Les opposants Joseph Kabila et Moïse Katumbi se sont rencontrés pour dénoncer « la dictature » de Félix Tshisekedi et s’opposer à toute modification de la Constitution. Des critiques qui se sont longtemps appliquées à Joseph Kabila pendant ses 17 années de pouvoir. Du pain bénit pour le camp présidentiel. Explications.
La fin justifie-t-elle les moyens ? La rencontre à Addis-Abeba, mi-décembre, entre Joseph Kabila et Moïse Katumbi contre le projet de réforme constitutionnelle de Félix Tshisekedi interroge, même si les ambitions des deux leaders politiques, anciens alliés, puis ennemis jurés, sont à peine voilées. Moïse Katumbi souhaite empêcher l’actuel président de s’éterniser dans le fauteuil présidentiel pour pouvoir s’y asseoir un jour, et Joseph Kabila espère se servir de ce tremplin inespéré pour tenter un improbable come-back après 17 ans de pouvoir sans partage. Le communiqué commun de la rencontre d’Addis-Abeba est une charge en règle contre Félix Tshisekedi. Et d’abord contre la réforme de la Constitution que souhaite lancer le chef de l’Etat pour adapter la loi fondamentale « aux réalités congolaises ». Derrière ce projet, qui pourrait aller au-delà de la simple modification de la Constitution, les deux opposants soupçonnent le président Tshisekedi de vouloir s’accrocher au pouvoir. Selon eux, cette réforme est « illégale et inopportune » et son but ultime serait « la consolidation de la dictature à travers une Présidence à vie en RDC ».
Une alternative crédible ?
Joseph Kabila et Moïse Katumbi dénoncent en vrac, les restrictions des libertés, les arrestations arbitraires des opposants, des journalistes, mais aussi la crise sécuritaire qui secoue l’Est du pays. Ils saluent les initiatives de paix de Nairobi et Luanda et prônent « une résolution pacifique du conflit en demeurant attentif aux revendications des parties prenantes ». Une formulation qui est une critique à peine voilée de la stratégie gouvernementale qui refuse de négocier avec les rebelles du M23. Tout comme l’utilisation des mercenaires ou de groupes armés pour combattre la rébellion, que dénoncent Kabila et Katumbi dans leur communiqué commun. Les deux leaders en appellent donc à un front anti-Tshisekedi et demandent aux Congolais de « résister » et prennent « l’engagement d’oeuvrer pour une alternative crédible à la pauvreté, à la mauvaise gouvernance, au pillage des ressources nationales, et à la destruction des infrastructures ».
Des critiques qui s’appliquaient déjà contre Kabila
Les critiques de Joseph Kabila et Moïse Katumbi sur la gouvernance de Félix Tshisekedi sont largement partagées par l’ensemble de l’opposition congolaise, de la société civile et des mouvements citoyens. Mais il est étonnant de les voir prononcées de la bouche de Joseph Kabila, où pendant 17 ans de pouvoir autoritaire, ces même critiques lui ont été adressées par ses opposants… Moïse Katumbi compris. L’ancien gouverneur du Katanga, un temps présenté comme le dauphin de Joseph Kabila, a payé le prix fort de cette répression systématique qui s’abattait à l’époque sur les opposants. Après avoir rompu avec Kabila en 2014, lorsqu’il le soupçonnait de vouloir se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat interdit par la Constitution, Moïse Katumbi a été forcé à l’exil, poursuivi par la justice congolaise, et même accusé d’avoir engagé des mercenaires pour fomenter un coup d’Etat. Le communiqué commun du duo d’opposants aurait pu être publié mots pour mots sous Joseph Kabila, et signé par Katumbi et Tshisekedi. Ironie du sort, la crise pré-électorale de 2015 à 2018 avait pour cause la volonté de Joseph Kabila de s’accrocher au pouvoir, notamment en cherchant à tripatouiller la Constitution. Ce qu’il accuse de vouloir faire Félix Tshisekedi.
Mémoire courte
Dans le texte de la rencontre Kabila-Katumbi, les deux hommes affirment vouloir « oeuvrer pour une alternative crédible à la mauvaise gouvernance ». Joseph Kabila ferait-il partie de cette alternative ? Pas sûr que les Congolais aient la mémoire aussi courte. Qui se souvient de l’impopularité de Joseph Kabila qui avait dû renoncer à bricoler la Constitution pour un effectuer un troisième mandat sous la pression populaire ? Qui se souvient que, malgré les irrégularités de l’élection présidentielle de 2018 et du tour de passe-passe pour porter au pouvoir Félix Tshisekedi, les Congolais avait été soulagés de s’être débarrassés de Joseph Kabila ? Qui peut sérieusement croire à cette « alternative crédible » ? Moïse Katumbi pense-t-il que Joseph Kabila fasse réellement partie de la solution ? Sur le réseau social X, Olivier Kamitatu, principal conseiller de Moïse Katumbi, fait de la rencontre d’Addis-Abeba un combat centré sur la seule défense de la Constitution. Selon lui, il s’agit « d’un enjeu crucial qui transcende le simple rapport de force ou le jeu de pouvoir ». Une cause commune et non une alliance politique.
Alliance « contre-nature »
Pourtant, la réunion à l’étranger des deux leaders politiques est du pain bénit pour le camp présidentiel. Le retour de Joseph Kabila est un chiffon rouge agité régulièrement par les soutiens à Félix Tshisekedi pour accuser l’opposition de se fourvoyer dans une alliance « contre-nature » avec une personne dont ils ont systématiquement dénoncé les dérives autoritaires pendant les années Kabila. Ce second rapprochement Kabila-Katumbi, après des premières retrouvailles en 2022, permet également à la majorité présidentielle de valider son narratif autour des collusions supposées entre Joseph Kabila et les rebelles du M23. Plusieurs cadres de la rébellion interpellés par les services de sécurité avaient fait part de contacts entre le M23 et l’ancien président de la République. L’ex-patron de la Commission électorale (CENI) de la période Kabila, Corneille Nangaa, est d’ailleurs devenu la vitrine politique des rebelles avec la création de l’Alliance fleuve Congo (AFC). Un argumentaire tout trouvé par le camp Tshisekedi pour mettre Moïse Katumbi dans le même sac. D’ailleurs, le leader d’Ensemble pour la République est souvent présenté par ses détracteurs comme proche de Kigali, qui soutient militairement le M23 selon les experts de l’ONU.
Un front anti-Tshisekedi en devenir
Mais qu’on ne s’y trompe pas. La personnification de la bataille contre la révision ou le changement de la Constitution va plus loin que le simple duo Kabila-Katumbi. Il y a plusieurs semaines, l’opposant Martin Fayulu avait rencontré en Belgique Moïse Katumbi pour évoquer une stratégie commune contre le projet constitutionnel de Félix Tshisekedi. Le nom de Kabila n’avait d’ailleurs pas effarouché le patron de l’Ecidé dans une interview à Afrikarabia. Martin Fayulu avait confié à propos de l’ancien président : « Je sais ce qu’il a fait. On n’oublie pas. On doit mettre en avant l’intérêt du pays ». Dans ce front anti-Tshisekedi pour préserver la Constitution, on peut aussi compter sur Delly Sesanga et son « Sursaut national », ou l’ancien Premier ministre kabiliste Matata Ponyo. Mais la présence de l’ancien président Kabila, fustigé par tous ces opposants pendant presque deux décennies, continue d’interroger sur la pertinence de la démarche. A la longue, les Congolais ne vont-ils pas y perdre leur latin ? Une simple question de clareté politique.
Christophe Rigaud – Afrikarabia