Après un premier report de la présidentielle en 2016, l’élection ne pourra pas se tenir non plus cette année. De quoi lasser une opposition politique désemparée, qui demande désormais aux Congolais de « se prendre en charge » pour chasser Joseph Kabila du pouvoir.
Depuis le 19 décembre 2016, le deuxième et dernier mandat du président congolais Joseph Kabila a pris fin sans qu’aucun scrutin électoral ne soit organisé. Après d’âpres tractations avec une frange minoritaire de l’opposition, les élections ont été reportées en décembre 2017. Mais à quelques semaines du scrutin, l’enrôlement des électeurs n’est toujours pas terminé, le financement est des plus incertains et la Commission électorale (CENI) reconnaît (très tardivement) qu’elle n’est pas en mesure d’organiser les trois scrutins (présidentielle, législatives et locales) dans les délais. Un nouveau report est donc désormais à prévoir, continuant de plonger la RDC dans une grave crise politique. Une fuite savamment orchestrée par la CENI à l’agence Reuters laisse entendre que la présidentielle pourrait repoussée à décembre 2018. Pendant ce temps, la tension monte aux quatre coins du Congo. La répression se poursuit contre les opposants, les manifestations sont interdites et réprimés dans la violence, certains médias muselés et les foyers d’instabilités se multiplient dans le centre et l’Est du pays.
L’opposition cherche la riposte
Pour l’opposition ce chaos pré-électoral est largement organisé par le pouvoir. Les opposants congolais accusent en effet le président Kabila d’utiliser tous les artifices possibles pour retarder la présidentielle et se maintenir ainsi au pouvoir alors que la Constitution lui interdit de briguer un nouveau mandat. Face à un président qui n’est visiblement pas décidé à passer la main et en l’absence de calendrier électoral, l’opposition cherche la riposte. La principale option avancée par les opposants à Joseph Kabila consisterait à mettre en place une nouvelle transition … sans l’actuel chef de l’Etat. Sur les rangs de cette « transition citoyenne » sans Kabila prônée par l’ensemble de l’opposition, on peut trouver un évêque de l’Eglise catholique, dont l’institution a été partie prenante de l’accord politique du 31 décembre 2016, où encore le célèbre médecin Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » violées au Congo. Si la majorité des opposants est d’accord sur le principe, reste un gros point d’interrogation : Joseph Kabila acceptera-t-il de céder son fauteuil ? On peut en douter lorsque l’on réécoute les derniers discours du chef de l’Etat, qui continue de s’attribuer la place centrale à toute solution de sortie de crise.
Le président congolais entend bien rester aux manettes, et s’active d’ailleurs énergiquement pour renégocier une nouvelle prolongation de la transition. Pour ce faire, Joseph Kabila possède encore deux cartes dans son jeu. Il peut tout d’abord demander à la Commission électorale (CENI) et au CNSA (l’organisme de suivi de l’accord de la Saint-Sylvestre), de se mettre d’accord pour valider un nouveau calendrier électoral plus ou moins « élastique », qui pourrait repousser le scrutin à 2018 ou 2019… Cette disposition est d’ailleurs prévue dans l’accord du 31 décembre 2016. Cette demande à toutes les chances d’être satisfaite puisque dans ces deux organismes, l’opposition (hors débauchages) se fait rare. Les membres de ces deux institutions ont également tout intérêt à prolonger leur mandat, s’offrant ainsi de confortables émoluments. A peine né, le CNSA se verraient bien reconduit de plusieurs mois.
Un troisième dialogue… sans l’Eglise
Si l’annonce d’un calendrier électoral trop lointain fait des vagues, Joseph Kabila pourra sortir sa seconde carte : le dialogue politique. L’idée d’un « troisième dialogue » fait également son chemin. En coulisse, Joseph Kabila fait le pressing pour obtenir de nouveau l’appui de l’Union africaine (UA) malgré le fiasco de la première médiation Kodjo. L’objectif est de demander à l’UA d’encadrer une troisième concertation pour tenter de régler la crise politique… et ainsi gagner quelques mois supplémentaires. Le retour de l’Union africaine dans le jeu permettrait également à Joseph Kabila de démontrer sa bonne volonté aux yeux d’une communauté internationale de plus en plus critique, mais aussi (et surtout) d’écartant les encombrants médiateurs de l’Eglise catholique, jugés trop critiques envers le pouvoir.
Pour faire partir Joseph Kabila, l’opposition a bien tenté de jouer la carte de la communauté internationale. Une communauté « à l’écoute » mais bien peu efficace. La pression reste trop faible à l’encontre de Kinshasa et les sanctions ciblées à l’encontre des autocrates et des politiques du régime n’ont toujours pas portées leurs fruits. Lassée, divisée et impuissante, l’opposition politique ne semble même plus compter sur elle-même pour faire partir Joseph Kabila. Après la mort de l’opposant historique Etienne Tshisekedi en février 2017, rien ne va plus dans le camp anti-Kabila. Le Rassemblement s’est fracturé avec les débauchages de Samy Badibanga, puis de Bruno Tshibala, nommés successivement à la tête du gouvernement congolais. Félix Tshisekedi, le fils du Sphinx de Limete, peine à reprendre le flambeau et le leadership de l’opposition, et Moïse Katumbi, harcelé par la justice congolaise, est condamné à un exil forcé en Europe, qui le tient éloigné de ses troupes. Un nouvel acteur est également sorti du bois, Sindika Dokolo, richissime homme d’affaires, qui a pour principal pedigree d’être le mari de la milliardaire angolaise Isabel Dos Santos. Peu connu par les Congolais et lui aussi, vivant à l’extérieur du Congo, Sindika Dokolo, comme Moïse Katumbi, restent peu audibles tant qu’ils resteront en dehors du pays. Sans réel leader sur le terrain, l’opposition congolaise peine donc à peser dans la crise congolaise.
Répression et crise économique freinent la contestation
Si l’opposition se fait de moins en moins entendre, elle compte désormais sur la population pour faire pression sur le président congolais. « S’il n’y a pas élection, le président Kabila doit partir le 31 décembre. Et nous allons faire appel à la rue parce que la Constitution le permet » a déclaré Moïse Katumbi depuis Paris fin septembre. L’article 64 de la Constitution prévoit en effet que « tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution ». La population suivra-t-elle la consigne ? Pas si sûr. Car si l’opposition peine à maintenir la pression sur le pouvoir, c’est que la répression policière est féroce en RDC. Les manifestations sont systématiquement interdites et réprimées dans le sang. « Au mois une centaine de morts » sont à déplorer dans les mobilisations anti-Kabila de fin 2016, selon les ONG internationales. Autre frein à la contestation : la crise économique qui touche la RDC depuis plusieurs mois. Le Franc congolais dévisse, et la population, dont 70% vit en dessous du seuil de pauvreté, peine à manger à sa faim. Les « opérations villes mortes » lancées par l’opposition ne sont donc pas massivement suivies et restent trop limitées dans le temps pour avoir un quelconque impact.
Reste enfin que l’opposition se cherche toujours une stratégie pour contrer le pouvoir. Le Rassemblement avait prévu des actions de désobéissances civiques à partir du 1er octobre… mais pour l’instant rien n’a été programmé. L’opposition cherche en fait le bon timing pour mobiliser. Avec en ligne de mire : le 31 décembre 2017, date limite pour organiser les élections selon l’accord du 31 décembre 2016. Après cette date, les opposants considèreront le compromis de la Saint-Sylvestre caduque et Joseph Kabila officiellement illégitime (même si certains l’estiment illégitime depuis le 19 décembre 2016). Le 31 décembre 2017 sera donc sans doute le point d’orgue choisi par l’opposition pour se mobiliser. Avec, on peut le supposer, le retour (annoncé « imminent » depuis plusieurs mois) de Moïse Katumbi, qui ne peut plus continuer de se présenter comme l’opposant numéro un au président Kabila, tout en restant en dehors du pays.
L’exaspération des Congolais
Les anti-Kabila comptent donc sur « le miracle de la rue » pour faire partir le chef de l’Etat. Un miracle que s’est déjà produit au Burkina, où la rue à chasser Blaise Compaore. et où elle fait actuellement vaciller le président togolais Faure Gnassingbe. Mais pour l’heure, il manque l’étincelle pour allumer le feu. Les services de sécurité congolais sont désormais rompus à une répression féroce et très organisée. Les dernières grandes mobilisations de 2015 ou de fin 2016 se sont soldées par une centaine de morts au total, décourageant ainsi les plus téméraires des manifestants. Mais il faudra pourtant compter sur l’exaspération des Congolais qui voient ainsi leur président jouer la montre et reculer indéfiniment les échéances électorales. Une colère exacerbée par le retour de la violence dans les Kasaï ( et ses 5.000 morts) ou dans les Kivu.
Une chose est sûre, les Congolais ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour provoquer les élections et l’alternance au sommet de l’Etat. La population le sait bien… et les groupes armés aussi. A Uvira, la semaine dernière, le mouvement insurrectionnel qui a essayé de prendre la ville se fait appeler Alliance de l’article 64 (AA64), en référence au fameux article de la Constitution congolaise. Mais il n’y a pas que les groupes armés qui plaident pour l’application de l’article 64 : mouvement citoyens et politiques de tous bords brandissent désormais la menace. Tout est donc prêt pour l’explosion … il ne manque plus que l’étincelle.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia