Coincé militairement, le président congolais tente de reprendre la main politiquement et annonce vouloir former un gouvernement d’union nationale, alors que Joseph Kabila ne cache plus ses ambitions de revanche.

À défaut d’une riposte militaire vigoureuse de l’armée congolaise après les prises de Goma et Bukavu, Félix Tshisekedi a décidé de lancer une riposte politique tous azimut. En manque cruel d’alliés militaires chez ses voisins de la région, le président congolais essaie de ne pas perdre les siens à Kinshasa. Ce week-end, il a donc choisi de convoquer les députés et les leaders de l’Union sacrée de la Nation (USN), sa majorité présidentielle. Félix Tshisekedi, dans son costume de chef de guerre, a d’abord distribué les mauvais points et dénoncé l’apathie d’une partie de ses soutiens. « Je n’ai pas vu beaucoup de monde monter au créneau pour appeler notre jeunesse à s’enrôler et défendre la Patrie » s’est désolé le chef de l’Etat. Avant de remobiliser les troupes en demandant à ses soutiens de « rester unis pour faire face à l’ennemi ».
Un prochain remaniement dans les tuyaux
Affaibli pour les revers militaires, Félix Tshisekedi veut certes rassembler, mais aussi faire le ménage au sein de sa majorité. Il entend ainsi former une large coalition, plus solide, au sein d’un nouveau gouvernement d’union nationale. Un prochain remaniement est donc dans les tuyaux. Devant les caciques de l’Union sacrée, le président a tenu à féliciter les bons élèves : le ministre des Transports et patron du MLC, Jean-Pierre Bemba, le ministre de la Fonction publique, Jean-Pierre Lihau ou le ministre de l’Aménagement du territoire, Guy Loando. Des ministres susceptibles de prendre du galon dans le prochain gouvernement. On pense à Jean-Pierre Bemba qui pourrait retrouver le portefeuille de la Défense. L’actuel ministre, Guy Kabombo, novice dans le domaine militaire, s’est principalement illustré par des discours maladroits, et par les défaites à répétition et humiliantes de l’armée congolaise.
Une nouvelle promesse de refonte de l’armée congolaise
Félix Tshisekedi a également annoncé qu’il procéderait à un énième remaniement au sein des Forces armées de République démocratique du Congo (FARDC), en déroute depuis les chutes de Goma et Bukavu. Une refonte de l’armée qui résonne pourtant comme un voeux pieux après 6 ans de pouvoir et de multiples jeux de chaises musicales dans la chaîne de commandement… sans aucun résultat sur le champ de bataille. Le commandant suprême des armées a promis de bâtir « une armée professionnelle » en garantissant une revalorisation des primes pour les soldats sur le front. Une annonce un peu tardive, 3 ans après la résurgence de la rébellion M23 et des défaites en cascade. Quant à un possible nouveau changement à la tête de l’armée congolaise, on reste dubitatif. Le dernier chef d’état-major des FARDC, Jules Banza, n’a, en effet, pris ses fonctions que depuis un petit mois et demi. Depuis, le M23 a pris le contrôle de Goma et Bukavu et poursuit sa percée éclair au Nord et au Sud-Kivu.
Une décrispation politique qui tombe à pic
Critiqué par l’opposition pour sa gestion de la crise sécuritaire, Félix Tshisekedi va devoir consolider sa majorité, mais aussi l’élargir. Le 21 février, Jean-Marc Kabund, ancien président par intérim de l’UDPS et artisan de la prise de contrôle de l’Assemblée nationale et du Sénat par le camp présidentiel, a été libéré. Le trublion de la politique congolaise était tombé en disgrâce en 2022 après des critiques acerbes contre Félix Tshisekedi et avait basculé dans l’opposition. Il est alors condamné à 7 ans de prison pour « offenses au chef de l’Etat ». Cette décrispation politique tombe à pic pour le président, qui devrait également faire libérer deux autres opposants : Seth Kikuni et Mike Mukebayi, et montrer sa volonté « d’ouverture ».
Une perche vers Fayulu et les Églises
Avec sa proposition de coalition nationale, Félix Tshisekedi, entrouvre la porte d’un possible dialogue nationale, dans la droite ligne de ce que préconisait à l’automne 2024 l’opposant Martin Fayulu. Le patron de l’Ecidé souhaitait ouvrir des concertations « Vérité – Réconciliation – Cohésion nationale ». Une proposition rejetée à l’époque par le chef de l’Etat. Fragilisé en interne, Félix Tshisekedi tend donc une perche en direction de son adversaire politique et fait également un pas vers la démarche des Églises catholique et protestante, qui ont entamé de larges consultations pour un « pacte social pour la paix », rencontrant même le M23 à Goma et Paul Kagame à Kigali.
Le cas Kamerhe
Le président devra aussi surveiller son allié historique, Vital Kamerhe. L’actuel président de l’Assemblée nationale n’était pas présent, ce week-end, avec les cadres de l’Union sacrée pour écouter le chef de l’Etat. Une absence remarquée. Le patron de l’UNC avait fait entendre sa propre petite musique sur le conflit à l’Est. Du haut de son perchoir, Vital Kamerhe avait affirmé que « le président [voulait] négocier, mais pas vendre le Congo ». Une sortie qui avait du bruit, alors que Félix Tshisekedi répète à qui veut l’entendre qu’il ne négociera jamais avec le M23. Le président peut-il compter sur le soutien indéfectible de Vital Kamerhe, qui occupe un poste-clé dans le dispositif présidentiel, mais dont on connait aussi les ambitions présidentielles ? Félix Tshisekedi devra s’en assurer en composant son nouvel exécutif.
Kabila sort la sulfateuse
Enfin, le chef de l’Etat doit désormais compter sur une autre épine dans le pied, beaucoup plus dangereuse, qui s’appelle Joseph Kabila. Réputé taiseux, l’ancien président s’est véritablement lâché dans la presse sud-africaine ce week-end. À la sulfateuse, Joseph Kabila s’en est pris violemment à son successeur. Selon lui, « il y a eu simulacre d’élections en 2023, amplifiant l’illégitimité du pouvoir ». Le Raïs a ensuite dénoncé « une opposition muselée, des arrestations arbitraires, des exécutions sommaires ». Concernant le conflit à l’Est, Joseph Kabila estime que la crise « ne se limite pas aux actions incontrôlées du M23 présenté à tort comme un groupe anarchiste – un proxy d’un État étranger sans revendications légitimes – ni à un simple désaccord entre la RDC et le Rwanda ». Selon lui, le conflit est également politique et a pour responsable Félix Tshisekedi. Une volée de bois vert contre son successeur qui laisse songeur lorsque l’on pense à la répression des manifestations dans le sang, à l’assassinat de Floribert Chebeya, à la centaine de morts et au verrouillage des médias pendant la crise pré-électorale de 2016.
Kabila et le M23
Pourtant, cette sortie médiatique de l’ancien président congolais signifie aujourd’hui qu’il est bien de retour sur le devant de la scène avec des ambitions de revanche à peine voilées. Mais surtout, le come-back de Joseph Kabila n’intervient pas à n’importe quel moment. Il intervient même au pire moment pour Félix Tshisekedi. Au moment où Corneille Nangaa, l’ancien patron de la Commission électorale et très proche de Joseph Kabila, a décidé de marcher sur Kinshasa pour renverser le régime avec le soutien du M23. Dans la galaxie kabiliste, il y a aussi John Numbi, le sécurocrate du Raïs, accusé lui aussi d’accointance avec la rébellion. Pour Félix Tshisekedi, il n’y a d’ailleurs pas de doute. Derrière le M23, il y a Joseph Kabila. Une nouvelle épine dans le pied qui risque d’être tenace pour Félix Tshisekedi.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Merci encore une fois de votre analyse.
Je pense que l’erreur de Tshisekedi est de penser que d’autres acteurs congolais seraient des pions dont il deplace a sa guise. Recompensant celui-ci et punissant celui-la
La seconde erreur, C’est de croire, que des pays occidentaux dont il promet tous les minerais de la RDC parviendront a lui sortir du petrain!
J’ai peur qu’il se trompe d’epoque.
Excusez de l’absence des accents.