Sous le coup d’une motion de défiance, Vital Kamerhe pourrait perdre la présidence de l’Assemblée nationale. Possible obstacle si Félix Tshisekedi venait à vouloir modifier la Constitution ou faire glisser le calendrier électoral, l’actuel allié de Félix Tshisekedi est devenu encombrant.

Les heures de Vital Kamerhe au perchoir sont-elles comptées ? A voir l’agitation que créer la pétition initiée par un de ses anciens proches et l’implication du banc et de l’arrière-banc de la majorité présidentielle, jusqu’au chef de l’Etat lui-même, il est fort à parier que les dés semblent déjà jetés. Après plusieurs semaines de signatures tous azimuts, la pétition contre Vital Kamerhe et quatre autres membres du bureau de l’Assemblée a finalement rassemblé 262 députés, tous adhérents de l’Union sacrée, la majorité présidentielle, dont fait aussi partie le patron de l’UNC. Les motivations des pétitionnaires sont aussi nombreuses que floues : incompétence, gestion opaque, baisse du budget, arriérés de frais… Des revendications qui semblent surtout cacher la volonté de faire tomber Vital Kamerhe de son perchoir.
Les pétitions jugées recevables
A l’ouverture de la session parlementaire, Vital Kamerhe a bien essayé de faire amende honorable, notamment sur son « manque d’égard » que les députés lui reprochent. « S’il y en a parmi vous qui se sont sentis froissés, heurtés ou dérangés, qu’ils daignent accepter l’expression de mes regrets les plus sincères ». En coulisse, le président de la chambre basse a également tenté de revoir les émoluments des députés, ou leur accès à la couverture santé. Mais rien n’y a fait. Les députés ont donc décidé de mettre en place une commission pour examiner les pétitions et laisser les députés se prononcer sur l’avenir de Vital Kamerhe à la tête de l’Assemblée. La commission a bien validé les pétitions ce week-end. La messe semble bien être dite.
Un allié de la première heure
Derrière cette guerre de tranchées à l’Assemblée, il y a surtout les rivalités au sein de l’Union sacrée, dont Vital Kamerhe est pourtant membre du présidium. L’UDPS de Félix Tshisekedi avait déjà bataillé ferme contre la désignation de Vital Kamerhe à la présidence et lorgne sur le poste, tout comme Christophe Mboso qui s’était vu chassé du perchoir. Pourtant, l’arrivée de Vital Kamerhe à la présidence de la chambre basse pouvait sembler logique. Le patron de l’UNC est en effet l’allié de la première heure de Félix Tshisekedi, lorsque celui-ci décide de ne pas respecter l’accord de Genève de 2018, qui désignait Martin Fayulu comme candidat unique de l’opposition. Tshisekedi et Kamerhe scellent ensuite une nouvelle alliance à Nairobi, où si le premier devenait président, le second deviendrait son premier ministre et le soutiendrait pour briguer la magistrature suprême en 2023. Aucune de ces promesses n’a été respectée par Félix Tshisekedi.
Une voix dissonante
L’allié de 2018 de Félix Tshisekedi devient aujourd’hui encombrant. Le camp présidentiel n’a jamais vraiment accepté l’alliance avec Vital Kamerhe. En 2020, le chef de l’UNC, alors directeur de cabinet de la présidence, sera mis en prison pour détournement de fonds publics avant d’être blanchi. Une affaire que Vital Kamerhe avait qualifiée de « règlement de compte » au sein de la présidence pour l’éliminer politiquement. En revenant par la fenêtre au perchoir de l’Assemblée, Vital Kamerhe s’est très vite démarqué, notamment en prônant le dialogue inclusif avec les belligérants et les oppositions dans le conflit à l’Est. Une ligne qui est longtemps restée rouge pour Félix Tshisekedi avant de se voir contraint de négocier avec l’AFC/M23. Au sein de l’Union sacrée, certains l’accusent même de s’être rapproché de l’ancien président Joseph Kabila, et donc d’ouvrir un axe Kamerhe-Kabila-Kigali, ce qu’aucun élément sérieux n’accrédite.
Kamerhe, obstacle institutionnel
Mais ce qui vaut la disgrâce à Vital Kamerhe, c’est surtout d’être perçu par le camp présidentiel comme un obstacle à tout changement, ou modification de Constitution, qui pourrait permettre à Félix Tshisekedi de se représenter ou d’allongement son mandat. Le projet avait été mis entre parenthèses pendant l’avancée du M23 sur Goma et Bukavu, mais il semble redevenir d’actualité. Les initiatives de paix patinent et Kinshasa ne paraît plus compter sur un règlement rapide du conflit. Si la guerre à l’Est perdure, l’option d’un glissement du calendrier électoral pourrait revenir sur la table, et l’assentiment de l’Assemblée nationale déterminant pour valider le décalage du chronogramme électoral pour cause de conflit. D’ailleurs, la probable reprise en main de l’Assemblée pourrait également s’accompagner de celle du Sénat. Son président, l’ancien premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde, fait actuellement l’objet de tentatives de déstabilisation, plus feutrées que celles dont fait l’objet Vital Kamerhe, mais qui pourraient déboucher sur la même issue.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Mise à jour : Finalement, Vital Kamerhe a décidé de prendre les devants en démissionnant lundi 22 septembre devant la conférence des présidents des groupes parlementaires, avant le vote en plénière de sa destitution. L’ex-président de l’Assemblée a déclaré l’avoir fait pour « l’honneur » et « préserver la cohésion de la majorité« . Depuis New-York, Félix Tshisekedi a considéré « ne pas être à la base de sa démission, ni de ses problèmes » et continue à le considérer « comme un allié, comme un frère… sauf s’il en décide autrement« . Pour la seconde fois après son incarcération dans le procès des 100 jours, Vital Kamerhe se retrouve marginalisé et humilié. Restera-t-il le bon petit soldat de Félix Tshisekedi, ou passera-t-il le rubicon comme il l’avait déjà fait en 2009 en démissionnant du perchoir, actant sa rupture avec Joseph Kabila, et basculant dans l’opposition ?