Anicet-Georges Dologuélé, investi par son parti (URCA) pour la présidentielle de décembre, analyse ce qu’il considère comme les échecs du président Faustin-Archange Touédéra : retard dans le processus électoral, insécurité grandissante, corruption et mauvaise gouvernance généralisées.
Afrikarabia : La tenue de l’élection présidentielle du 27 décembre prochain paraît de moins en moins probable. Les retards s’accumulent dans l’enrôlement des électeurs, et l’insécurité continuent de régner sur la majorité du territoire. Que va-t-il se passer en cas de blocage ?
Anicet-Georges Dologuélé : Ce blocage est connu depuis longtemps puisque l’Autorité nationale des élections (ANE) n’est pas légitime. La Constitution prévoyait que le président de la République devait mettre en place une nouvelle Autorité un an après sa prestation de serment, et il ne l’a pas fait. Les nouveaux commissaires tardent à se mettre en place et les commissaires partants vont quitter l’ANE quatre jours avant le premier tour. Ce n’est plus du cafouillage, mais de la négligence. Il y a au moins trois à quatre mois de retard ! Face à cette situation, nous devons suivre la Cour constitutionnelle qui avait donné un avis défavorable lorsque le président avait tenté de prolongé son mandat. En contre-partie, la Cour avait spécifié qu’il n’y aurait pas de transition et pas de suspension des institutions. Cela veut dire que le président restera en place, ainsi que l’Assemblée nationale. Cette situation devra être gérée dans une logique de concertation nationale pour déterminer sous quelle forme l’exécutif doit fonctionner pour conserver une légitimité.
Afrikarabia : Vous ne craignez pas que ces élections s’organisent aux forceps, dans de mauvaises conditions ?
Anicet-Georges Dologuélé : Si ces élections se déroulent dans les conditions actuelles, ce sera aux forceps et dans de très mauvaises conditions. Mais je pense que le président doit être raisonnable. Nous sommes tous animés de bonne volonté. Il faut se concerter et évaluer ensemble le temps nécessaire pour que ces élections soient correctement organisées.
Afrikarabia : L’un des défis majeurs à relever en Centrafrique, c’est l’insécurité et la problématique des groupes armés qui contrôlent plus de 80% du territoire. Vous êtes très critique sur les accords de Khartoum de 2019 passés entre le gouvernement et quatorze groupes armés. Que reprochez-vous à ces accords, et que proposer à la place ?
Anicet-Georges Dologuélé : J’ai été critique avant les négociations, pendant et après. Avant, parce que je pensais que ce n’était pas un problème entre le gouvernement et les groupes armés. C’était un problème national. Il fallait que le gouvernement se concerte avec l’ensemble de la communauté nationale pour trouver un consensus. Au lieu de cela, le président a négocié avec les groupes armés pour qu’ils soient ses partenaires pour les élections et empêcher les autres candidats de faire campagne. Khartoum correspondait à l’agenda personnel du président Touadéra. On en voit les conséquences. Ces groupes armés font ce qu’ils veulent. Une fois ils suspendent leur participation aux accords, une autre fois, ils reprennent leur participation… et tirent sur la population. Il faut mettre un stop et renégocier avec ces groupes dans de meilleures conditions.
Afrikarabia : Vous avez été investi fin août par votre parti, et vous pilotez également la plateforme d’opposition COD 20-20. Quelle est la stratégie de cette coalition ? Faire émerger un candidat unique ?
Anicet-Georges Dologuélé : Le but premier de cette plateforme n’était pas électoral. J’étais tout seul dans l’opposition depuis 2016, et d’autres m’ont rejoint petit à petit. L’idée était de parler d’une même voix sur les questions de sécurité et sur la préparation des élections. Mais dans notre charte, il y a la possibilité de passer des accords électoraux : pour surveiller le scrutin, pour s’entendre sur les législatives, et pourquoi pas, pour une candidature unique. Quand viendra le moment, on évaluera les forces des uns et des autres, et nous verrons quelle sera la meilleure stratégie : avoir plusieurs candidats pour se réunir ensuite au second tour, ou bien proposer un candidat unique.
Afrikarabia : Quelles sont vos relations avec l’ancien président François Bozizé qui veut aussi être candidat ? Y-a-t-il un accord entre vous ?
Anicet-Georges Dologuélé : François Bozizé fait partie de la coalition COD 20-20. Il est très assidu à nos réunions. Il ne manque aucune réunion et est très discipliné. Il faut savoir que son parti, le KNK, m’avait soutenu en 2016. Donc, nous avons des relations de partenaires. Et depuis qu’il est revenu en Centrafrique, nous essayons de les renforcer.
Afrikarabia : Si la candidature de François Bozizé n’était pas validée, vous pouvez espérer que son parti, le KNK, vous soutienne de nouveau ?
Anicet-Georges Dologuélé : Ce sont des choses qui doivent se négocier.
Afrikarabia : Quel bilan dressez-vous du mandat de Faustin-Archange Touadéra ?
Anicet-Georges Dologuélé : Il n’y a tout simplement pas de bilan. Il est négatif sur le plan sécuritaire. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, les groupes armés occupaient 30 à 40% du territoire, aujourd’hui c’est 85%. Bilan économique négatif aussi puisque les groupes armés occupant la majorité du pays, les Centrafricains ne peuvent plus vaquer à leurs activités. 40% d’enfants ne vont pas à l’école. Rien n’a été fait pour améliorer l’éducation. Le système de santé s’est écroulé. Bilan négatif en terme de gouvernance puisqu’il n’y a jamais eu autant de corruption à ciel ouvert depuis l’indépendance. Aujourd’hui, plus personne ne se cache. La Centrafrique reçoit beaucoup d’aides extérieures, mais les Centrafricains ne voient rien sur le terrain. Tout cela va dans la poche des dirigeants. C’est vraiment un bilan catastrophique.
Afrikarabia : Quelles seraient vos premières mesures si vous êtes élu ?
Anicet-Georges Dologuélé : Il faut d’abord rassurer les Centrafricains pour que dans les six mois, la sécurité revienne. Ensuite, relancer l’économie avec un plan précis pour l’agriculture alors que 80% des Centrafricains travaillent dans ce secteur. Et enfin l’école : encourager tout ceux qui ont été formés à enseigner.
Afrikarabia : Le retour de la sécurité ne se décrète pas. Comment ferez-vous ?
Anicet-Georges Dologuélé : Une armée, c’est une organisation. 4 à 5.000 FACA ont été formés. Ce n’est pas beaucoup, mais ils ne sont pas utilisés. On les envoie dans des camps protégés par la MINUSCA et vont rarement au combat. Cette armée peut être immédiatement opérationnelle. Mais elle a besoin d’être commandée. Le second point, c’est que les forces des Nations-unis sont normalement à la disposition du gouvernement. Et c’est le chef de l’Etat qui doit voir avec la MINUSCA quelles sont les opérations précises à réaliser. Cela n’a jamais été le cas. On a l’impression que le président ne sait pas que la MINUSCA est à sa disposition !
Afrikarabia : Cette impuissance du président Touadéra est intentionnelle ?
Anicet-Georges Dologuélé : L’impression que donnent le président et le gouvernement, c’est que cinq ans après avoir conquis le pouvoir, ils ne savent toujours pas pourquoi ils sont là. Il y a des choses basiques qui ne sont pas faites. Cela donne l’impression que le chef de l’Etat ne sait pas pourquoi il est là. Il y a un déficit important de leadership.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia