Une enquête de l’ONG PAX révèle que le pillage de l’or explose dans le Haut-Uélé et a dévasté plus de 250 kilomètres de rivières, causant des dommages graves et un coût humain et social élevé. Malgré les ordres du président Félix Tshisekedi de stopper cette exploitation illégale, les extractions continuent, souvent avec la complicité de l’armée.

d’Azayi, dans le territoire de Faradje, province du Haut-Uélé, en avril 2022. © 2022 PAX
L’enquête est édifiante. L’ONG PAX s’est penchée sur l’exploitation aurifère dans le Haut-Uélé, au Nord-Est de la République démocratique du Congo (RDC). Loin des radars médiatiques qui couvrent la crise sécuritaire dans le Nord et Sud-Kivu, une véritable catastrophe environnementale est en cours dans cette province oubliée. Grâce à des images satellites réalisées par l’institut de recherche IPIS, en partenariat avec PAX, l’impact des activités d’extractions semi-industrielles d’or, menées jour et nuit, a pu être évalué. Et le bilan est catastrophique. Ce pillage en règle a, en effet, « gravement endommagé plus de 250 kilomètres de rivières et de ruisseaux » entre septembre 2020 et septembre 2024. Ces exploitants illégaux « ont ciblé les cours d’eau et leurs berges sur des étendues de 50 à 400 mètres de large », n’hésitant pas à déplacer entièrement le lit des rivières. Autour de la localité de Moku, dans le territoire de Watsa, 77 kilomètres de cours d’eau ont été détruits, entraînant l’inondation des « fosses minières ». Ces sites abandonnés ne sont pas sans risques pour les populations locales. L’ONG PAX redoute que des dizaines de personnes, dont des enfants, se sont déjà noyés dans ces mines. Si aucune étude n’a été menée sur l’impact sanitaire, de sérieuses inquiétudes existent quant à l’utilisation possible de produits chimiques hautement toxiques, comme le mercure ou le cyanure, très souvent employés pour l’extraction de l’or.
Complicité de l’armée et connexions politiques
L’enquête révèle également que cette ruée vers l’or, qui génère d’énormes bénéfices financiers en toute opacité, ne bénéficie ni aux communautés locales, ni aux caisses de l’Etat congolais. Ce trafic est rendu possible grâce à l’implication des forces de sécurité. Selon l’enquête, des centaines de militaires et de policiers congolais ont été déployés pour assurer la protection de ces activités minières illégales depuis 2020, refusant l’accès aux fonctionnaires locaux chargés de la surveillance. A la manoeuvre, on retrouve des exploitants chinois et leurs partenaires congolais, comme l’homme d’affaires Saidi Shishombi Mihali, « président » des coopératives minières du Haut-Uélé. En juillet 2022, Shishombi a rejoint l’UDPS, le parti présidentiel. En octobre 2022, deux mois seulement après que le président Tshisekedi ait ordonné de faire cesser l’exploitation aurifère illégale, Shishombo s’est vu décerner la « médaille du mérite civique », malgré son rôle actif dans ces activités illicites, se désole PAX. Le chef de l’Etat avait pourtant chargé son ministre de l’Intérieur de prendre des « mesures urgentes pour stopper, sans délai, ces exploitations illicites ». Aucun rapport, aucune enquête n’ont été réalisés, et le pillage s’est poursuivi.

de Moku, dans la province du Haut-Uélé, en juin 2023. © 2023 PAX
L’action gouvernemental au point mort
Les conséquences de cette ruée vers l’or hors de contrôle sur les populations sont importantes : champs de cultivateurs dévastés, orpailleurs chassés par les miniers semi-industriels, accès à l’eau potable et à la terre limité, tensions sociales… A l’été 2024, le nouveau gouverneur de la province, Jean Bakomito, a ordonné l’enregistrement des opérateurs illégaux et l’arrêt des activités sur certains sites. Pour l’instant, sans effet sur le terrain. Dans son enquête, PAX appelle le gouvernement congolais « à mettre fin à cette exploitation, à enquêter sur les personnes impliquées quel que soit leur rang, et à sécuriser les sites miniers abandonnés pour éviter de nouvelles noyades ». Le pouvoir judiciaire congolais devrait poursuivre les responsables, conformément au code minier qui prévoit 10 à 20 ans de prison pour le pillage des ressources naturelles. Le Haut-Uélé n’est pas la seule province dans ce cas, des exploitations illégales impliquant des ressortissants chinois ont été signalées dans d’autres régions de l’Est, notamment l’Ituri et le Sud-Kivu.
Christophe Rigaud – Afrikarabia