que je conteste sa légitimité. Ce régime est issu de scrutins scandaleusement truqués, de manoeuvres clientélistes, d’achat de voix et d’autres fraudes électorales avérées. Pour moi, James Michel reste un dictateur et les Seychelles, tout sauf une démocratie.
– Avez-vous le sentiment que la communauté internationale analyse correctement la situation politique de votre pays ? Etes-vous considéré comme une alternative par cette communauté internationale ?
– Comme je vous l’ai dit, en 2006, le fait que des policiers aient frappé une diplomate britannique a provoqué un choc. Notre parti adhére au Mouvement libéral international, qui a fait des représentations auprès de James Michel. Les États-Unis et l’Union européenne ont également exprimé leurs préoccupations. Ce sont les démarches de ces pays qui ont forcé le régime a accepté les investigations d’un juge étranger et indépendant.
– Depuis cette date, la communauté internationale a-t-elle persévéré pour faire pression en faveur d’une démocratisation intégrale ?
– Ca n’a pas été toujours le cas. Quelquefois, oui. Lorsque le président Michel a voulu faire passer une loi limitant le droit de rassemblement et les libertés publiques, il y a eu une vive réaction de Washington. Mais les États-Unis ont été les seuls à dire clairement que cette loi était antidémocratique. Cependant, la démarche américaine a eu du poids. Nous avons fait appel contre cette loi devant la Cour constitutionnelle. Et nous avons gagné : la loi a été déclarée anticonstitutionnelle.
– Les diplomates occidentaux sont donc écoutés de James Michel ?
– En règle générale, les diplomates en poste à Victoria se montrent plutôt complaisants envers le régime. Ils ont surtout en vue leurs droits de pêche. Ils défendent leurs intérêts, et de temps en temps, ils font de vagues discours sur la démocratie. Ils estiment être là aussi pour protéger le marché touristique, qui concerne principalement les Européens. Ils ont notre sympathie mais nous attendons d’eux un soutien plus actif aux valeurs que les représentants des démocraties sont censés défendre et qui ne sont pas respectées aux Seychelles. Nous voulons maintenir un dialogue avec ces diplomates qui doivent sentir l’évolution de la situation dans notre pays et dans bien d’autres.
– C’est la règle : le pragmatisme, pour ne pas dire le cynisme des pays occidentaux défendant d’abord leurs intérêts ?
– Oui, ils se sentent tranquilles concernant les accords de pêche. Et aux Seychelles le tourisme paraît à l’abri des vicissitudes rencontrées dans d’autres pays, notamment en matière de terrorisme. Les Indiens, les Australiens, sont intéressés par des accords de pêche. Les Japonais sont satisfaits que les Seychelles les alimentent en sushis. Ils ont beaucoup apprécié que les Seychelles se retirent de la Commission baleinière internationale qui milite pour l’interdiction de leur chasse mais il faut s’interroger sur la préservation de notre patrimoine écologique y compris notre faune marine. Voilà comment ils ont remercié le gouvernement Michel en finançant de grands travaux dans le port de Victoria. L’Inde est préoccupée par la surveillance de la région. Nous partageons le même Océan Indien. Les Seychelles sont considérées comme les Indiens comme un élément de leur stratégie militaire pour la surveillance de l’océan. Les Seychelles bénéficient également de la politique chinoise. Qu’il s’agisse de Pékin ou de Taïwan, c’est la « One China policy » (une même politique pour la Chine), favorable aux Seychelles.
– Les pays occidentaux ont félicité James Michel pour sa réélection au mois de décembre, alors que le contentieux électoral n’était pas purgé ?
– Ce n’est pas vraiment étonnant et ces félicitations sont purement formelles. Par contre nous avons été choqués que l’ambassadeur de Russie, dans une réunion publique récente, déclare que les élections ont été libres et transparentes. Aux Seychelles, l’ambassadeur de Russie est le doyen du corps diplomatique. Sa prise de position a été imprudente et regrettable.
– Vous l’avez dit, la Chine soutient également le régime. Elle a payé la construction du nouveau palais de justice et du nouveau bâtiment de l’Assemblée nationale…
– Nous, représentants de l’opposition, avons boycotté les inaugurations. La Chine ne nous semble pas l’acteur idéal pour porter des architectures de démocratie et de justice impartiale.
– Je reviens sur votre place de chef de l’opposition seychelloise au regard de la communauté internationale. Vous avez représenté l’opposition unie au second tour de l’élection présidentielle de 2015 et vous étiez déjà le candidat le mieux placé de l’opposition aux élections présidentielles précédentes. Cela vous vaut-il le statut que la communauté internationale réserve aux représentants d’une alternative politique crédible ?
– Pas dans la période récente. Avant 2011, les diplomates me reconnaissaient comme tel. Ils considéraient également le SNP comme une alternative avec laquelle ils devraient compter. Tout a changé après notre décision de boycotter les élections législatives de 2011. Tous ces diplomates, sauf l’ambassadeur des États-Unis et le Haut-commissaire britannique ont cessé de nous visiter. Comme si, en raison de ce boycott, le SNP et moi-même n’existions plus. Du point de vue diplomatique, ça a été pour nous une forme de traversée du désert.
– Quelles sont vos relations avec l’ambassadeur de France, M. Lionel Majesté-Larrouy ?
– Les relations ne sont pas idéales, loin s’en faut. Je ne suis pas convaincu que le représentant de la patrie des droits de l’homme, soit conscient du rôle joué par l’opposition politique aux Seychelles dans le processus de reconnaissance et d’effectivité des droits fondamentaux. L’ambassadeur a organisé il y a quelques mois une cérémonies sur le thème « Je suis Charlie » en hommage à la presse libre et agressée en France. Jean-François Ferrari a participé à cet événement mais a demandé à l’ambassadeur s’il était prêt à soutenir avec la même détermination la liberté de la presse aux Seychelles par exemple en ce qui concerne les fréquences radios, l’accès à la télévision nationale, le journalisme d’investigation… Votre ambassadeur nous a paru moins motivé alors que ces valeurs ne sont pas à géométrie variable selon qu’on soit à Paris ou à Mahé. Nous attendons davantage de courage de notre partenaire français.
– Ne regrettez-vous pas ce boycott des élections législatives de 2011 qui vous a fait disparaître de l’Assemblée nationale, laissant tout le champ disponible au parti présidentiel et à ses affiliés ?
– Au contraire nous estimons que la suite nous a donné raison. Devant l’absence d’évolution démocratique du régime il fallait le mettre devant ses contradictions. Notre absence de l’Assemblée nationale a réveillé la société civile qui a compris qu’elle devait participer à son destin et obtenir les réformes démocratiques. De nos contacts avec les Seychellois il apparaît que cette période les a fait mûrir politiquement. C’est l’émergence d’un désir d’avenir. Le résultat, c’est qu’au mois de décembre dernier nous avons été très près de l’emporter. C’est le processus lent, puissant et irréversible porté par l’opposition pour la transformation non-violente de l’espace politique seychellois d’une société totalitaire à une société démocratique.
Au sein du régime, des facteurs de décomposition sont apparus. Quatre ministres ont fait défection derrière Patrick Pillay. Il a constitué un nouveau parti politique, Lalyans Seselwa, Parti des Seychelles pour la Justice et la Démocratie (SPSD) qui a adhéré à la fédération de l’opposition.
Cette remise en mouvement de la société civile s’est également traduite par une plus grande audace des juges. Si la Cour constitutionnelle a jugé illégale la loi sur les rassemblements publics, c’est à mon avis que les juges ont pensé « Si nous ne défendons pas la démocratie, qui le fera puisque l’opposition n’a plus sa place à l’assemblée nationale ? »
Les juges se sont sentis investis de cette responsabilité. Ceci fait partie de ce que j’appelle la remise en mouvement de la société seychelloise. Ce processus nous parait conduire inéluctablement l’opposition à gagner les prochaines aux élections législatives. Ce serait la première fois depuis l’indépendance des Seychelles.
– Votre absence à l’Assemblée nationale vous a cependant occasionné certains préjudices. Vous avez perdu le financement public des partis politiques, et le régime a « emprunté » des pans entiers de votre programme ?
