À Uvira, la contestation d’un général congolais jugé proche du M23 a ravivé les tensions avec la communauté tutsie congolaise, alors que le renforcement du M23 et de l’armée régulière fait craindre une reprise des combats à plus haute intensité.

Tous les regards sont actuellement tournés vers Uvira, une ville du Sud-Kivu, qui se trouve dans le viseur de la rébellion de l’AFC/M23 depuis leur prise de Bukavu début 2025. Uvira est considéré comme le dernier verrou stratégique du Sud-Kivu face à la rébellion. Sa chute fragiliserait un peu plus Kinshasa et ouvrirait la voie vers la riche province du Katanga. La ville est encore contrôlée par les autorités congolaises, qui y ont installé le siège du gouvernorat provincial délocalisé après la chute de Bukavu. Mais depuis début septembre, Uvira est devenu l’épicentre d’une polémique qui a ravivé d’anciennes tensions communautaires. Au coeur de ces troubles, il y a la nomination, par le président Félix Tshisekedi, du général Olivier Gasita comme commandant adjoint de la 33e région militaire et sa prise de fonction dans la ville d’Uvira le 1er septembre. A la tête la fronde, on trouve des organisations de la société civile, mais surtout les milices Wazalendo, ces groupes armés incontrôlables, alliés à Kinshasa. Ils reprochent au général Gasita d’appartenir à la communauté tutsie Banyamulenge et d’être de mèche avec l’AFC/M23 et le Rwanda, dont la principale revendication est justement la défense de cette communauté. Des affrontements ont eu lieu entre Wazalendo et FARDC (armée congolaise) et plusieurs manifestations se sont déroulées dans les rues d’Uvira pour demander le départ du général Gasita, toutes violemment réprimées par les forces de sécurité congolaise. Un bilan de 6 morts a été avancé par la société civile d’Uvira.
« Nettoyage » des officiers tutsis dans l’armée
Olivier Gasita a été la cible du député Justin Bitakwira qui est aussi coordonnateur des Wazalendo au Sud-Kivu. Il accuse le général Gasita de collusion avec le M23 et d’avoir prononcé un discours appelant les Wazalendo à laisser passer les rebelles, ce qui aurait facilité la chute de Bukavu. Anti-rwandais, anti-Tutsi, Justin Bitakwira est le porte-voix le plus remarqué des « discours de haine » contre les populations rwandophones de l’Est congolais. Le député a été sanctionné par l’Union européenne pour ses incitations « à la violence et à la discrimination de la communauté banyamulenge ». Il déclarait récemment que « les Tutsi congolais ne sont pas des Congolais, mais des espions rwandais » et appelait à un « nettoyage » des officiers tutsis dans l’armée. Des propos qui mettent en porte-à-faux Kinshasa, qui appelle officiellement « à mettre fin aux discours de haine », mais qui s’appuie en même temps sur les Wazalendo pour combattre le M23. Le porte-parole de l’armée congolaise a tout de même apporté son soutien à Olivier Gasita : « Un militaire n’appartient pas à des communautés, il est au service de la nation toute entière. Que des gens des mauvaises foi ne nous rabaissent pas dans des considérations communautaires, un militaire communautaire n’existe pas ».
Un ministre à Uvira pour faire baisser la pression
Malgré le soutien de l’armée, le 9 septembre en pleine nuit, le général Gasita a été exfiltré d’Uvira vers Bujumbura, au Burundi voisin, puis vers Kinshasa. Mais les tensions ont perduré et se sont concentrées sur la communauté Banyamulenge de la ville. Un responsable Wazalendo a même lancé un appel en donnant « 10 jours aux Tutsi d’Uvira pour quitter la ville. Au-delà, vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous a pas prévenu », dit le message. Kinshasa indique ne pas connaître l’auteur de ce message, qui pourrait être « une manipulation ». Mais de son côté, l’avocat belge, Bernard Maingain, dénonce « une communauté Banyamulenge qu’on veut éradiquer ». Pour Olivier Kamitatu, le conseiller politique de l’opposant Moïse Katumbi, « ce climat de haine ne doit pas être pris à la légère. Il est désormais impératif de comprendre qu’aucune solution à la crise congolaise ne sera valable sans un dialogue inclusif ». Kinshasa tente officiellement de faire baisser la pression, sachant que ces tensions communautaires contre les Tutsi congolais valident l’argumentaire du M23 et du Rwanda sur l’ostracisation des Banyamulenge et leur volonté de régler par les armes « les causes profondes » du conflit. Kinshasa a dépêché à Uvira son ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, pour discuter des troubles avec les autorités locales, la société civile et les Wazalendo. Les palabres ont été nombreuses, la tension est retombée, mais jusqu’à quand ?
Une possible jonction Twirwaneho-M23 qui inquiète
Sur les hauts plateaux, les tensions communautaires ne sont pas nouvelles. Notamment autour de Minembwe, où se trouve une importante communauté banyamulenge de Tutsis congolais. Conflits fonciers, questions de nationalités, discriminations ethniques… Les affrontements avec l’armée congolaise et les milices locales sont récurrentes depuis 30 ans. Accusée d’être une « cinquième colonne du Rwanda », la communauté est aujourd’hui défendue par la milice Twirwaneho. Le groupe est désormais un allié du M23 dans la zone, et une possible jonction entre les deux groupes inquiète Kinshasa. A Minembwe, la communauté dénonce un harcèlement constant et un encerclement par les milices Wazalendo et l’armée congolaise. Récemment, les autorités congolaises ont arrêté ce qu’ils ont présenté comme un soldat rwandais venu prêter main-forte aux Twirwaneho dans la zone de Minembwe, « preuve » de la collusion entre Kigali, le M23 et la milice Banyamulenge.
Kinshasa et M23 préparent leur plan B
Le Sud-Kivu fait donc l’objet de toutes les attentions alors que le processus de Doha peine toujours à se concrétiser sur le terrain. Le cessez-le-feu est régulièrement violé au Nord et au Sud-Kivu, essentiellement entre Wazalendo et M23. La semaine dernière, l’envoyé spécial américain, Massad Boulos a pourtant indiqué qu’un accord avait été trouvé entre la RDC et l’AFC/M23 concernant la libération des prisonniers, qui était un préalable des rebelles pour faire avancer les négociations. Mais nous sommes encore loin du fameux accord entre Kinshasa et la rébellion, officiellement prévu pour le 18 août, et qui se fait toujours attendre. Face au statu quo, le risque est de voir reprendre les hostilités à plus haute intensité. Le M23 continue de recruter et de former de nouveaux combattants et renforce ses positions au Nord-Kivu en prenant le contrôle de nouvelles localités. Au Sud-Kivu, les rebelles menacent d’avancer sur Uvira. De son côté, Kinshasa a envoyé des troupes dans les deux provinces et du matériel, via l’aéroport de Bujumbura, son allié burundais. Chacun des belligérants prépare son plan B, en cas d’échec des négociations au Qatar. Kinshasa veut croire qu’elle peut mener une contre-offensive victorieuse au Sud-Kivu, mais aussi au Nord-Kivu. Quant à l’AFC/M23, elle veut également croire qu’elle peut poursuivre ses conquêtes territoriales vers le Sud, afin de prendre le contrôle du Sud-Kivu et, pourquoi pas, s’emparer du tiroir-caisse de la République qu’est le Katanga. Le scénario du pire est maintenant entre les mains des médiateurs qataris et américains, qui doivent agir au plus vite pour ne pas perdre le contrôle de la situation.
Christophe Rigaud – Afrikarabia