Le mandat des casques bleus en RDC a été prorogé pour un an, alors que le conflit à l’Est fait toujours rage et que l’accord de paix de Washington a volé en éclats. Sa nouvelle mission de surveillance du cessez-le-feu pourrait permettre à la Monusco de démontrer l’utilité et la pertinence des missions de maintien de la paix. Mais son succès repose essentiellement sur le respect des engagements par les belligérants, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Et revoilà la Monusco. Depuis la prise de Goma et Bukavu par les rebelles de l’AFC/M23, il y a presque un an, la mission des Nations Unies s’était faite discrète. Le 19 décembre dernier, la voilà remise en selle et prolongée d’une année dans un contexte où la situation sécuritaire n’a cessé de se dégrader dans les Kivu. La résolution 2808 relance donc la machine onusienne au Congo jusqu’au 20 décembre 2026. Alors qu’un retrait progressif était dans les tuyaux depuis de longs mois, ses effectifs se retrouvent maintenus, avec la présence de près de 10.000 casques bleus et plus de 1.000 officiers de police, déployés au Nord-Kivu et en Ituri. L’ONU acte ainsi une pause dans le désengagement annoncé de la Monusco. Côté mission, les casques restent axés sur la protection des civils, la stabilisation et l’appui aux institutions étatiques, mais se voient également fixer une nouvelle priorité, celle de la surveillance du cessez-le-feu. La Monusco sera chargée de soutenir sa mise en œuvre en lien avec la résolution 2773 de l’ONU et le mécanisme de vérification convenu à Doha, l’espace de négociations entre l’AFC/M23 et le gouvernement congolais. Afin de surveiller le cessez-le-feu, sa zone opérationnelle, cantonnée au Nord-Kivu et à l’Ituri, pourra s’étendre au Sud-Kivu. Enfin, la Brigade d’intervention rapide (FIB), qui possède un mandat censé être plus offensif, est renouvelé « à titre exceptionnel ».
Washington « n’a plus vraiment toutes les cartes en main. »
La prorogation de la Monusco, même légèrement remodelée, n’offre rien de très neuf dans l’approche des Nations unies du conflit congolais, mais le contexte sécuritaire et international actuel est inédit. C’est ce que constate Marc-André Lagrange, consultant spécialiste de la RDC. « Avant, on signait un accord de paix à Washington et la guerre s’arrêtait. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Après la signature, la guerre s’est même accélérée avec la prise d’Uvira. Washington a du mal à imposer la paix. Nous ne sommes plus du temps des anciennes rébellions du CNDP, du RCD ou de la première version du M23, où un coup de fil de la Maison blanche à Kigali mettait fin à la guerre ». Lors du renouvellement du mandat de la Monusco, deux nouvelles voix se sont faites entendre à l’ONU note Marc-André Lagrange, la Chine et la Russie. « Pékin devient un acteur important et un vrai interlocuteur. À la fois parce que le Rwanda s’est rapproché de la Chine, notamment autour de la filière café, mais aussi parce que l’arrivée des Etats-Unis sur le business minier au Congo inquiète Pékin qui contrôle presque 90% des flux des minerais stratégiques ». Le jour de la prorogation du mandat de la Monusco, le représentant chinois a clairement averti Washington qu’aucun pays ne devait, « par intérêt égoïste, personnaliser » la Monusco selon son propre agenda politique. À rebours, la Russie s’est opportunément rangée sur la ligne de Washington. Les lignes bougent, et Washington « n’a plus vraiment toutes les cartes en main. »
« Un appui sérieux pour une neutralisation effective des FDLR »
Dans ce contexte international chamboulé, Marc-André Lagrange estime que le renouvellement du mandat de la Monusco offre une opportunité à la mission de l’ONU « de se réinventer et de faire ses preuves ». Pour cela, il estime que les casques bleus « ont la capacité de fournir un appui sérieux à l’armée congolaise et au Rwanda pour une neutralisation effective des FDLR, que ce soit leur chaîne de commandement, mais aussi leur réseau économique. La question réside davantage dans la réelle volonté de la RDC de mener cette mission ». Pour ce spécialiste du Congo, la Monusco doit aussi pouvoir jouer un rôle important sur deux autres dossiers en souffrance depuis plusieurs années : la lutte contre les ADF, une milice qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, « une tâche plus longue et plus exigeante », mais aussi consolider le vaste plan de désarmement, démobilisation et réintégration des groupes armés (DDR) en Ituri.
« Une vision gelée du conflit »
Pourtant, le plan d’action de la Monusco dans le cadre de la crise avec l’AFC/M23 souffre de nombreuses faiblesses. « Il propose une vision gelée du conflit et laisse la Monusco cantonnée au Nord-Kivu et à l’Ituri, déplore Marc-André Lagrange. Si le conflit venait à glisser vers le Sud et vers le Katanga, il n’y aurait plus de mission ». Concernant le rôle proactif que pourrait jouer la Brigade d’intervention rapide, notre expert reste dubitatif. « La Brigade a joué un rôle important contre le M23 il y a 12 ans, mais ensuite, elle s’est cantonnée à un rôle de force d’interposition entre le Rwanda et la RDC. Depuis 2021, beaucoup d’acteurs se sont échinés à détricoter sa capacité d’intervention, et sa raison d’être a complètement disparu avec l’arrivée de forces régionales africaines. Il n’y a pas vraiment de caractère offensif de la Brigade qui est issue du consensus sur le Chapitre 7 « diminué » porté par Washington. Les missions de maintien de la paix sont là pour être des observateurs et non pas imposer la paix par la force ». Les pays contributeurs de troupes au sein de l’ONU ont été de plus en plus réticents à la mise en danger de leurs soldats. Une doctrine qui a été largement critiquée par les Congolais eux-mêmes qui ont régulièrement dénoncé l’inaction, la passivité et l’inefficacité des casques bleus.
Une opportunité pour la Monusco de redorer son blason
L’absence de résultat concret après plus de 25 ans de présence a débouché sur une perte de légitimité des casques bleus aux yeux des populations locales. Des manifestations anti-Monusco ont vu le jour en 2022 et 2023 à Goma, Beni et Butembo. Ces protestations ont entraîné des pillages de bases onusiennes, des attaques contre les casques bleus, et des morts (plus de 30 en juillet 2022, dont 4 casques bleus). Ces manifestations, souvent instrumentalisées par les politiques congolais, ont poussé le gouvernement a accéléré un désengagement rapide des casques bleus. Un plan de retrait progressif a été signé en 2023, avec départ du Sud-Kivu en 2024. Cependant, face à l’escalade avec le M23 en 2025, le retrait de la Monusco a été adapté avec une approche plus « flexible ». Le renouvellement de son mandat jusque fin 2026 offre une nouvelle opportunité à la mission onusienne de redorer son blason. Une chance (une dernière ?) de démontrer l’utilité et la pertinence des missions de maintien de la paix. Mais des obstacles structurels et historiques risquent d’en limiter la portée. Le succès repose sur le respect des engagements par les parties (RDC, Rwanda, AFC/M23), ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Les accords récents ont vite volé en éclats, et des pays comme la Russie et la Chine ont insisté sur des « compromis difficiles » et averti contre une politisation de la mission. Son mandat reste toujours contraint. Des observateurs soulignent que sans pression réelle sur les acteurs régionaux, la Monusco risque de rester un « alibi » plutôt qu’un game-changer. Le succès de ce nouveau mandat onusien reste entièrement dépendant d’éléments externes. Tout dépendra donc de la mise en œuvre effective sur le terrain et des avancées diplomatiques en 2026.
Christophe Rigaud – Afrikarabia


envoi en cours...



















