A Bruxelles, le président congolais a proposé une « paix des braves » à son homologue rwandais. Une sortie médiatique aussi surprise que maladroite, alors que Félix Tshisekedi se retrouve désormais sous pression américaine pour accélérer les processus de paix de Doha et Washington, toujours en souffrance.

Quelle mouche a bien pu piquer Félix Tshisekedi à Bruxelles devant le Global Gateway Forum de Bruxelles ? A la surprise générale, le président congolais s’est directement adressé à son homologue rwandais, Paul Kagame, en lui proposant une « paix des braves ». « Nous vivons cette situation et nous sommes les deux seuls capables d’arrêter cette escalade ». « Il n’est pas trop tard pour bien faire, a insisté le chef de l’Etat. Je prends à témoin ce forum, et à travers lui le monde entier, pour vous demander d’ordonner aux troupes du M23, soutenues par votre pays, d’arrêter cette escalade qui a déjà fait des millions de morts. » Et de se justifier en indiquant qu’« en aucun moment, je n’ai affiché une attitude belliqueuse » envers le Rwanda ou ses autres voisins. La réponse du président rwandais sur X a été cinglante quelques heures plus tard : « Ceux qui s’inquiètent du bruit que fait un bidon vide ont aussi un problème. Il vaut mieux laisser couler ou s’en éloigner. » Le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, en a rajouté une couche, qualifiant les déclarations de Félix Tshisekedi de « comédie politique ridicule ». « Le seul à pouvoir arrêter cette escalade est le président Tshisekedi, et LUI SEUL », a fustigé le ministre rwandais, dénonçant la collaboration de l’armée congolaise avec les groupes armés FDLR ou Wazalendos.
« Aucune attitude belliqueuse »… Vraiment ?
La sortie médiatique de Félix Tshisekedi a de quoi étonné. D’abord sur la forme. Le rendez-vous de Bruxelles n’était peut-être pas le lieu le plus idoine pour inviter le conflit en RDC à la table d’un forum économique sur l’investissement en Afrique. Bévue ou simple étourderie, le président congolais s’est ensuite pris les pieds dans le tapis en affirmant n’avoir jamais affiché « une attitude belliqueuse » envers son homologue rwandais. Les déclarations pullulent sur les réseaux sociaux, qui ressortent du placard ses nombreuses invectives : « À la moindre escarmouche, de chez nous, nous pouvons atteindre Kigali », « Je ne rencontrerais Kagame qu’au ciel », ou encore en comparant le président rwandais à Adolf Hitler. Sur le fond, qu’est-ce qui explique cette main tendue et ce changement de pied de Félix Tshisekedi envers la question rwandaise. Dernièrement, la diplomatie congolaise avait été très offensive, voulant faire qualifier le conflit au Congo de génocide, ou en voulant imposer des sanctions contre le Rwanda pour son soutien aux rebelles de l’AFC/M23. Ce brutal revirement sonne comme un aveu de faiblesse du président congolais, acculé et pressé par le médiateur américain de « faire sa part » dans les négociations en cours, à Doha avec l’AFC/M23 et à Washington avec le Rwanda.
Donald s’impatiente
Il faut dire que les négociations piétinent sérieusement. A Doha, la question de la libération des prisonniers M23 bloque toujours et empêche toute avancée dans ce processus qui doit mettre fin aux combats, et trouver un modus operandi entre Kinshasa et les rebelles sur les territoires occupés. A Washington, les opérations de mise en oeuvre des mesures de l’accord ont péniblement débuté début octobre, avec plusieurs semaines de retard. Or, Donald Trump s’impatiente. Il répète à qui veut l’entendre qu’il a mis fin à la guerre à l’Est du Congo et voudrait bien voir le cadre d’intégration économique régional entre la RDC et le Rwanda enfin se concrétiser. Le 3 octobre dernier, le document n’a finalement pas pu être signé, alors que le texte avait été finalisé. La faute en revient à la RDC qui a mis sur la table le retrait des troupes rwandaises du sol congolais avant toute signature. Un report qui passe mal à Washington alors que le désengagement de l’armée rwandaise fait partie du volet sécuritaire de l’accord, en échange de la neutralisation des FDLR. Donald Trump attend donc de pouvoir finaliser au plus vite le « deal économique » pour lancer les entreprises américaines à l’assaut des minerais congolais.
Une déclaration qui fait pschitt ?
La main tendue impromptue de Félix Tshisekedi à Paul Kagame s’inscrit donc dans la volonté de Kinshasa de « bousculer » Kigali pour forcer Paul Kagame à activer le retrait de ses troupes. Une mesure que Félix Tshisekedi a promise de longue date à l’opinion publique congolaise. On peut désormais s’interroger sur l’efficacité de cette sortie hasardeuse. Maladresse, coup de bluff ou coup de maître pour faire bouger les lignes ? Autant dire que dans l’opposition, on s’est étonné des déclarations présidentielles. Jean-Marc Kabund, l’ancien patron de l’UDPS tombé en disgrâce, s’est étranglé sur X : « Dites-moi que ce n’est pas vrai, ce que je viens d’entendre. Si cela l’est, je me pose la question : dans quoi sommes-nous ? ». L’opposant Gratien Iracan, ne comprend pas non plus la main tendue du chef de l’Etat : « Le président Félix Tshisekedi vient de montrer, à la face du monde à Bruxelles, qu’il n’a pas de schéma clair pour ramener la paix. Les revirements constants du pouvoir traduisent un manque d’écoute du peuple et un excès d’ego ». Une chose est sûre, c’est que, pour l’instant, le discours du président congolais à fait officiellement pschitt à Kigali. Mais en prenant une nouvelle fois à témoin la communauté internationale, Félix Tshisekedi tente de faire bouger les lignes pour accentuer la pression sur le Rwanda… qui n’en a cure.
Christophe Rigaud – Afrikarabia