Les nombreuses initiatives régionales pour ramener la paix à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), sont dans l’impasse. Pour Léon O. Engulu, ancien Coordonnateur intérimaire du Mécanisme national de suivi de l’accord-cadre d’Addis-Abeba de 2013 à 2019, il faut réactiver cet accord qui est davantage contraignant et intègre les principaux partenaires internationaux.

Afrikarabia : Que vous inspire la multiplication des processus de paix en cours, à Nairobi, Luanda, ou Doha ?
Léon O. Engulu : Toutes ces initiatives de paix sont à encourager, mais le principal problème, c’est qu’elles ne sont pas contraignantes. Les processus de Luanda et Nairobi sont des échecs, la médiation des Églises catholique et protestante n’a pas fonctionné et la dernière initiative du médiateur angolais João Lourenço également. Lorsque cela ne fonctionne pas, on ne doit pas insister.
Afrikarabia : Que peut-on faire alors ?
Léon O. Engulu : Pour résoudre le vrai problème de fond, on doit revenir sur la redynamisation de l’accord-cadre d’Addis-Abeba de 2013, qui doit rester le cadre de référence. Les initiatives de paix actuelles ne sont pas contraignantes et on voit bien que le M23 et le Rwanda négligent complètement ces processus, ou ne s’en servent que lorsque cela les arrange. Cela ne les empêche pas de continuer de mener leurs actions militaires.
Afrikarabia : Qu’est-ce qui pourrait être contraignant pour les belligérants si on réactivait l’accord-cadre d’Addis-Abeba ?
Léon O. Engulu : Ce qui serait contraignant, c’est la résolution 2098 des Nations unies qui reprend les engagements régionaux, les engagements de la RDC, et qui intègre tous les partenaires internationaux, les États-Unis, l’Union européenne et l’Angleterre. C’est un cadre de référence qui permettrait de poursuivre les discussions, avec d’autres partenaires comme la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, qui avaient promis d’apporter un appui.
Afrikarabia : Qu’est-ce qui a échoué ?
Léon O. Engulu : À partir de la création de la brigade d’intervention de la Monusco, en 2013, il y a eu une dérive vers une « régionalisation » de cette force, sous l’égide de l’East african community (EAC). On a remarqué que pendant cette régionalisation des forces de maintien de la paix, il y a eu une forte recrudescence des groupes armés. Cela s’explique notamment par le fait que la RDC est en minorité géographique au sein de l’EAC, la Tanzanie et le Kenya profitant des exportations illégales du Rwanda. L’EAC est plutôt favorable au Rwanda, et c’est un vrai problème. En régionalisant les forces de maintien de la paix, la RDC a baissé la garde et s’est laissée entraîner dans ce qu’elle avait refusé en 2012.
Afrikarabia : Ce sont les antagonismes régionaux qui ont fait échouer ces processus de paix ?
Léon O. Engulu : Exactement, il faut sortir de ces rivalités régionales. La RDC aurait dû rester dans l’accord-cadre d’Addis-Abeba avec ces parrainages internationaux, et je pense que nous aurions davantage progressé vers la paix. Pour moi, la redynamisation de l’accord-cadre est vraiment une urgence. J’ai envoyé une note en haut lieu il y a quelques jours à ce sujet.
Afrikarabia : L’accord-cadre prévoyait des réformes importantes de l’Etat congolais dans le secteur de la sécurité, de la décentralisation, du développement, des institutions, de la démocratisation… Rien n’a vraiment été fait ?
Léon O. Engulu : La RDC a manqué à ses engagements sous Joseph Kabila. Le comité de pilotage de l’accord-cadre devait se réunir tous les trois mois. En fait, il ne s’est réuni que deux fois en 2014, et depuis, plus rien. Cela veut dire que la RDC a clairement manifesté à l’époque son intention de ne pas aller plus loin dans la mise en oeuvre des réformes. Aujourd’hui, le Congo le paie cash. Cet accord-cadre était une chance historique pour le pays de bénéficier du soutien des partenaires internationaux pour mettre en oeuvre et financer les réformes. Alors, certes la RDC n’a pas suffisamment rempli ses engagements, ce qui a découragé ses partenaires, mais si Kinshasa reprend cet accord-cadre en montrant une bonne foi renouvelée, je pense que cela peut donner des résultats. J’ai proposé l’idée d’une conférence internationale des partenaires à l’accord-cadre d’Addis-Abeba, qui avaient promis d’apporter un appui aux réformes. Cette conférence permettrait de réévaluer la situation en RDC au regard de leurs engagements d’Addis Abeba.
Afrikarabia : L’accord-cadre d’Addis Abeba date de 2013, est-ce qu’aujourd’hui, en 2025, le contexte international n’a pas profondément changé, notamment avec des bailleurs qui sont lassés de la crise sans fin au Congo ?
Léon O. Engulu : La diplomatie congolaise s’est affaiblie. Comme je l’ai dit, il y a eu une « régionalisation » de la solution pour retrouver la paix et la stabilité. Or, cette régionalisation a été une erreur. Dans cet accord-cadre, qui est toujours en vigueur, il y avait de fortes garanties internationales et un soutien des Nations unies.
Afrikarabia : Ce n’est pas trop tard ?
Léon O. Engulu : Non, ce n’est pas trop tard. D’ailleurs, si la RDC voulait négocier un soutien sécuritaire contre des minerais, cela pourrait justement se faire dans le cadre d’une conférence des partenaires de l’accord d’Addis-Abeba. Ce serait beaucoup plus cohérent et efficace qu’une simple négociation bilatérale entre Kinshasa et Washington.
Afrikarabia : La fusion des deux processus de Luanda et de Nairobi, est-elle une bonne idée ?
Léon O. Engulu : Non, il ne faut pas le faire. Le Rwanda foule du pied tous ces processus. Il faut un cadre international contraignant, comme le propose l’accord d’Addis-Abeba.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia