Afrique et démocratie font-ils bon ménage ? Dans un ouvrage rafraîchissant, le journaliste Ousmane Ndiaye tord le cou à l’idée que la démocratie ne serait pas faite pour les Africains. Un essai qui se propose de « ré-universaliser l’idée de démocratie ». Un vaste programme.

A l’heure où la démocratie connaît un net recul partout dans le monde, le journaliste Ousmane Ndiaye, spécialiste de l’Afrique, interroge les relations du continent avec une notion dont certains n’hésitent pas à dire qu’il faudrait une démocratie « adaptée aux valeurs africaines ». Dans un ouvrage revigorant, « L’Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril » (1), l’auteur bouscule les idées reçues en revenant sur l’histoire tumultueuse de la démocratie et du continent, à la manière d’un carnet de route. Ousmane Ndiaye balaie déjà les mythes, selon lesquels la démocratie serait « une affaire occidentale », alors que l’Afrique devrait « d’abord se développer ». Un discours aujourd’hui assumé par les régimes « kakis » et autoritaires au pouvoir au Mali, au Niger, au Burkina Faso ou en Guinée. Lorsque le président Chirac avait osé : « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie », le prix Nobel nigérian Wole Soyinka avait rétorqué : « l’a-t-elle été pour la dictature ? » L’anti-démocratisme ambiant est surtout instrumentalisé par les régimes autoritaires pour mieux se légitimer.
« Regretter Mobutu »
Il y a ensuite cette notion qu’Ousmane Ndiaye appelle « le relativisme démocratique », incarné, notamment, par l’ancien journaliste vedette de RFI, Alain Foka. Un discours où le désormais influenceur panafricaniste et anti-impérialiste « finit par regretter la chute de Mobutu ». « Certains disent que la démocratie n’a pas de prix. C’est très discutable » déclare Alain Foka. « Comme si le manque d’hôpitaux en RDC était causé par l’organisation des élections » rétorque l’auteur. Et puis, il y a ces militaires, venus « sauver la Nation des terroristes et des affreux civils irresponsables et traîtres », comme au Mali. Sauf que dans ce pays, « les généraux ont passé plus de temps à faire de la politique qu’à faire la guerre ». Toujours au Mali, Ousmane Ndiaye s’interroge : comment peut-on passer de « se libérer de la France, à je m’octroye un mandat de cinq ans sans élections ? »
Le mirage de la « dictature éclairée »
Pourtant, l’auteur ne nie pas l’ingérence occidentale, notamment française, qui a « installé et maintenu au Gabon, aux Comores, en RCA, au Tchad, au Congo-Brazzaville ses hommes en n’ayant que faire des considérations et aspirations légitimes des peuples ». Et de citer les interventions en Côte d’Ivoire ou en Libye. Une autre notion trouve sa place dans l’essai d’Ousmane Ndiaye, il s’agit de la « théorie de la dictature éclairée ». Avec son héros : le président rwandais Paul Kagame. Croissance économique, lutte contre la corruption, propreté impeccable… « Nous voulons un Kagame chez nous » entend-on. Mais très peu de voix sont là pour s’interroger sur l’absence de presse libre, les droits de l’homme, l’accaparement du pouvoir.
« La tragédie des opposants historiques »
L’auteur rapporte une interview de l’écrivain Boubacar Boris Diop dans le journal El Païs à propos du Rwanda. « Je ne dirais pas que c’est une démocratie. Si j’étais un citoyen rwandais vivant au Rwanda, je ne pourrais pas dire les choses que je dis au Sénégal. En même temps devrais-je les dire si j’ai un chef d’Etat que je respecte parce qu’il n’est pas ethniciste et qu’il n’est pas corrompu ? » Et Ousmane Ndiaye de répliquer : « si Diop, si attaché à sa propre liberté d’expression juge que pour les autres (en l’occurrence la majorité) ce n’est point une nécessité, il frise le mépris de classe ». L’ouvrage se poursuit sur les bienfaits illusoires des « Conférences nationales », des Commissions électorales nationales indépendantes et leurs tours de passe-passe électoraux, comme en RDC. Et puis, il y a « la tragédie des opposants historiques », responsables de « l’affaissement de l’idéal démocratique », comme Alpha Condé, Laurent Gbagbo, Abdoulaye Wade, qui font l’objet d’une intéressante galerie de portraits.
La démocratie avant la colonisation
Il y a aussi ces « fictions démocratiques », ces démocraties canada-dry, avec des Constitutions, des limitations de mandats, un pouvoir législatif réel et judiciaire indépendant… mais, dont, au final aucun de ces textes ou de ces institutions ne sont respectés. Pourtant, nous apprend l’auteur, l’invention de la démocratie a précédé la colonisation. En 1795, au Cap Vert, est proclamée la République léboue, qui « abolit la monarchie et se construit sur le principe de l’égalité de tous. Le pouvoir est décentralisé. Il n’est ni de droit, ni de sang, mais repose sur la désignation par vote ». La République disparaîtra en se heurtant au pouvoir colonial. Un exemple qui démontre que les aspirations démocratiques étaient bien présentes. Car pour Ousmane Ndiaye, la démocratie est une valeur universelle. Il faut donc « ré-universaliser l’idée de démocratie ». Un beau programme pour l’avenir dans ces temps troublés.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
(1) L’Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril
 Ousmane Ndiaye
 Editions Riveneuve
 176 pages
 10,50 euros


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