Le remaniement attendu depuis plusieurs semaines a vu l’entrée de deux opposants et d’un membre de la société civile. Mais la promesse d’un gouvernement resserré n’est pas tenue et ce remaniement cosmétique permet surtout à Félix Tshisekedi d’éloigner, un temps, la menace d’un dialogue national.

Les objectifs affichés par Félix Tshisekedi avant ce cinquième remaniement gouvernemental étaient ambitieux : une équipe de moins de 50 personnes pour limiter le train de vie de l’Etat, ouverture à l’opposition et à la société civile, inclusivité et efficacité. A l’arrivée, le bilan est plutôt maigre. Le gouvernement « resserré » n’est pas au rendez-vous. Le nouvel exécutif est passé de 54 à 53 membres et seules trois nouvelles têtes font une entrée remarquée. La première est un revenant. L’ancien Premier ministre Adolphe Muzito revient aux affaires pour s’occuper du Budget. Son passage à la Primature pendant 3 ans, sous la présidence de Joseph Kabila, n’a pas brillé par sa bonne gouvernance, notamment critiqué pour son manque de transparence dans les contrats miniers. Depuis plusieurs mois, cet opposant de longue date faisait des appels du pied répétés à Félix Tshisekedi dans le contexte de la crise sécuritaire à l’Est du pays avec le M23 et le Rwanda. Son maigre résultat à la présidentielle de 2023 (1,13%) en fait pourtant un partenaire de faible poids politique. L’ancien coordonnateur du mouvement citoyen Filimbi, Floribert Anzuluni, qui a été nommé à l’intégration régionale, fait lui aussi partie des nouveaux entrants. Comme pour Adolphe Muzito, Floribert Azuluni a réalisé un piètre score à la dernière présidentielle (0,08%). La dernière tête remarquée dans ce nouveau gouvernement Suminwa II vient de la société civile. Il s’agit de Guillaume Ngefa, qui remplace le ministre de la Justice démissionnaire, Constant Mutamba, empêtré dans une affaire de détournement présumé de fonds publics. Le nouveau ministre a notamment travaillé pour l’ONU, comme directeur de la division des droits de l’homme de la Mission des Nations unies au Mali.
Des changements homéopathiques
Pour la nouveauté, il faudra donc repasser. Les trois-quarts du gouvernement précédent sont restés en place, le tout, assorti de quelques jeux de chaises musicales. La Première ministre, Judith Suminwa, a été reconduite, tout comme les poids lourds de son ancienne équipe : Jean-Pierre Bemba, le patron du MLC, aux Transports, Thérèse Kayikwamba aux Affaires étrangères et Jacquemain Shabani à l’Intérieur, tous les deux très investis dans les négociations de paix à Washington et Doha, ou Doudou Fwamba aux Finances. Des ministres dont le bilan laisse à désirer, ont été étonnement reconduits. On peut penser au ministre de la Défense, Guy Kabombo, qui a vu son armée s’effondrer devant les rebelles de l’AFC/M23, soutenus pour le Rwanda, pendant les prises de Goma et Bukavu en début d’année. Le ministre des Sports, Didier Budimbu, est lui aussi maintenu à son poste, malgré la polémique sur le contrat signé avec l’AS Monaco pour 4,8 millions d’euros, alors que le budget lilliputien de l’Etat peine à décoller. Félix Tshisekedi a donc décidé de reconduire la majorité de son équipe et de garder les fragiles équilibres de son éléphantesque majorité présidentielle, composée d’une myriade de partis à satisfaire. En cherchant un peu, on peut noter deux permutations notables : celle d’Eve Bazaïba, du MLC de Bemba, qui passe de l’Environnement aux Affaires sociales, et celle d’Aimé Boji, de l’UNC de Vital Kamerhe, qui passe du Budget à l’Industrie. Certaines mauvaises langues affirment que ces deux partis, poids lourds de la majorité, ont été moins bien servis dans ce remaniement. Une façon pour Félix Tshisekedi de continuer à imposer son leadership.
Echapper au dialogue des Eglises
Dans ce remaniement très cosmétique, Félix Tshisekedi n’aura donc pas réussi à débaucher les grandes figures de l’opposition. On pense à Martin Fayulu, qui avait fait un pas vers Félix Tshisekedi en lançant le camp de la Patrie. Certains voyaient dans ce positionnement comme la possible nomination du patron de l’Ecidé à la Primature. Mais Martin Fayulu, qui n’a eu de cesse de rappeler que Félix Tshisekedi lui avait « volé » la victoire en 2018, veut être adoubé par un dialogue national, condition sine qua non pour l’opposant de rendre sa venue dans l’exécutif « acceptable ». On peut donc se demander quel était l’intérêt pour Félix Tshisekedi de remanier à la marge son gouvernement, sans aucune conséquence politique, ni au sein de l’Union sacrée présidentielle (USN), ni dans l’opposition, qui réclame toujours un dialogue national inclusif, sous l’égide des Eglises catholique (Cenco) et protestante (Ecc). Et c’est peut-être là qu’il faut chercher l’utilité de ce remaniement de façade, sans réduction d’effectif ni ouverture politique significative. Il s’agit pour Félix Tshisekedi, dans un premier temps, d’éloigner la menace d’un dialogue national, qu’il refuse, et qui serait la porte ouverte à une remise en cause de sa légitimité. Dans un second temps, ce mini-remaniement permet au chef de l’Etat de garder encore « quelques cartouches aux frais » pour réaménager une nouvelle fois sa majorité s’il y était contraint par les événements. Avec ce nouveau gouvernement, Félix Tshisekedi a réussi à couper l’herbe sous le pied aux partisans du dialogue. La question est de savoir pour combien de temps ?
Christophe Rigaud – Afrikarabia