La Commission d’enquête sur le Burundi du Conseil des droits de l’homme vient de rendre son rapport. Devant le nombre et la solidité des témoignages sur les crimes contre l’humanité imputés au président Nkurunziza, le Conseil demande à la Cour pénale internationale d’ouvrir une enquête « dans les plus brefs délais ».
C’est une énorme avancée dans la lutte menée par l’avocat bruxellois Bernard Maingain et son équipe pour voir un jour juger les crimes contre l’humanité commis au Burundi depuis avril 2015 – date de la décision du président Pierre Nkurunziza de postuler pour un troisième mandat en violation de la Constitution. Depuis deux ans les Burundais sont soumis à un régime de terreur : exécutions sommaires, viols massifs, disparitions, vols et destructions etc., commis par les forces “régulières” et les miliciens Imbonerakure. Objectif : terroriser, museler la société civile et détruire toute forme d’opposition. Plus de 400 000 Burundais ont réussi à s’enfuir du pays avant que les frontières soient verrouillées. Mais la peur commence à changer de camp comme nous l’explique Me Bernard Maingain.
AFRIKARABIA : – Ce lundi 4 septembre, la publication du rapport de la commission d’enquête sur le Burundi est pour vous le couronnement de deux années d’efforts ?
Bernard MAINGAIN : – C’est évidemment une grande satisfaction. Il s’agit d’une victoire collective. Je rends hommage à tous les Burundais qui ont témoigné auprès des experts de la Commission, au risque de leur vie. Ils n(ont pas hésité à apporter leurs informations aux experts de la Commission. Outre leur courage, je suis frappé par la dignité et la beauté de leur geste.
Vous leur aviez promis l’anonymat, et cet anonymat a été respecté jusqu’à aujourd’hui…
Vous avez raison de le souligner, ça n’a pas toujours été le cas dans le passé concernant d’autres dossiers et d’autres pays. Le respect scrupuleux de la confidentialité des sources était indispensable. Mais plusieurs militants Imbonerakure susceptibles de fournir des informations essentielles sur les terribles violations des droits de l’homme et leurs commanditaires ont été assassinés au Burundi ces dernières semaines.
Pensez-vous que ces meurtres puissent tarir le flot de révélations sur les exactions du régime Nkurunziza dont le rapport dévoilé ce lundi fournit un résumé ?
Bien au contraire, à condition que les organes judiciaires internationaux avancent dans les mesures de protection réelles des témoins. Nous lançons aussi un appel aux personnes qui sont impliquées dans ces crimes contre l’humanité, et qui commencent à comprendre qu’elles devront un jour en rendre compte car ces crimes sont imprescriptibles. Ces personnes ne doivent pas hésiter à s’engager dans une démarche de reconnaissance personnelle de culpabilité. Un statut de repenti leur sera accordé, en échange évidemment d’une démarche sincère et documentée. Même si certains repentis n’échapperont pas à une condamnation, celle-ci sera bien plus légère que s’ils n’ont pas coopéré à temps avec la justice.
La démarche du Conseil des droits de l’homme est-elle irréversible ? Va-t-on à coup sûr vers la saisine du Tribunal pénal international ?
Il s’agit d’une étape fondamentale mais pas irréversible. Ce qui est irréversible, c’est le caractère imprescriptible des crimes commis. D’autre part nous disposons de mandats de victimes et d’ayant droit.
Pourtant l’Etat burundais a refusé de coopérer avec la Commission. Il a par ailleurs dénoncé la convention sur les crimes contre l’humanité ?
La Commission a adressé trois notes verbales à la Mission permanente du Burundi à Genève et deux lettres au Ministre des relations extérieures qui sont reproduites dans le rapport. Elle a demandé aux autorités burundaises de lui accorder l’accès au pays et de lui faire part de leur point de vue sur la situation des droits de l’homme au Burundi, en particulier sur les atteintes à l’encontre d’agents de l’État ou de membres du parti au pouvoir. Le fait que ces demandes sont restées sans réponse ne change à peu près rien au nombre et à la qualité des témoignages recueillis.
Mais le Burundi s’est retiré du Statut de Rome de la Cour pénale internationale sur la sanction des crimes contre l’humanité. Il n’est plus sanctionnable ?
Le Burundi a ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Depuis 2004, il s’est placé sous le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il est vrai que, le 27 octobre 2016, l’Etat burundais a notifié au Secrétaire général de l’ONU qu’il se retirait de ce traité de Rome. Mais tout retrait ne prend effet qu’après préavis d’un an. En tout état de cause, les crimes contre l’humanité commis au Burundi jusqu’au 27 octobre 2017 peuvent être déférés à la Cour pénale internationale, ou devant une éventuelle Cour spéciale sur le Burundi. Ou encore devant une juridiction burundaise. La Commission a conduit son analyse juridique en utilisant la définition des crimes contenue dans le Statut de Rome. Le retrait du Burundi n’y change rien. Il suffit que la CPI se saisisse avant le 27 octobre prochain. Dans cette hypothèse, l’Etat burundais aura obligation de coopérer.
Verra-t-on un jour Pierre Nkurunziza menottes aux poignets pénétrer dans un box des accusés ?
Nous n’en sommes pas là « au delà du doute raisonnable ». Commençons par laisser la justice internationale enquêter dans des conditions permettant d’accumuler des éléments concordants susceptibles d’être considérés comme probants devant une cour pénale. Tout ceci va demander des moyens humains et financiers. Nous en appelons aux pays donateurs. Il en va de la paix au Burundi. Evitons que les défaillances de la communauté internationale devant le génocide de 1994 au Rwanda se renouvellent.
Poursuivre les enquêtes, protéger les témoins, stabiliser les preuves, voici l’urgence.
L’Union africaine a refusé d’intervenir par la force au Burundi pour balayer le régime Nkurunziza. Ne craignez-vous pas qu’elle fasse également obstruction à la justice internationale concernant ce pays ?
Je crois que le refus de l’Union africaine d’intervenir par la force au Burundi était légitime. Ce serait le retour aux méthodes coloniales. Mais je suis confiant dans la capacité des Africains à négocier l’évolution de la justice internationale sur le continent.
Quel peut être l’impact au Burundi du rapport du Conseil des droits de l’homme ?
Selon mes informations, l’oligarchie au pouvoir à Bujumbura est de plus en plus fracturée, la peur a changé de camp. Beaucoup de personnes que Nkurunziza considère comme ses alliés ou ses obligés, mais qui n’ont pas participé aux crimes contre l’humanité commis depuis 2015, n’ont pas l’intention d’en partager la facture.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER