Poussé par l’opposition et les confessions religieuses pour organiser un dialogue national, Félix Tshisekedi a affirmé qu’il ne mettrait pas en place de dialogue « en dehors de sa propre initiative ». Le président souhaite surtout en maîtriser le format, le timing et choisir les personnalités autorisées à y participer.

Le dialogue national en République démocratique du Congo (RDC) est un peu comme l’Arlésienne. On en parle beaucoup, mais on l’attend toujours. Pourtant, le Congo fait face à un empilement de crises inédites qui nécessiterait que les Congolais se retrouvent autour d’une table. Crise sécuritaire à l’Est avec la rébellion AFC/M23 qui contrôle une partie du Nord et Sud-Kivu, crise sociale avec un pays ne décolle toujours pas et dont 70% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté, et enfin crise politique avec un espace démocratique qui se réduit autour d’une coalition présidentielle ultra-dominatrice, effaçant toute opposition, quasi-absente au Parlement, et dont certains leaders sont poussés à l’exil. Cela faisait donc longtemps que l’idée d’un dialogue national était sur la table, à l’initiative de l’opposition d’abord, puis des confessions religieuses, toujours influentes lorsque la crise couve en RDC.
Une feuille de route des religieux au point mort
Autant dire que l’idée de réunir tout ce beau monde autour d’une table n’est pas du goût du président Félix Tshisekedi. Accepter une telle initiative aurait sonné comme un aveu de faiblesse de la part d’un chef de l’Etat déjà en grande difficulté après les échecs à répétition de son armée face aux rebelles de l’AFC/M23. Affaibli politiquement, un dialogue national revenait à accepter un partage du pouvoir, voir davantage, puisqu’une partie radicale de l’opposition, associée à la rébellion M23, exige le départ pur et simple de Félix Tshisekedi. Le président congolais n’a guère apprécié que les Eglises catholique (CENCO) et protestante (ECC) osent se rendre à Goma, sous contrôle rebelle, pour consulter les cadres de l’AFC/M23. Selon le chef de l’Etat, la CENCO et l’ECC font le jeu des rebelles qui veulent le voir quitter le fauteuil présidentiel. Histoire de botter en touche, et de jouer la montre, Félix Tshisekedi a alors exigé que les autres confessions religieuses soient associées au projet de dialogue. Fin août, la coalition interconfessionnelle pour la Nation (CIN) rejoint les catholiques et les protestants, et propose ensemble une feuille de route pour un dialogue national. Tout y passe : état des lieux, défense, sécurité, gouvernance, processus démocratique, élections, questions identitaires, justice… Depuis, c’est silence radio.
« Pas de dialogue en dehors de ma propre initiative »
Après la publication de la feuille de route des confessions religieuses, une équipe conjointe a bien été mise en place, mais le camp présidentiel est toujours très méfiant vis à de l’initiative des religieux, souvent accusés de vouloir jouer le jeu de l’opposition ou pire des rebelles. Mais la programmation d’une conférence pour la paix initiée par la Fondation de l’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, début septembre, permet au président Tshisekedi de sortir du silence. Il faut dire que la Fondation a lancé des invitations tous azimuts allant des principaux leaders de l’opposition comme Moïse Katumbi, Matata Ponyo, Martin Fayulu, Delly Sesanga, jusquà Joseph Kabila, condamné à mort par Kinshasa, et à la rébellion AFC/M23 qui contrôle les villes de Goma et Bukavu. Une conférence aux allures de pré-dialogue qui jette le trouble. Au gouvernement, on décline l’invitation et on parle « d’une initiative inopportune ». Quant à Félix Tshisekedi, il en profite pour fustiger les médiations étrangères. « Toutes ces bonnes volontés qui s’évertuent à nous aider à dialoguer entre Congolais, c’est bien, merci pour cela. Mais je crois qu’elles ont d’autres chats à fouetter. » Et de dévoiler ce qui sera maintenant son positionnement : « Il n’y aura jamais de dialogue en dehors de ma propre initiative ». A bon entendeur…
Un dialogue avec Fayulu, mais sans Kabila et l’AFC/M23
La sortie médiatique de Félix Tshisekedi devant les cadres de l’Union sacrée (USN), sa majorité présidentielle, renvoie dans les cordes Thabo Mbeki, jugé par son camp trop proche de Joseph Kabila, mais aussi, par ricochet, les initiatives régionales africaines. « Qu’elles nous laissent gérer les problèmes du Congo entre Congolais » a lancé Félix Tshisekedi. Un positionnement, pour le peu ambigu, alors que Kinshasa s’est jeté dans les bras des Etats-Unis et du Qatar pour piloter les accords de paix avec le Rwanda et l’AFC/M23. En boycottant l’initiative sud-africaine et en jouant la montre concernant le dialogue des confessions religieuses, Félix Tshisekedi a donc décidé de façonner à sa main son propre dialogue national, en maîtrisant à la fois le timing et les personnalités habilités à y participer. En se rapprochant de l’opposant Martin Fayulu, qui se positionne comme une troisième voie, entre l’opposition politique de Katumbi, Kabila, Matata, Sesanga, et l’opposition armée de l’AFC/M23, Félix Tshisekedi place le patron de l’Ecidé comme l’interlocuteur idéal pour ouvrir un dialogue qui préserve son maintien à la présidence, en partageant le moins possible le gâteau. Reste à convaincre les confessions religieuses d’en exclure Joseph Kabila et l’AFC/M23.
Un dialogue made in Tshisekedi ?
Quant au timing, il y a pourtant un piège derrière la volonté de retarder au maximum la tenue d’un dialogue national. L’opposition redoute en effet, que le lancement d’une telle initiative ne pourrait intervenir qu’à l’approche de la prochaine présidentielle de 2028 pour provoquer un glissement du calendrier électoral et permettre à Félix Tshisekedi de prolonger son mandat. La réorganisation récente de l’Union sacrée présidentielle, pour en faire un vrai parti politique tout-puissant au sein des deux assemblées, fait également craindre le retour du débat sur une possible modification/révision de la Constitution qui pourrait, elle aussi, permettre à Félix Tshisekedi de s’accrocher à son fauteuil. Les derniers coups de boutoir de l’UDPS, le parti présidentiel, pour tenter d’écarter Vital Kamerhe (UNC) du perchoir de l’Assemblée nationale et Sama Lukonde de celui du Sénat, montre à dessein, les intentions hégémoniques du camp Tshisekedi. Un autre « partenaire » de l’Union sacrée commence à sentir le vent du boulet. Il s’agit du patron du MLC, Jean-Pierre Bemba. Récemment, l’un de ses cadres s’est laissé aller à prédire que son « chairman » serait le successeur de Félix Tshisekedi en 2028. Un ballon d’essai aussitôt démenti par le MLC, mais qui montre que les rivalités continuent de s’exacerber au sein de la majorité présidentielle. Une cacophonie que pourrait également résoudre un dialogue national, à condition que Félix Tshisekedi en dicte les règles, le format, choisisse les participants et le timing. Un dialogue made in Tshisekedi, qui serait bien loin des enjeux de la crise sécuritaire et politique du moment.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Afrikarabia,
Je viens de lire votre article, je crois cet article assez fourni, je serai heureux de m’abonner pour recevoir vos articles
Tshisekedi a beau tergiverser, il est pris en « CATCH 22 »:
Il refuse le dialogue- comme son niet à Thabo Mbeki – il est perçu comme ne voulant pas la paix;
Il y participe, son approche vis à vis de la question congolaise, est minorisée.
Le sommun de son humiliation, c’est son manque d’authorité: Ce qui se passe à Uvira est une catastrophe. Les Wazalendo refusent un Général des FARDC pour la simple fait qu’il soit Tutsi!
Certains médias occidentaux ont bien voulu caché le fait que les Tutsis congolais sont persécutés, maintenant que faire devant les évidences! On se croirait en 1994 au Rwanda avec les Interahamwe encadrés par des militaires francais. Au même mooment, dans l’Hexahone, on parlait de guerre interethnique!
Qui vivra verra.