L’opposition a massivement manifesté ce mardi à Kinshasa contre un troisième mandat du président Joseph Kabila. Un rassemblement qui marque le retour de la contestation populaire dans la rue.
C’était la première manifestation de l’opposition après la forte mobilisation de janvier 2015 contre la loi électorale, qui s’était soldée par une violente répression policière et une quarantaine de morts. Les principaux partis d’opposition congolais réunis dans «la « Dynamique de l’opposition » avait donné rendez-vous à la population pour dénoncer un possible « glissement » du calendrier électoral et le maintient du président Joseph Kabila au-delà de 2016. 2.000 à 3.000 personnes selon les agences de presse internationales ont écouté place Sainte-Thérèse de Ndjili une dizaine de ténors de l’opposition venus dire « non à un troisième mandat de Kabila » et exhorter le chef de l’Etat « à organiser les élections dans les délais constitutionnels ».
Provocations
C’est à la fin du meeting, vers 15h00, que la situation a dégénéré. Un mouvement de foule a rapidement attiré l’attention des manifestants. Les versions divergent ensuite sur les événements. Les organisateurs de la manifestation affirment qu’une bande de jeune gens, armés de bâtons, se sont mis à provoquer la police, sans que celle-ci n’intervienne. D’autres témoins ont simplement vu un attroupement autour d’une personne tabassée par la foule. Le jeune homme à terre serait un responsable du mouvement de jeunesse du PPRD, le parti présidentiel. Les manifestants accusent en fait les jeunes perturbateurs d’être venus provoquer la police sur ordre du pouvoir. Les forces de sécurité sont intervenus avec retard selon les témoins sur place. « Ils ne se sont déplacés que pour récupérer le jeune homme à terre » nous explique un manifestant joint par téléphone. Un bilan provisoire faisait état d’un blessé grave mardi soir. Une autre source parle de un mort.
La pression s’accentue sur le chef de l’Etat
Cette manifestation intervient dans un contexte politique extrêmement tendu. Le président Joseph Kabila est accusé de vouloir retarder le processus électoral pour s’accrocher à son fauteuil. Or, la semaine dernière, la Cour constitutionnelle a exigé la tenue des élections des gouverneurs avant les élections provinciales. Mais le Premier ministre a aussitôt affirmé que le pays « n’avait pas les moyens d’organiser ces élections »… de quoi inquiéter l’opposition qui craint le « glissement » du calendrier. Au même moment Joseph Kabila apprenait deux mauvaises nouvelles : l’UDPS jetait l’éponge du dialogue qui devait formaliser le partage du pouvoir et un groupe de sept « frondeurs » de la majorité demandait au président Congolais de « respecter la Constitution » et donc de quitter le pouvoir en 2016.
Un bon point pour l’opposition
La manifestation d’aujourd’hui met le chef de l’Etat dos au mur : il n’a plus de soutien dans l’opposition (l’UDPS ayant pour le moment fermé la porte) et devient contesté en interne (avec la fronde de quelques caciques de la majorité). Même si la mobilisation n’a pas été monstre, au regard de la population de Kinshasa, les manifestations de janvier 2015, qui ont fini par faire reculer le gouvernement sur la loi électorale, avaient commencé plus modestement. L’opposition marque donc un point en démontrant que malgré la violente répression de janvier, les Congolais peuvent de nouveau redescendre dans la rue. Autre point : quelques drapeaux de l’UDPS, qui n’a pourtant pas appelé à manifestation (jusque là pour cause de « dialogue ») ont été aperçus dans la foule. Preuve que pour certains militants la place du parti d’Etienne Tshisekedi est bien dans l’opposition. Cette manifestation resoude sans conteste l’unité de l’opposition, même si les querelles de personnes sont encore loin d’être réglées.
Répression : le pouvoir lève (un peu) le pied
Au cours cette manifestation, le pouvoir a également réussi à donner une toute autre image. Tout d’abord celle de l’ouverture en autorisant la manifestation. Ensuite en imposant à ses forces de l’ordre une certaine retenue (qui lui sera d’ailleurs reprochée). La police s’est tenue à distance et sans les provocations de quelques jeunes, la manifestation se serait déroulée sans heurt. En janvier 2015, la ville était quadrillée par les forces de sécurité, empêchant tout mouvement de foule et tout rassemblement, ce qui n’a pas été le cas à Sainte-Thérèse, où les manifestants ont pu circuler librement. Seul bémol : la participation de provocateurs, dont on peut en effet penser qu’ils étaient en service commandé (« sinon la police serait intervenue plus rapidement », nous ont confié des témoins). La mobilisation de Ndjili n’est donc que le premier acte d’une reprise de la contestation « anti-troisième mandat » dont Joseph Kabila aura bien du mal à se débarrasser, sauf à annoncer son départ pour 2016. Le second acte aura lieu assez rapidement au Parlement, où les députés vont examiner le budget et déterminer si oui ou non l’Etat a les moyens d’organiser les prochaines élections. Une étape cruciale qui déterminera pour le futur, l’action de l’opposition… et de la rue.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia