Deux rapports d’Amnesty international et de Human Rights Watch (HRW) dénoncent « des atteintes aux droits humains généralisées » dans l’Est du Congo où s’affrontent les rebelles du M23, les milices Wazalendo et l’armée congolaise.

Les civils continuent de payer le prix fort du conflit à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Un rapport d’Amnesty international, basé sur une cinquantaine de témoignages, affirme que les belligérants se livrent à de « terribles atteintes aux droits humains », notamment des viols collectifs. Sur le banc des accusés, il y a les rebelles de l’AFC/M23, soutenu par le Rwanda voisin, mais aussi les milices Wazalendo, une galaxie de groupes armés hétéroclites, dont Kinshasa se sert de supplétifs. Tigere Chagutah, le directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, estime que « la brutalité des parties belligérantes ne connaît aucune limite ». Des atrocités qui « visent à punir, intimider et humilier les civils, alors que chaque côté tente d’asseoir son contrôle ». Le viol, utilisé comme arme de guerre, reste une constante dans le conflit congolais, tous acteurs confondus.
« Si elle ne retourne pas dans la chambre, je vais la tuer »
Sur les 14 survivantes de violences sexuelles du Nord-Kivu et du Sud-Kivu avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue, « 8 ont affirmé avoir été violées en réunion par des combattants du M23, 5 par des Wazalendo et une par des soldats des FARDC (l’armée régulière congolaise) ». Les viols commis par la rébellion se sont déroulés entre mars et mai 2025, « période durant laquelle le M23 contrôlait Goma et Bukavu », précise Amnesty. Violée par 5 combattants M23, une victime témoigne : « Quand je vois quelqu’un en tenue militaire, je suis traumatisée. Depuis ce jour-là, je ne sors plus. Quand je les vois, ça me fait mal au cœur. J’ai comme des palpitations ». Dans le Rutshuru, Amnesty a recueilli le récit d’une jeune femme violée réunion par des combattants Wazalendo en mars 2025. « Une autre femme était attachée entre deux arbres pendant que 6 Wazalendo la violaient » raconte le rapport. Les soldats congolais sont également accusés d’exactions contre les civils. Une femme a indiqué qu’elle était enceinte lorsque 2 soldats des FARDC l’ont violée à Bukavu en février 2025. Pendant le viol, sa fille de 14 ans, qui se trouvait dans une chambre, s’est mise à crier. Le soldat a dit : « Si elle ne retourne pas dans la chambre, je vais la tuer. »
« Le Rwanda et la RDC ne peuvent continuer à fuir leurs responsabilités »
Des membres de la société civile, des journalistes et des avocats ont également été ciblés par des combattants du M23, selon Amnesty. 12 défenseurs des droits humains ont témoigné d’actes de torture, de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et de menaces par le M23. « En mai, Aloys Bigirumwami, un membre du mouvement de jeunes Lutte pour le changement (LUCHA), et 5 autres personnes ont été emmenés à bord d’un véhicule, et cet homme n’a pas été revu depuis », documente le rapport. « Des combattants du M23 ont aussi attaqué des hôpitaux de Goma à 6 reprises pendant la même période ; ils ont enlevé ou arrêté des patients et des garde-malades, y compris des soldats des FARDC qui avaient été blessés ou avaient toujours besoin de soins, ou encore qui se cachaient dans l’hôpital ». Pour Tigere Chagutah, « le Rwanda et la RDC ne peuvent continuer à fuir leurs responsabilités, et doivent amener tous les auteurs présumés à répondre de leurs actes ».
Massacre dans le parc des Virunga
Un autre rapport, de Human Rights Watch cette fois, pointe le M23 pour avoir commis des massacres dans le parc national des Virunga et avoir « exécuté plus de 140 civils dans 14 villages et zones agricoles », en juillet 2025. L’ONG affirme que « des témoignages, des sources militaires et l’ONU indiquent que l’armée rwandaise était aussi impliquée dans les opérations du M23 ». Human Rights Watch s’est entretenu avec 36 personnes dont 25 témoins et a analysé des vidéos, des photographies, consulté des médecins légistes et « corroboré les témoignages à l’aide de cartes et d’images satellite ». Human Rights Watch a établi une liste de 141 personnes qui ont été tuées ou qui sont portées disparues et explique que « les combattants du M23 leur ont ordonné d’enterrer immédiatement les corps dans les champs ou de les laisser sans sépulture ».
Nettoyage ethnique ?
L’ONG note que les victimes de ces massacres sont « majoritairement des hutus (…) et dans une moindre mesure à l’ethnie nande ». Ces exactions « semblent faire partie d’une campagne militaire contre des groupes armés rivaux, en particulier les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais à majorité hutue, créé par des personnes ayant pris part au génocide de 1994 au Rwanda ». Pour Human Rights Watch, « le fait que le M23 cible des civils hutus vivant à proximité des bastions des FDLR soulève de graves préoccupations de nettoyage ethnique dans le territoire de Rutshuru ». Deux militaires de haut rang de l’armée rwandaise, le colonel Samuel Mushagara et le général de brigade Baudoin Ngaruye, sont accusés par l’ONG d’avoir mené ces opérations. « Le Conseil de sécurité de l’ONU, l’Union européenne et les gouvernements devraient condamner ces abus graves, imposer de nouvelles sanctions aux responsables d’abus et faire pression pour que les commandants impliqués dans des crimes de guerre soient arrêtés et traduits en justice ».
Des accusations « politiquement motivées »
L’AFC/M23 a fortement démenti les accusations de Human Rigths Watch. « Des allégations infondées dans lesquelles chaque organisation avance son propre bilan des victimes » indique Lawrence Kanyuka sur X. Le porte-parole du mouvement fait allusion au rapport du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU qui a indiqué qu’« au moins 319 civils ont été tués par le M23, soutenu par des membres des Forces rwandaises de défense, entre le 9 et le 21 juillet dans quatre villages de Rutshuru ». Ces accusations seraient « politiquement motivées ». Selon l’AFC/M23, le rapport de Human Rights Watch « ne repose sur aucune preuve tangible, seulement sur des ouï-dire et des images interprétées de manière fallacieuses ». La rébellion accuse enfin Kinshasa de « multiplier les violations du cessez-le-feu » et de refuser « de mettre en oeuvre les mesures de confiance » des négociations de Doha.
Christophe Rigaud – Afrikarabia