Condamné à la peine capitale pour sa collusion avec le mouvement rebelle AFC/M23, Joseph Kabila n’a pas attendu bien longtemps pour rebondir sur le front politique en lançant sa plateforme « Sauvons le Congo ». Une initiative qui ne fait pas l’unanimité dans l’opposition.

On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Depuis Nairobi, l’ancien président Joseph Kabila a convoqué un conclave de l’opposition congolaise, les 14 et 15 octobre derniers, qui a débouché sur la création d’une nouvelle plateforme politique, baptisée « Sauvons la RDC ». Une poignée d’opposants avait fait le déplacement au Kenya. Le plus remarqué d’entre eux était l’ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo, lui aussi en délicatesse avec la justice congolaise pour détournement de fonds, et en exil depuis lors. Franck Diongo, Seth Kikuni, Jean-Claude Vuemba, José Makila, mais aussi des fidèles kabilistes comme Raymond Thsibanda étaient présents. La société civile était représentée par Bienvenu Matumo, membre de la Lucha, alors que le mouvement indique sur X ne pas avoir pris part au conclave. La nouvelle plateforme reprend les critiques adressées depuis plusieurs mois par Joseph Kabila à la gouvernance Tshisekedi : « dérive autoritaire », espace démocratique « restreint », justice « instrumentalisée »… Les objectifs affichés ne sont pas nouveaux : « mettre fin à la tyrannie, restaurer la démocratie et favoriser la réconciliation nationale ». En ligne de mire pour Joseph Kabila et les membres de la nouvelle plateforme : la convocation du dialogue national inclusif lancé par les Églises catholique et protestante. Le « retrait des troupes étrangères » est également exigé sans jamais citer de nom. Dans le document, aucune référence n’est faite au retrait de l’AFC/M23 ou au retour de l’autorité de l’Etat dans les zones sous contrôle des rebelles.
Nairobi « capitale du complot »
Les autorités congolaises n’ont pas tardé à réagir au conclave de Nairobi, que le porte-parole du gouvernement compare à « un étrange mélange de fugitifs, de condamnés, et de personnes liées par un point commun qui s’appelle la frustration ». Pour Patrick Muyaya, les participants « se sont auto-disqualifiés et retrouvés dans une capitale qui, malheureusement, commence à devenir celle du complot ». Une allusion au lancement de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), vitrine politique du M23, à Nairobi en 2023 par Corneille Nangaa, l’ancien patron de la Commission électorale sous Joseph Kabila. En effet, la capitale kényane a souvent été utilisée comme base arrière pour l’opposition congolaise. Félix Tshisekedi, lui-même, avait y signé avec Vital Kamerhe son alliance politique CACH, en 2018. Plus radical, le ministre du Commerce extérieure, Julien Paluku a qualifié la déclaration de Nairobi de « chiffon que les Congolais ne doivent pas considérer ».
Joseph Kabila devenu radioactif
Le résultat du conclave de Nairobi reste mitigé. A part l’ancien premier ministre Matata Ponyo, dont le poids politique reste incertain, les autres participants ne représentent que des partis d’opposition de deuxième catégorie. Car à Nairobi, les absents ont davantage été remarqués que les présents. Les poids lourds de l’opposition, comme Moïse Katumbi, Delly Sesanga ou Jean-Marc Kabund n’ont pas fait le déplacement. Martin Fayulu, qui n’était pas invité, a fustigé un « théâtre » et dénoncé l’absence de condamnation du Rwanda et de l’AFC/M23 par Joseph Kabila. Après sa condamnation à mort, Joseph Kabila semble être devenu radioactif. Si la plupart des opposants ont dénoncé une condamnation à mort « inique » et un procès « instrumentalisé » pour écarter l’ancien président du débat public, ils sont aujourd’hui très méfiants à cautionner sa nouvelle aventure politique.
Vers un FCC bis ?
Le conclave de Nairobi est surtout perçu comme un « revival » du FCC (Front commun pour le Congo), la plateforme politique moribonde créée par Joseph Kabila à l’approche des élections de 2018. Depuis sa rupture avec Félix Tshisekedi, le FCC était en état de mort clinique, vidé de ses cadres qui avaient fini par rallier l’Union sacrée (USN) de Félix Tshisekedi. On peut d’ailleurs se demander aujourd’hui quel est le poids politique réel de Joseph Kabila sur l’échiquier congolais ? Peu de Congolais gardent de bons souvenirs des années-Kabila, rythmées par une répression sanglante et une prédation-corruption généralisée. D’autant que l’ancien président n’a jamais eu un mot de repentance sur ses erreurs passées, si ce n’est pour valider le tour de passe-passe électoral qui a porté Félix Tshisekedi au pouvoir.
Une condamnation à mort « contre-productive »
L’initiative de Nairobi pourrait bien accoucher d’une souris. En se mettant ainsi en avant comme possible chef de file d’un front anti-Tshisekedi, Joseph Kabila donne l’image de vouloir incarner lui-même le visage de l’opposition. Fini donc le rôle de médiateur désintéressé et de « faiseur de paix » dans lequel l’ancien chef de l’Etat s’était drapé lors de ses premières sorties médiatiques. Aujourd’hui, Joseph Kabila semble bien décidé à jouer les premiers rôles, quitte à faire cavalier seul et à prendre de vitesse les Fayulu, Katumbi, Sesanga et autres Kabund. La condamnation à mort de l’ancien président n’est peut-être pas étrangère à ce nouveau positionnement très offensif. Un verdict aussi radical ne laissait aucune porte de sortie à Joseph Kabila, à part se radicaliser. Dans un article du Sunday Time sud-africain, le président Cyril Ramaphosa aurait mis en garde son homologue congolais Félix Tshisekedi, plusieurs semaines avant le verdict, contre toute condamnation à mort de l’ancien président Joseph Kabila. « Une telle décision pourrait déclencher un coup d’État violent au Congo » explique une source au Sunday Time. Pour Pretoria, « écarter brutalement Kabila du paysage politique congolais pourrait s’avérer contre-productif ». C’est peut-être bien ce qui est en train d’arriver.
Christophe Rigaud – Afrikarabia