– Effectivement, James Michel n’a pas hésité à s’emparer de bien des aspects de notre programme économique de 2008. Récemment, dans son discours inaugural de la rentrée de 2016 à l’Assemblée nationale, il s’est dit favorable à la dépénalisation de l’homosexualité entre adultes consentants. En décembre, nous avions affiché cette revendication. Lui n’avait pas eu le courage de se prononcer là-dessus. Grâce à notre campagne il a vu que les Seychellois n’étaient pas hostiles à cette mesure. Mais il ne suffit pas de copier le programme de l’opposition. Nous lui disons « chiche ! Organisons un vaste débat national là-dessus, puis un référendum. »
– Il y a une mesure emblématique de votre programme qu’il n’a pas osé reprendre à son compte, c’est la dépénalisation de la consommation de cannabis ?
– Et pourtant cette mesure serait très importante. D’abord, elle permettrait de limiter l’usage de l’héroïne qui fait des ravages dans la population, sans compter l’héroïne trafiquée qui a été la cause de nombreux décès. Cela permettra aussi de lutter plus efficacement contre le trafic des drogues dures dont les Seychelles sont une plaque tournante et qui est un scandale inadmissible. Notre volonté c’est d’éradiquer le trafic de ces drogues en proposant aux polices internationales de s’associer aux services de police Seychellois. Il faudra aussi oser arrêter les gros poissons du trafic qui bénéficient d’une impunité réelle aux Seychelles.
Sur ce point également de la dépénalisation de la consommation de cannabis et de la lutte contre le trafic de drogue nous demandons un débat national. L’ensemble des Seychellois doit se prononcer en toute connaissance de cause.
– Lorsque j’ai commencé à vous interroger, j’ai rappelé que les Seychelles sont numéro un dans le palmarès des destinations de rêve des touristes. Mais les Seychelles sont également le numéro un d’un palmarès moins reluisant : le pourcentage de la population qui croupit en prison. Voyez-vous une issue à cette situation pointée depuis des années par les défenseurs des droits de l’homme ?
– Je sais que les Seychelles sont largement citées actuellement dans le débat des primaires américaines. Les Américains du Nord ont honte de figurer sur le podium des pays présentant les plus mauvaises statistiques carcérales. Et certains s’en défendent aux États-Unis en rappelant que les petites Seychelles font pire encore. Je le dis franchement : le régime devrait se réveiller. Cette situation ne peut plus durer.
– Pourquoi autant de Seychellois en prison ?
– La raison principale, c’est l’extrême sévérité du code pénal seychellois en matière de trafic de drogue. Il y a quelques jours, un homme a été condamné à la prison à perpétuité pour avoir été surpris en possession de deux ou trois kilos de cannabis. Vous entendez bien : une sentence de perpétuité. L’on mélange la répression de la consommation, la réflexion sur l’addictioon et la question des gros trafiquants qui, eux, ne croupissent pas en prison. C’est là que gît le scandale. Aux Seychelles, ça veut dire que l’homme sera maintenu en détention sans perspective de remise de peine au moins jusqu’à l’âge de 70 ans. Nous ne disons pas qu’il faut dépénaliser le trafic, nous constatons que la pénalisation a atteint les sommets de l’absurdité. D’après certains magistrats, plus de 75 % des personnes en détention ont été sanctionnés pour des affaires liées à la drogue. La pénalisation du cannabis est un facteur aggravant des pires maux sociaux comme les vols, les cambriolages, la prostitution, etc.. Ce n’est pas en mettant en prison de plus en plus de Seychellois que l’on garantira la tranquillité publique, bien au contraire.
– Durant la campagne de l’élection présidentielle de décembre, un autre chiffre a particulièrement ému : selon une statistique récente, 40 % des Seychellois vivent sous le seuil de pauvreté. Que pensez-vous de ce chiffre, et quelles solutions peuvent être apportées pour réduire cette fracture sociale ?
– Si le revenu moyen des Seychellois a progressé au cours des années, c’est un trompe-l’œil car les inégalités se sont considérablement aggravées. Nous parlions à l’instant du nombre de jeunes hommes en prison pour consommation drogue, ainsi que de la criminalité directement liée au cannabis. C’est un des aspects de ce qu’on appelle les « taches de pauvreté ». La mise en détention concerne des jeunes en situation de chef de famille. Non seulement ils ne peuvent plus subvenir aux ressources de leur parentèle, mais les familles fragilisées se saignent aux quatre veines pour leur porter assistance en prison. Donc, certains de leurs proches cherchent de l’argent par tous les moyens. C’est un cercle vicieux…
Ceci n’est qu’un des aspects de la fracture sociale aux Seychelles. Nous sommes convaincus que pendant des années, le pouvoir du parti unique puis totalement dominant, a maintenu volontairement une partie significative de la population en dehors de programmes d’émancipation sociale, d’éducation et d’amélioration de bien être. Le revenu moyen par habitant est relativement élevé mais la redistribution n’est pas à la hauteur des possibilités de croissance et l’endettement structurel du pays créé par le parti unique, pèse désormais sur les épaules de chaque habitant. C’est une honte, à bien regarder cette situation.
– Que préconisez vous ?
– Je pense qu’il est possible d’y remédier. Vous avez cité le chiffre de 40 % les Seychellois vivant sous le seuil de pauvreté. J’y ajouterai un autre chiffre émanant de la Banque mondiale : seulement 30 % du budget de l’assistance sociale aux Seychelles va réellement aux personnes qui en ont besoin. Cela veut dire un certain gaspillage pour les 70 % restants. C’est le problème de la politique clientéliste menée jusqu’à présent par le régime. On distribue des aides pour des raisons électoralistes souvent vers des personnes qui n’en ont pas le plus besoin. Le régime croit assurer sa pérennité en disant aux Seychellois « ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout ». C’est la voie de la facilité et c’est une impasse. Beaucoup de Seychellois qualifiés ne trouvent pas de travail aux Seychelles et doivent grossir la diaspora. Pourquoi devons-nous recruter les infirmières indiennes à l’hôpital Victoria alors qu’il y a de nombreuses infirmières et sages-femmes seychelloises employée dans les hôpitaux et cliniques britanniques ? Pourquoi devons-nous faire venir des travailleurs de l’Inde pour le bâtiment ? Pourquoi faut-il recourir à des travailleurs non qualifiés du Pakistan ou du Sri Lanka pour ramasser les poubelles ?
La raison est simple : une politique aveuglément clientéliste joue contre l’emploi, décourage les Seychellois de chercher du travail dans leur pays et préserve un groupe d’infra salariés à mi chemins entre l’assistance sociale et la pauvreté, des candidats électeurs qui ont difficile à se révolter. Cette mauvaise politique devient une habitude. Pourquoi, dans les hôtels cinq étoiles des Seychelles, n’y a-t-il pas un seul manager Seychellois ? C’est un problème que je connais bien car mon épouse, seychelloise, est la seule contrôleuse financière dans un hôtel cinq étoiles des Seychelles.
Je pose la question au président James Michel : « Pourquoi trouve-t-on des Seychellois à la tête de grands hôtels ailleurs dans le monde, et pas un seul dans leur propre pays ? ».
– L’industrie touristique apporte-t-elle suffisamment d’emplois aux Seychellois ?
– Après avoir connu un fort développement, l’industrie touristique est aujourd’hui à la croisée des chemins. Le taux moyen de remplissage des hôtels ne dépasse pas 60 %. Il faudrait viser 70 %. La responsabilité revient à ce régime qui a accordé des permis de construire en surnombre par rapport au trafic aérien et à la demande touristique. Ces dernières années, la compétition a fait baisser le prix des nuitées dans les cinq étoiles, et par effet de contagion dans les hôtels trois étoiles. On nous parle à présent de nouveaux permis de construire qui seraient accordés à des investisseurs du émirats, à qui le régime n’aurait rien à refuser. Ce serait pure folie alors que les hôteliers de toutes les catégories ont fait les investissements importants qu’ils parviennent difficilement à rentabiliser.
– Les Seychelles n’ont-elles-il pas exagérément misé sur un tourisme de luxe dont l’essor est limité ?
– La vérité, c’est un déficit complet de politique touristique au bénéfice de la population malgré des indicateurs économiques très précis. On connaît semaine par semaine la fréquentation touristique, mais le régime Michel n’en tient aucun compte, n’en tire aucune leçon. On nous parle maintenant d’exploiter le tourisme chinois. Mais il s’agit d’un tourisme de masse absolument pas approprié à l’hôtellerie seychelloise. Les Chinois ne fréquentent pas les cinq étoiles. Ils préfèrent les hôtels les moins chers et limitent leurs dépenses. Pour eux, l’exotisme et le romantisme, c’est Paris, Londres ou Rome, etc.
L’intérêt bien compris des Seychelles me semble l’augmentation des vols directs vers les pays européens afin de limiter le coût du transport des voyageurs et leur rendre le vol moins fatigant. Air Seychelles a repris ses vols directs vers Paris, c’est la bonne voie. La part des touristes allemands a diminué sans doute par manque de liens aériens directs.
Nous sommes partisans d’une politique touristique plus agressive capable dans un premier temps de restaurer les marges des hôteliers seychellois et de créer des emplois. C’est seulement lorsque ces marges seront compatibles avec les investissements réalisés qu’il faudra envisager la construction de nouveaux établissements.
Tout le monde est victime des carences de ce régime usé, sans idées, à bout de souffle : le personnel seychellois employé dans les hôtels et les autres entreprises de services touristiques, les investisseurs seychellois, les Seychellois dans leur ensemble, et aussi les touristes.
Une nouvelle politique du tourisme permettrait de faire revenir dans leur pays des Seychellois contraints de s’expatrier pour trouver du travail. Un tiers des Seychellois vivent hors des Seychelles. Beaucoup d’entre eux n’ont pas choisi cet exil et aimeraient rentrer, pour peu qu’ils y trouvent un bon emploi…
– Avez-vous identifié d’autres créneaux porteurs d’emplois ?
– Soyons réalistes. Les Seychelles ont bien des atouts, mais également les handicaps liés à l’insularité. Ne rêvons pas d’implantations industrielles massives. Notre avenir est plutôt dans le secteur des services. C’est d’abord une question de formation des jeunes. Les Français déplorent que de moins en moins de Seychellois parlent correctement le français. Mais savez-vous qu’il en va de même pour la pratique de l’anglais ? Cette dégradation est une très mauvaise chose pour notre pays. Il faut au contraire miser sur notre richesse linguistique. Faire en sorte que les jeunes Seychellois parlent non seulement le créole, mais le français et l’anglais correctement. C’est d’abord la base de notre développement touristique. C’est ensuite un moyen d’attirer de nouveaux emplois. Prenons un exemple : si vous voulez réserver un siège sur Air Seychelles pour vous rendre de Mahé à Praslin, vous êtes connectés à un centre d’appel situé… à l’île Maurice !
Si davantage de Seychellois étaient trilingues, nous pourrions développer les centres d’appels qui sont fortement créateurs d’emplois. Je vous cite cet exemple, car il montre que le manque de performance de notre système d’enseignement public a de lourdes conséquences. Certes, l’immense majorité de la jeunesse bénéficie d’un enseignement gratuit. Mais il faut voir plus loin : quelle est la qualité de l’enseignement, quelle est la qualité des diplômes délivrés aux Seychelleois ?
– Vous m’avez répondu sur l’industrie hôtelière. Parlons à présent de l’autre richesse des Seychelles, la ressource halieutique…
– Dans ce domaine également nous devons faire preuve de lucidité. Tous les spécialistes indiquent que les stocks des principaux poissons présents dans la zone économique exclusive des Seychelles sont en surpêche. Pour le thon, c’est évident à peu près partout. La situation est peut-être plus grave concernant le bourgeois. Depuis 30 ans l’industrie de la pêche a été pratiquement abandonnée aux armateurs étrangers. À part l’usine de mise en conserve du thon, le régime s’est montré incapable d’imaginer une mise en valeur nationale de la ressource et de son exploitation. La distribution de droits de pêche rapporte trop peu. Nous n’avons aucune politique de fermes marines. Nous avons été largement dépassés par l’île Maurice qui parvient à exporter aujourd’hui sa ressource halieutique sous forme de filet congelé et qui exploite particulièrement bien la filière des sushis. Comment se fait-il que le régime Michel n’ait pas pu encouragé les compagnies seychelloises à investir dans ce domaine ? Le résultat, c’est que ce sont les pays étrangers d’Europe, mais aussi le Japon, la Chine etc. qui exploitent notre or bleu.
– Que préconisez-vous ?
– Il est grand temps que nous organisions un véritable contrôle de notre ressource halieutique et que nous amenions beaucoup plus de plus-value locale aux poissons pêchés dans notre zone. C’est le seul moyen d’éviter un effondrement de la rente halieutique pour les Seychelles. Mieux contrôler les bateaux thoniers, par exemple. Leurs déclarations de capture semblent souvent tronquées. En particulier les navires usines russes qui semblent dépasser largement leurs quotas et saccager l’ensemble des espèces par des prises aveugles. Saisir les navires venus du Sri Lanka qui n’hésitent pas à braconner le poisson.
L’avenir de l’or bleu des Seychelles réside dans notre capacité à faire prévaloir une exploitation raisonnée, soutenable, de la ressource halieutique. Vraisemblablement une diminution des prises pour permettre la reconstitution intégrale de la ressource. Et enfin une valorisation de la filière qui, à quantité égale de poissons pêchés, rapporterait beaucoup plus d’argent au pays.
– Le régime des Seychelles a été accusé d’accorder des facilités excessives aux pétromonarchies, à la suite notamment d’avantages en faveur du cheikh d’Abu Dhabi de construire un palais monumental aux Seychelles en violation des règles d’urbanisme et du respect du paysage. Quelle serait votre position si vous parvenez aux affaires, vis-à-vis appétits des monarchies du golfe ?
– Je n’hésite pas à dire que le président James Michel a bradé les Seychelles au cheikh d’Abu Dhabi après avoir favorisé le Quatar. Le cheikh se comporte en pays conquis. Devons-nous céder à n’importe quel caprice sous prétexte que notre pays est petit, relativement pauvre, désirable et très convoité? Certainement pas. Concernant le cheikh d’Abu Dhabi, je note qu’en Grande-Bretagne il se voit imposer le respect des lois du pays, la transparence de ses investissements et une certaine dignité dans le comportement de sa suite. Pourquoi pas aux Seychelles ? Ce que je constate, c’est qu’il obtient un immense terrain public gratuitement, on lui accorde le droit de construire un édifice gigantesque qui viole les règles de l’urbanisme et de la protection de l’environnement. Je constate qu’il peut aller et venir aux Seychelles avec toute sa famille, tout son cortège, sans être soumis au contrôle des douanes et de l’immigration. Je constate qu’il arrive avec ses camions de nourriture et d’approvisionnements divers qui sont déchargés directement de son avion, etc.
– Sans compter les troupeaux de « filles » venues sur commande directement d’’Europe ?
– Que l’émir et sa suite viennent se détendre en toute intimité, c’est leur droit. Encore faut-il s’assurer que tout ceci ne tombe pas sous la condamnation du trafic d’être humain, si ces jeunes filles viennent pour des prestations sexuelles. Nous au SNP, nous disons « OK pour les pétrodollars, mais que la loi s’applique à tous ». La priorité c’est de conserver la beauté de notre pays, la virginité de notre environnement. On parle d’accorder à une pétromonarchie le droit de construire un nouvel hôtel de très grand luxe qui déséquilibrerait à la fois l’environnement et l’industrie hôtelière. Nous avons assez subi avec le palais aménagé à grands frais sur les hauteurs de Victoria. Ca ne doit pas se renouveler. Mais que de riches émirs veuillent dépenser leurs dollars aux Seychelles, pourquoi pas ?
– lorsque vous réfléchissez à l’avenir des Seychelles, quelles sont les expériences qui suscitent votre intérêt ? Pour prendre le cas de petits pays emblématiques, Singapour, avec son modèle politique autoritaire mais sa formidable capacité de développement ? Le Rwanda, parti de beaucoup plus bas mais qui lorgne vers le modèle singapourien ? l’Islande, sans la glace et la neige… ?
– Le problème d’une ile, c’est vers où a-t-elle envie de jeter l’ancre. Les Seychelles sont-elles ancrées vers l’Europe ? Le modèle de Singapour est évidemment une source de réflexions notamment sur les capacités de développement à l’international. Je pense que les Seychellois doivent inventer leur propre voie. Les Seychelles peuvent être un modèle africain. Un modèle de démocratie africaine qui aura transcendé les souffrances subies, le coup d’Etat, le régime totalitaire, la tyrannie, la violence politique. Si nous parvenons à être ce modèle, alors nous aurons progressé sur bien des tableaux.
– Depuis les années 2000-2010, les Seychelles sont critiquées par la communauté internationale pour constituer un paradis fiscal favorisant l’évasion financière et la criminalité internationale. Que préconisez vous ?
– C’est un problème qui nous préoccupe depuis longtemps. En 1985, le président Albert René a pris une loi, le Economic Development Act, qui stipule qu’un investisseur étranger versant au moins 10 millions de dollars US à l’économie seychelloise se verrait accorder l’immunité judiciaire non seulement par rapport aux Seychelles, mais aussi vis-à-vis de la communauté internationale. Clairement, cela signifie que Albert René a ouvert toutes grandes les portes des Seychelles à l’argent sale. Avec l’installation d’une section bancaire offshore, pas mal de gens sont venus ici pour éviter de payer les taxes dans leur pays d’origine. Pour cette raison les Seychelles figurent sur la liste noire des paradis fiscaux.
Les Seychelles servent surtout de lieu de transit pour les tenants d’énormes capitaux qui cherchent à bouiller les pistes en transitant dans notre archipel. J’ai entendu parler de scandales récents en France où les Seychelles sont apparues comme une machine à blanchir des capitaux et à brouiller les pistes. Je crois qu’un ancien ministre français du budget est impliqué.
Nous avons mis en garde le régime Michel contre un système qui non seulement est immoral et condamnable, mais qui ne profite même pas aux Seychellois.
Notre pays est utilisé par des bandits recherchés dans leur pays et qui ont parfois obtenu – je devrais dire acheté – la nationalité seychelloise. Le régime Michel fait passer les Seychelles pour un état-voyou de la finance internationale. Nous ne méritons pas ça. Faites savoir à vos lecteurs français que seuls quelques Seychellois corrompus sont à l’origine de ces dérives. Je note deux projets particulièrement louches, « Soleil d’Or » à Notion Point et le projet Beau Vallon où les investissements sont stoppés.
Les Seychellois ne profitent en aucune façon de leur « paradis fiscal ». Allez voir du côté de barons du régime pourquoi ils persistent dans cette voie, et qui s’enrichit…
– Certains demandent aux Seychelles de tenir un registre de sociétés offshore renseignant sur l’identité effective du bénéficiaire de la société. Vous êtes d’accord avec cette revendication ?
– Evidemment. Le régime prétend le faire, or toutes les personnes informées savent qu’il résiste des quatre fers…
– Ma question est évidemment en lien avec la précédente : on parle de plus en plus de la corruption du système politique Michel. Pourtant vous ne semblez pas entendu par les Seychellois sur ce point ?
– Je crois au contraire que cette demande est bien comprise par la population. Même si certains pensent peut-être que nous ne parviendrons pas à réformer ce régime et tombent dans la résignation, ils sont minoritaires aujourd’hui.
Nous avons proposé de créer une commission d’enquête sur la corruption. Les hommes du régime nous ont d’abord dit : « Ca ne servirait à rien, puisqu’il n’y a pas de corruption. » Mais ils ont du comprendre que les Seychellois sont excédés puisqu’à présent ils reprennent cette revendication et affirment qu’ils vont créer cette commission. C’est bizarre, non ?
La corruption est évidente. M Pillay a quitté le parti présidentiel et nous a rejoints dans l’opposition unie car il a été révolté de voir transiter 50 milliards de dollars en provenance d’Abou Dhabi, ici à Victoria, puis re-transférer cette somme à Londres sur un compte privé. On nous dit maintenant que c’était pour couvrir les besoins d’importation de produits alimentaires pour les Seychelles. Alors, pourquoi tant d’argent ?
Au moment où le pays était en grande difficulté, proche de la banqueroute, le président Albert René a acheté une immense exploitation agricole en Australie. Comment a-t-il gagné l’argent d’une telle transaction ?
On nous parle aussi de transferts via la SMB, Seychelles Materning Board et des accords offshore passés par le président Michel pour son compte dans la Seychelles soleil Holding
Où va-t-on avec toutes ces affaires ?
La solution passe évidemment par l’indépendance de la Banque Centrale des Seychelles. Qu’elle fasse correctement son travail, sans interférence. Que les transac tiosn soient transparentes. Que le patrimoine des personnalités politiques soit déclaré, suivi, contrôlé.
– Au cours de la récente campagne présidentielle, votre parti ainsi que les autres partis de l’opposition et différents acteurs de la société civile ont relancé l’idée de créer une Commission vérité et réconciliation, à l’image de ce qu’a fait Nelson Mandela pour tourner la page du colonialisme et de l’apartheid. Etes-vous sincèrement partisan d’une telle initiative ? Pensez-vous que ce serait de nature à permettre aux Seychellois de tourner définitivement la page des années de plomb ? Ne craignez-vous pas qu’une telle Commission réveille des souffrances et des fractures que les Seychellois ont tant de peine à oublier ?
– Je n’ai aucune hésitation sur ce point : les Seychellois doivent savoir la vérité sur leur histoire politique des quarante dernières années. La vérité sur ce qui s’est passé pendant les pires années de la dictature, et les années un peu moins pire. La vérité sur les assassinats politiques, sur les disparitions, sur les tortures, sur la terreur institutionnalisée. Cette vérité seule est capable de nous libérer en tant que peuple. Nous sommes un petit pays, très petit. Tout le monde est parent. La ligne de partage entre bourreaux et victimes traverse les familles. Les secrets n’en sont pas vraiment. Mais beaucoup souffrent de ne pas savoir pourquoi cet enfant, ce frère, ce cousin, cet oncle a été arraché et à leur affection. Où se trouve ce corps qu’il faut retrouver pour l’inhumer dans la dignité et pouvoir faire le deuil ?
il ne s’agit pas d’ouvrir les procès, de condamner tel ou tel, mais au contraire de rassembler les Seychellois pour assumer un destin commun. Ce travail, le régime actuel se refuse à le faire. James Michel se sent tributaire des crimes du passé et à ce titre il est bien un dictateur, l’héritier assumé, revendiqué, d’un autre dictateur, France Albert René. En voici un exemple : récemment, dans les fouilles d’un chantier de construction, on a retrouvé des ossements d’un homme sommairement enterré, comme un chien, voici longtemps. La rumeur indique que dans ce lieu un jeune homme a été tué. Il était relativement facile de pratiquer un test ADN pour s’assurer de sa parenté. Or le gouvernement a mis presque un an à dévoiler les résultats du test. Selon lui, aucun lien de parenté avec la personne disparue. Et avec d’autres disparus ? Pourquoi cet embarras ? Pourquoi cet interminable délai ? Pourquoi cette absence d’investigations complémentaires ?
Il est intolérable de se conduire ainsi et de prétendre que notre régime est démocratique. Un e Commission vérité et réconciliation est indispensable et utile, comme elle l’a été en Afrique du Sud. Certains se libéreront en demandant pardon. Et il leur sera pardonné. Ceux qui refuseront de dire leur vérité resteront avec leurs problèmes.
Il faudra également assurer les compensations aux familles qui ont été affectées et parfois plongées dans la misère à la suite d’une « disparition ». C’est un processus inévitable pour tourner définitivement le chapitre le plus noir de l’histoire des Seychelles, et pour faire de notre pays une véritable démocratie. C’est cette modernité que les Seychellois méritent.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER