Alors que Washington, Bruxelles, La Haye et Berlin sont au diapason pour condamner la dérive dictatoriale du président Nkurunziza, la discrétion de Paris provoque incompréhension et gêne au Burundi.
Après la farce électorale du 21 juillet au Burundi, Barack Obama avait critiqué la reconduction au pouvoir de Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat. « Nous avons discuté du Burundi, où les récentes élections n’ont pas été crédibles », a déclaré le président américain à l’issue d’un entretien avec son homologue kényan Uhuru Kenyatta. « Nous appelons le gouvernement et l’opposition à se retrouver pour un dialogue qui aboutira à une solution politique à la crise et évitera la perte de davantage de vies innocentes ».
Lors de son discours devant l’Union africaine (UA), le 28 juillet à Addis-Abeba, le président des Etats-Unis en a remis une couche : « Les progrès démocratiques en Afrique sont en danger quand des dirigeants refusent de quitter le pouvoir à l’issue de leur mandat (…). La loi est la loi, et personne n’est au-dessus, pas même les présidents. Quand un dirigeant essaie de changer les règles au milieu de la partie simplement pour rester en poste, il s’expose à l’instabilité et à la discorde, comme nous l’avons vu au Burundi ».
Les critiques de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est
Ses services ont précisé que Barack Obama invitait la communauté internationale à parler d’une seule voix pour faire plier le président Nkurunziza. De fait, le scrutin présidentiel du 21 juillet au Burundi a été la cible de critiques quasi unanimes de l’Union européenne, de la Belgique, de la Hollande, de l’Allemagne, et aussi les Etats d’Afrique de l’Est.
Invitée par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) du Burundi pour observer l’élection présidentielle du 21 juillet, la communauté des Etats d’Afrique de l’Est y avait envoyé un groupe de vingt-cinq personnes sous l’autorité de l’Honorable Abubakar Zein, membre de l’Assemblée législative est-africaine. Les membres se sont déployés en sept équipe pour observer le déroulement du processus électoral dans les principales villes du Burundi et leurs abords.
150 000 Burundais réfugiés dans les pays voisins
La Mission d’observation de la communauté d’Afrique de l’Est a évidemment relevé les contestations sur le droit du président Nkurnuziza à briguer un troisième mandat. Une issue que l’opposition et la communauté internationale considèrent comme une violation des accords de paix d’Arusha d’août 2000 et de la Constitution du Burundi de 2005.
Dans son rapport – rédigé en termes très mesurés – la Mission d’observation constate la dégradation du climat politique et de la sécurité. Elle note que les violences préélectorales ont entraîné environ 150 000 Burundais à se réfugier dans les pays voisins (Tanzanie, Rwanda, RDC, Ouganda). Elle relève que toutes les tentatives de médiation ont avorté, faute de consensus.
Les conditions d’une élection crédible n’ont pas été remplies
La Mission souligne que les conditions d’une élection crédible n’ont pas été remplies, notamment en raison de la précipitation du calendrier : insécurité, absence de retour des réfugiés, entorses aux libertés civiles, destruction des radios indépendantes les 14 et 15 mai après la tentative de coup d’Etat, peur générale. Des conditions qui ont dissuadé la plupart des postulants à l’élection présidentielle de déposer leur candidature et empêché les observateurs est-africains de se déployer dans les zones les plus risquées. Le rapport souligne un certain nombre de faiblesses dans la confection de la liste électorale et l’information des électeurs. « L’indépendance » de la Commission électorale nationale (CENI) est mise en doute.
Lire ici le rapport.
La terreur continue au Burundi
« Principal constat : le processus électoral n’a pas atteint les standards pour la tenue d’élections libres, justes, pacifiques, transparentes et crédibles. » Comme l’a souligné RFI, le rapport d’Afrique de l’Est a d’autant plus de poids qu’il s’agissait d’une des rares équipes indépendantes à avoir suivi le processus électoral (avec celle des Nations unies).
Au moins la réélection de Pierre Nkurunziza aurait-elle marqué la fin du régime de terreur instauré par sa milice Imbonerakure, par ailleurs infiltrée dans les organes officiels de répression ? Même pas ! « C’est l’incertitude la plus totale, les arrestations massives continuent », déclare à Afrikarabia un défenseur burundais des droits de l’homme. Notre correspondant ajoute : « La réélection n’a rien changé, il y a tous les jours des meurtres et des disparitions. »
Petites concessions de Bujumbura
Deux semaines après le scrutin présidentiel ubuesque, comment caractériser la situation politique au Burundi ? Notre interlocuteur ne tourne pas autour du pot : « Un groupe de criminels arrivé au pouvoir à la faveur de la démocratie a pris en otage le peuple burundais et la communauté internationale. Devant cette forme de chantage, comme pour toute prise d’otage, il faut se montrer inflexible. Il ne doit pas y avoir de fait accompli, comme trop souvent par le passé. »
Après la déclaration de Barack Obama à Addis Abeba, le président Nkurunziza semble contrait à des concessions, même si elles sont encore timides. Le Conseil paix et sécurité qui s’était tenu le 13 juin à Johannesburg avait prévu le déploiement de ses experts au Burundi mais les autorités burundaises ont par la suite accumulé les prétextes pour empêcher leur action. Il sont chargés notamment de vérifier les opérations de désarmement des milices, en particulier les Imbonerakure. Le Burundi vient d’autoriser le déploiement des experts de l’Union africaine. Cependant, les effectifs acceptés par Bujumbura (30 personnes, alors que l’UA en réclamait 70) ne peuvent assurer un travail sérieux.
Faire s’effondrer Nkurunziza
Les Burundais ne se résignent pas à retomber sous un joug dictatorial et sanglant, comme les dix années (1966-1976) subies sous la férule de l’ivrogne, débauché et cruel Michel Micombero. Lorsqu’on les interroge, ils définissent l’alternative : soit la communauté internationale agit solidairement et fait plier Pierre Nkurunziza, soit il faudra reprendre la lutte armée, avec le risque d’une nouvelle guerre civile.
Les diplomates sont conscients de cet agenda. Le budget du Burundi dépendant pour 52% des contributions des pays riches, il suffit de réduire significativement le flux financier, de geler les avoirs des hiérarques du régime, de les interdire de déplacement et de renvoyer dans leur pays les militaires burundais des forces de paix pour que, en quelques mois, le régime de Nkurunziza s’effondre.
Vladimir Poutine et Pierre Nkurunziza, même combat ?
L’Union européenne a choisi la fermeté. Sa Haute représentante a rappelé à Bruxelles le 23 juillet 2015 « que la violence ne peut être utilisée à des fins politiques et appelle une fois de plus toutes les parties prenantes et les leaders politiques à la condamner et à la décourager. Ceci comprend notamment les actions menées par les groupes armés, telles que les attaques qui ont eu lieu récemment dans la province de Kayanza. L’Union européenne se prépare, en ligne avec les conclusions du Conseil de juin 2015, à adopter, le cas échéant, des mesures restrictives ciblées contre ceux dont l’action aurait conduit ou conduirait à des actes de violence et de répression, à de graves violations des droits de l’Homme, et/ou entraverait la recherche d’une solution politique. »
Désigné comme médiateur par la communauté des Etats d’Afrique de l’Est, le président ougandais Yoweri Museveni n’a pas apprécié les dernières rebuffades de Pierre Nkurunziza et pourrait lui aussi plaider pour davantage de fermeté. Au Conseil de sécurité des Nations-Unies, seuls les représentants de la Russie et de la Chine sont susceptibles d’opposer leur veto à des sanctions internationales contre Nkurunziza et ses oligarques. Car, à travers le « cas Nkurunziza », c’est l’impunité de tous les dictateurs qui peut être remise en question.
Critiques minimalistes de Paris
Interrogé par France Inter le 21 juillet, Laurent Fabius s’est contenté d’une déclaration à minima, qualifiant la crise politique au Burundi de « situation très inacceptable puisque les élections ont lieu dans des conditions qui ne sont pas du tout objectives. Déjà, les autorités africaines et la communauté internationale ont pris beaucoup de distance – et c’est légitime – par rapport à ces élections. »
Le représentant permanent de la France auprès des Nations unies a déclaré à New York le 30 juin : « Nous appelons avec force toutes les parties, et en particulier les autorités burundaises, à faire preuve d’esprit de dialogue et de compromis dans l’intérêt supérieur du pays. »
C’est laisser entendre que les responsabilités de la crise burundaise sont partagées entre l’opposition et le régime.
Le silence de Paris est indéfendable
Ainsi, Paris se singularise par sa discrétion. Ce n’est pas de la négligence, car la diplomatie française fait flèche de tout bois en Afrique francophone. En se refusant jusqu’ici à se joindre à la communauté internationale pour condamner clairement la dérive dictatoriale du président Pierre Nkurunziza, qu’espèrent François Hollande et son ministre des Affaires étrangères ? C’est la question que se posent les démocrates burundais harcelés par le régime. François Hollande estime-t-il qu’à tout prendre, mieux vaut Nkurunziza que Kagame ?
A Kigali, on se juge généralement victime des « réseaux Védrine », très influents au Quai d’Orsay, qui ont érigé Paul Kagame en épouvantail de la « Françafrique ». Mais en l’occurrence, ce système ne joue pas. Le 28 juillet, sur France Inter, commentant la situation internationale avec son cynisme habituel, Hubert Védrine a été sollicité par un auditeur de dire tout le mal qu’il fallait penser de Kagame briguant un troisième mandat. L’ancien secrétaire général de l’Elysée a répondu qu’il ne fallait pas confondre Rwanda et Burundi, qu’au Rwanda le Parlement appuyait cette demande et que d’autre part le Rwanda, très bien géré, est un modèle pour l’ensemble de la région !
A l’instar de feu Juvénal Habyarimana, le président du Burundi cherche depuis plusieurs années à réveiller les démons de l’ethnisme, sans y parvenir. Il tente aussi d’impliquer le Rwanda dans la crise burundaise pour s’en servir comme repoussoir. A l’été 2014, les services secrets burundais ont inventé une sombre histoire d’opposants à Kagame qui auraient été noyés dans des sacs flottant le lac Mweru, limitrophe du Burundi. Une opération de désinformation abondamment reprise sur les ondes d’une radio française. Cette affaire ne permet pas de conclure que la timidité de l’Elysée et du Quai d’Orsay sur la transition du président Nkurunziza vers la dictature aurait pour origine une opération de désinformation relayée par des « Services » français, à l’instar de ce qui s’est passé entre 1990 et 1994 concernant le Rwanda de Habyarimana.
Aujourd’hui le seul moyen d’empêcher les Burundais de sombrer dans le désespoir politique et la lutte armée tient à une réaction claire et concrète de la communauté internationale. Perçue comme un acquiescement à la dérive fascisante du président Nkurunziza, la prudence de Paris est indéfendable.
Jean-François DUPAQUIER